Alexis Dussol pour Slate

On s’était réjoui de voir les vingt-sept pays décider au printemps 2020 de jouer collectif en mutualisant leurs commandes de vaccins. Les États avaient à l’unisson démarré leurs campagnes de vaccination, le 27 décembre. Trois mois après, la campagne patine et la belle union a volé en éclats.

 

Tout avait pourtant bien commencé. Les premières discussions avec des laboratoires pharmaceutiques ont été menées en juin par la France, l’Allemagne, l’Italie et les Pays-Bas avant que Bruxelles ne prenne le relais.

Un premier contrat sera signé fin août 2020 avec AstraZeneca, suivi de celui avec Sanofi-GSK à la mi-septembre puis avec Johnson & Johnson début octobre. Les contrats avec Pfizer-BioNTech, Moderna et CureVac, les trois vaccins à ARN seront signés plus tard, en novembre.

«Nous sommes en train de constituer l’un des portefeuilles de vaccins contre le Covid-19 le plus complet au monde», se félicitait la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, le 24 novembre.

Le démarrage poussif des campagnes des vaccinations dans les pays de l’UE, comparé à celui mené tambour battant au Royaume-Uni qui venait à peine de quitter l’Union, va entraîner une pluie de critiques sur la Commission. Elle se verra reprocher sa lenteur dans la conclusion des contrats et sa frilosité sur les montants commandés. Pourquoi n’avoir commandé que 300 millions du vaccin Pfizer-BioNTech, d’autant qu’au moment du contrat, les deux compagnies avaient déjà publié des résultats très encourageants de leur candidat vaccin?

De plus, le contrat avec Pfizer a été conclu le 11 novembre 2020, alors que celui avec Sanofi a été signé dès le 18 septembre pour un vaccin qui ne sera pas prêt avant la fin 2021. La France s’est-elle opposée à ce que l’UE accepte une offre de 500 millions avec 100 millions supplémentaires du vaccin Pfizer pour protéger Sanofi, ainsi que l’ont laissé entendre certains journaux allemands? L’UE rattrapera le coup en passant des commandes supplémentaires, en février 2021, auprès de Pfizer-BioNTech et de Moderna.

C’est alors que l’UE va se laisser surprendre par des problèmes de production de Pfizer-BioNTech et de Moderna. Les retards seront beaucoup plus préoccupants du côté d’AstraZeneca, un vaccin beaucoup moins cher et plus facile à conserver, sur lequel plusieurs pays avaient bâti leurs stratégies.

Le grand bazar

La belle stratégie collective de départ a fait long feu. C’est désormais du chacun pour soi. On apprendra que des contrats ont été conclus par des États alors qu’ils s’étaient engagés à ne pas mener de négociations parallèles. Au premier rang des accusés, l’Allemagne, qui a passé des accords séparés avec Pfizer-BioNTech et CureVac. La République tchèque a aussi lancé des négociations parallèles avec AstraZeneca.

Si chaque pays devait recevoir des doses au prorata de sa population, en fin de compte, la répartition deviendra singulièrement opaque, les États s’étant réparti les doses dont d’autres membres ne voulaient pas. Chypre a aussi fait appel à Israël pour la fourniture de vaccins. Des régions françaises et italiennes veulent également passer commande. Des États se sont même vu offrir des doses de vaccins sur le marché noir.

La Hongrie a choisi de faire cavalier seul depuis le départ en homologuant le vaccin russe Spoutnik V, non autorisé par l’UE. Elle devrait être imitée prochainement par la Slovaquie et la République tchèque. L’Italie a signé un accord pour produire le vaccin russe. Angela Merkel elle-même se dit prête à commander du Spoutnik V, dès lors qu’il sera autorisé dans l’UE. Voilà que l’Europe s’en remet à la Russie de Poutine, adversaire déclaré de l’UE, au moment où la situation se tend au niveau diplomatique entre le Kremlin et l’Occident!

Le faux pas de la suspension d’AstraZeneca

C’est en ordre dispersé et sans aucune coordination que les pays de l’UE auront géré l’affaire de la suspension du vaccin anglo-suédois. Ce fut déjà le cas lors de l’autorisation.

Le Danemark sera le premier pays de l’UE à le suspendre, en raison de cas d’hémorragies cutanées et de thromboses. C’est surtout la décision allemande prise apparemment sans concertation avec ses partenaires qui, par un effet domino, va entraîner une cascade de suspensions dans plusieurs pays, dont l’Italie et la France. Une décision plus fondée sur la politique que sur la science qui va plomber un peu plus une campagne de vaccination déjà atone.

La suspension précipitée du vaccin, dictée par le fétichisme du principe de précaution, même si elle n’a été que temporaire, a compliqué singulièrement la situation, au moment où les chiffres de l’épidémie s’emballaient dans beaucoup de pays; son coût se mesurera en vies supplémentaires perdues. Elle alimente un peu plus le vaccino-scepticisme ambiant. Ainsi, 61% des Français jugent désormais ce vaccin pas sûr!

Par-delà, c’est l’UE qui va sortir affaiblie de ses déboires vaccinaux. Au 20 mars, seuls 10% des Européens avaient reçu une première dose, contre 23% aux États-Unis et surtout 39% au Royaume-Uni. L’Europe vaccinera-t-elle 70% de sa population adulte d’ici à l’été, comme elle s’y est engagée? Rien n’est moins sûr. Par contre, les eurosceptiques auront, à coup sûr, marqué des points.

Partager.

Laissez votre commentaireAnnuler la réponse.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Exit mobile version