Yves-Léopold MONTHIEUX
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Monsieur Pascal BLANCHARD
HistorienMonsieur le Professeur,
Les 5, 6 et 7 novembre 2020 s’est tenu, au tribunal judiciaire de Fort-de-France, le procès de onze militants anticolonialistes qui s’étaient rendus coupables de la démolition des statues de Victor Schoelcher, de Joséphine de Beauharnais et de Pierre Belain d’Esnambuc, trois personnages qu’ils accusaient d’avoir pris une part active à la colonisation et à l’esclavage en Martinique.
Même aux yeux des juristes, le jugement d’acquittement rendu le 17 novembre 2025 a paru pour le moins singulier, tant par son déroulement que par ses conclusions. Finalement, seuls deux prévenus ont été reconnus coupables, mais dispensés de toute sanction. Si aucun Martiniquais ne souhaitait voir les prévenus incarcérés — préférant, par exemple, qu’il leur soit imposé un pensum sous la forme d’une dissertation historique encadrée par un historien —, la mansuétude des juges a néanmoins surpris, et plus encore le motif invoqué : le respect de la liberté d’expression.
Les surprises avaient d’ailleurs commencé dès l’ouverture du procès. En dépit de la condamnation publique des faits par les maires concernés et de l’appel explicite à résister à un projet de destruction d’un symbole foyalais de la colonisation française, aucune autorité locale ne s’est constituée partie civile. Par ailleurs, se retrouvant seule face aux prévenus, à leurs défenseurs et aux témoins à charge, et bien qu’elle ait souligné la gravité des faits, la procureure de la République a renoncé à requérir des sanctions. Une tentative de mise en cohérence de ces comportements pouvait laisser penser à une volonté commune d’apaisement. Or la dernière surprise est venue de l’appel interjeté par le parquet contre un jugement qui semblait pourtant conforme à l’absence de réquisitions.
À tort ou à raison, la motivation des juges a pu être perçue comme un encouragement implicite à la poursuite de telles exactions. La matière ne manque pas, en effet, comme nous le rappelle en creux l’exposition actuellement présentée en Martinique, consacrée à l’art des peuples autochtones caribéens. Places publiques, rues, villes — pas seulement celle de Schoelcher —, et même la célèbre bibliothèque de Fort-de-France, portent les patronymes de personnages liés à la colonisation. L’historienne Myriam Cottias rappelle pourtant que Victor Schoelcher est allé « vraiment chercher chaque signature pour que le décret soit édicté en 1848 ». Or les rues de Fort-de-France portent les noms de tous ces hommes réticents du gouvernement provisoire de la IIᵉ République, y compris celui de leur chef de file, François Arago.
Des édilités républicaines, stabilisées par de longues décennies de mandature — deux maires en cent ans —, avaient su hybrider la statuaire de Fort-de-France en faisant cohabiter plusieurs mémoires sur un même site. Elles avaient honoré la mémoire de la résistance à la colonisation par des œuvres d’art situées à la périphérie du centre-ville, laissant au cœur de celui-ci les statues héritées de l’époque coloniale.
En droit français, la responsabilité pénale n’est jamais collective : chaque prévenu impliqué dans un acte collectif est jugé à l’aune de sa participation personnelle aux faits reprochés. Le procès qui vient de se dérouler s’est parfaitement conformé à ce principe : chaque prévenu a bénéficié de l’assistance d’un avocat et a fait l’objet de conclusions individualisées. En revanche, les mémoires des trois personnages représentés par leurs statues n’ont pas bénéficié de la défense que seule l’histoire peut leur assurer. L’histoire, en effet, ne fut pas conviée à ce procès iconoclaste, laissant toute la place au seul registre mémoriel.
On peut regretter que cette circonstance n’ait pas eu de portée pédagogique et qu’elle n’ait pas été l’occasion d’un approfondissement des responsabilités respectives de ces personnages historiques. Mais tout n’est pas achevé : l’appel interjeté par le représentant du gouvernement pourrait offrir l’occasion de désigner une autorité telle que la vôtre en qualité de grand témoin de l’histoire, dans une affaire appelée à résonner bien au-delà de la Martinique.
En citoyen vigilant, j’ai l’honneur de vous inviter à user de votre magistère afin de permettre à l’historien reconnu que vous êtes d’apporter son témoignage lors du procès en appel.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Professeur, l’assurance de mes sentiments distingués.



