Coronavirus : Pourquoi l’ultimatum de la justice allemande à la BCE plonge l’Europe dans une nouvelle crise

EUROPE La Commission européenne a évoqué une possible procédure en justice contre l’Allemagne à la suite du jugement très critique de sa Cour suprême contre la Banque centrale européenne

20Minutes.fr

L’Europe confrontée à une nouvelle crise. La semaine dernière, la Cour suprême allemande a lâché une petite bombe en critiquant vertement la politique d’aide de la Banque centrale européenne à la zone euro, via le rachat massif de dette publique. En réponse, la Commission européenne a évoqué ce dimanche une possible procédure en justice contre l’ Allemagne. Cette polémique pourrait menacer le plan de soutien européen pour faire face au coronavirus, et plus globalement, l’ensemble du cadre juridique de l’Union européenne. Explications.

Que reproche la Cour suprême allemande à la BCE ?

Le tribunal constitutionnel fédéral de Karlsruhe, plus haute juridiction du pays, a adressé le 5 mai dernier un coup de semonce inédit à la Banque centrale européenne. Elle reproche à l’institut de Francfort la politique de rachat massif de dettes publiques des Etats (2.600 milliards d’euros injectés sur les marchés) menée depuis 2015 et réactivée en novembre dernier

La Cour allemande considère que ce rachat de dettes permet à la BCE de monétiser la dépense publique, donc de financer les Etats de manière déguisée, ce qui est interdit par les traités », assure Jézabel Couppey-Soubeyran, économiste à Paris 1 Panthéon-Sorbonne. « Elle prend ici les statuts de la BCE au pied de la lettre, craignant une mise en péril de la stabilité des prix et une hausse de l’inflation, ce qui est pourtant discutable… ».

Les magistrats estiment que cette injection massive de liquidités affecte les citoyens allemands en entraînant « des pertes considérables pour l’épargne privée ». Ils ont donc lancé un défi sous forme d’ultimatum à la BCE : elle a désormais trois mois pour justifier des bienfaits de sa politique, de manière « compréhensible et détaillée », ou la puissante Banque centrale allemande se verra interdite d’y participer, ce qui mettrait en péril l’ensemble du processus et affecterait la zone euro.

Pourquoi cette attaque est inédite ?

Les magistrats de Karlsruhe n’ont pas seulement attaqué l’indépendance de la BCE. En la mettant en cause, ils refusent de se plier à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) qui avait validé cette politique de rachat de dettes fin 2018. Une décision « incompréhensible » selon les juges, qui a « totalement ignoré » les « conséquences économiques » des plans de soutien.

« Dans le droit européen, c’est pourtant la Cour européenne qui a compétence pour juger des actions de la BCE. En remettant en cause cette compétence juridictionnelle, c’est tout l’édifice du droit européen qui pourrait être délégitimé », rappelle Christian Lequesne, professeur à Sciences Po Paris.

« Le risque est de voir à l’avenir les Cours suprêmes de chaque Etat membre mettre en cause les décisions de la Cour européenne et menacer ainsi l’harmonisation du droit », poursuit le spécialiste de l’Europe. Cet arrêté du tribunal allemand a d’ailleurs été salué par la Hongrie ou la Pologne, qui sont régulièrement en confrontation avec la Commission pour faire primer leur droit national sur le droit communautaire.

Comment ont réagi les institutions européennes ?

Cet arrêt a créé une tempête au sein de l’UE. Après une réunion convoquée en urgence, la Banque centrale européenne a balayé les critiques le jour-même, indiquant qu’elle allait poursuivre sa mission d’aide à la zone euro. Et ce, d’autant plus, que l’économie a sombré dans une récession d’ampleur historique en raison de l’épidémie de coronavirus. C’est d’ailleurs sous ce même principe de rachat de dettes que 750 milliards d’euros ont récemment été débloqués par la BCE pour relancer l’économie du continent.

La Commission européenne a, elle, tapé du poing sur la table. « La parole ultime sur le droit européen est rendue au Luxembourg », siège de la Cour européenne, a tranché Ursula von der Leyen dimanche. La présidente de la Commission européenne a même évoqué une possible procédure en justice contre l’Allemagne à la suite du jugement très critique de sa Cour suprême.

Que va-t-il se passer ?

Ce problème pourrait être résolu si la BCE explique ce programme, a déclaré lundi Angela Merkel, selon des propos rapportés à Reuters par deux participants à une réunion des instances dirigeantes de la CDU, le parti conservateur de la chancelière allemande. « Le gouvernement fédéral n’est pas le tribunal de Karlsruhe, et même s’il y a probablement des alliés de Merkel qui sont sur cette ligne critique, notamment à la CSU, la chancelière devrait être, elle, une fois encore du côté du compromis », relativise Christian Lequesne. « Le plus probable est que la décision du tribunal allemand soit un simple coup d’épée dans l’eau, ajoute Jézabel Couppey-Soubeyran, mais cela aura créé une onde de choc bien déstabilisante dans la situation actuelle

 

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