Dans les médias comme sur les réseaux virtuels, les cancres prétendent réécrire l’Histoire mais encore faudrait-il qu’ils aient pris la peine de l’étudier.

En France, le plus troublant est la paralysie de la classe politique et des pouvoirs publics face à des propos à connotation raciste et des actes violents qui sapent la cohésion nationale et défient l’État. Personne ne sait ni n’ose trouver les mots qui pourraient réunir les Français…

Joséphine de Beauharnais sur la place de la Savane (Fort-de-France), avant et après sa destruction le 25 juillet 2020 (la statue avait déjà perdu sa tête en 1991)Après la destruction des statues de Victor Schoelcher le 22 mai 2020, des vandales s’en sont pris en Martinique aux statues de Joséphine de Beauharnais (!) et du navigateur Pierre Belain d’Esnambuc qui donna l’île à la France. Dans le même temps étaient souillées en métropole différentes statues dont celle de Colbert devant l’Assemblée nationale.

On attend la réponse du ministère de l’Intérieur, que l’on a connu plus réactif et même brutal quand il s’est agi de réprimer des révoltes sociales, Gilets jaunes ou syndicalistes (note).

Faut-il s’étonner de cette inertie gouvernementale ? Pas vraiment : contre la majorité des Français, y compris de tous ceux, ultra-marins, immigrés ou enfants d’immigrés, qui tirent fierté d’appartenir à une grande et belle nation, la classe politique s’applique depuis deux à trois décennies à réaliser l’utopie néolibérale et post-démocratique d’une société ouverte à tous les vents ; les revendications indigénistes, si absurdes soient-elles, lui facilitent la tâche en brisant les défenses immunitaires de la communauté nationale (note).

Quoi qu’il en soit du futur, rappelons quelques faits d’évidence, à savoir que la France n’a aucun motif de rougir de son Histoire même si celle-ci a pu être entachée de quelques horreurs (moins que toute autre région de la planète). Flattons-nous aussi de ce que la France soit avec l’Angleterre à l’origine de l’abolition de l’esclavage et de l’émancipation féminine. En matière de racisme, osons même soutenir qu’en aucun autre pays, y compris en Afrique, les noirs ont moins à se plaindre qu’en France…

André Larané

Race et Histoire : est-il permis de dire n’importe quoi ?

Pour l’heure, un tsunami déferle sur le pays comme sur le reste de l’Occident démocratique. Craignant pour leur salut, les historiens restent confinés dans leur bibliothèque cependant que les médias débordent de bêtise et d’ignorance. Sur BFM TV, une journaliste déclare comme une évidence que le général Gallieni aurait massacré 500 000 Malgaches, soit le quart de la population de la Grande Île en 1900 !

D’autres commentateurs, trop nombreux pour les nommer, expliquent le prétendu racisme d’État de la France par la colonisation.

Mais savent-ils bien ce que fut la colonisation de l’Afrique ? Un projet civilisateur de la gauche républicaine qui ne différait guère de celui des actuels coopérants et « médecins sans frontières ».

Pétrie de bons sentiments, la colonisation a donné lieu à beaucoup de crimes et d’abus mais au total nettement moins que les régimes issus de la décolonisation et guère plus que la coopération actuelle (abus sexuels, pillages, détournements de fonds…).

Par un grossier anachronisme, on dépeint maintenant aussi Colbert et Louis XIV comme d’odieux racistes. On peut reprocher à Louis XIV beaucoup de fautes et de crimes, des « dragonnades » au sac du Palatinat mais certainement pas d’avoir promu l’esclavage et la traite…

Le Roi-Soleil porta sur les fonts baptismaux un prince noir venu de Côte d’Ivoire et Colbert, parmi ses innombrables entreprises, eut à cœur de limiter les abus des planteurs dans de lointaines îles à sucre. Son code juridique plus tard appelé Code noir garantissait à tous les anciens esclaves, une fois affranchis, un statut de citoyen français à part entière. Ainsi ouvrait-il la voie à l’abolition, sans doute sans en avoir conscience… Pouvait-il faire plus dans un monde qui, à l’exception de l’Europe occidentale, pratiquait partout l’esclavage ?

S’il s’agit de désigner les grands tyrans de l’Histoire, le champion toutes catégories est sans aucun doute le Mongol Gengis Khan dont les conquêtes auraient entraîné la mort violente d’un quart des Asiatiques. Le chef zoulou Chaka s’est montré tout aussi ravageur à l’échelle de l’Afrique australe qu’il a largement dépeuplée…

Reste une triste réalité : sous toutes les latitudes, la guerre est une chose sale. Abd-el-Kader ou encore El-Hadj Omar n’avaient rien à envier à leurs adversaires Bugeaud et Faidherbe en matière de brutalités. Rappelons encore que de toutes les guerres, les pires sont les guerres civiles. Aucune population n’a eu sans doute plus à souffrir de l’armée française que les Vendéens. On pourrait dire la même chose des Irlandais vis-à-vis de l’armée anglaise.

En matière d’atrocités, il n’y a guère que Hitler et Mao qui puissent rivaliser avec les guerres de religion, la guerre de Trente Ans qui a déchiré l’Allemagne, la révolte des Taiping en Chine, la guerre civile de Russie ou la terreur des Khmers rouges. En matière d’esclavage, il serait également présomptueux d’établir un palmarès de l’horreur, de la traite atlantique à la traite saharienne. Rappelons qu’au Moyen-Orient, les malheureux voués au travail forcé faisaient l’objet d’une castration quasi-systématique, raison pour laquelle il ne se trouve plus personne pour reprocher aux musulmans leur pratique de l’esclavage.

Autant dire que si nous voulons honnêtement classer et hiérarchiser les horreurs de l’Histoire, nous ne verrons aucune corrélation entre leur niveau d’intensité et la couleur de peau ou la religion des victimes et des bourreaux.

Une Histoire en reconstruction permanente

Nous pouvons décider de notre avenir, nous ne pouvons pas changer l’Histoire et encore moins la juger. Nous pouvons seulement essayer de mieux la connaître afin de comprendre comment fonctionnent les êtres humains et les sociétés : c’est le travail dévolu aux historiens.  

Ceux-ci n’en finissent pas de réécrire le passé à la lumière de nouvelles découvertes, dans les archives et l’archéologie. Dans les dernières décennies, par exemple, c’est notre vision de la Préhistoire et de la Gaule qui a été bouleversée par la génétique et l’archéologie aérienne. Nous avons découvert en l’homme de Néandertal un lointain ancêtre plus évolué et bien moins brutal qu’on ne le croyait auparavant. Même rebond du côté de nos « ancêtres les Gaulois », plus divers et aussi plus civilisés qu’on ne l’eut cru.

Mais les historiens sont aussi des hommes et des femmes de leur temps. Ils revisitent le passé avec un regard biaisé…

C’est ainsi que le grand historien républicain Jules Michelet a écrit une magistrale Histoire de la Révolution sous la Seconde République (1848-1852), en mettant en avant le Peuple. Mais à aucun moment, il n’a pris la peine dans son livre d’évoquer le décret du 4 février 1794 (16 Pluviôse An II) par lequel la  Convention a aboli l’esclavage. Non qu’il fut insensible au sort des esclaves ; bien au contraire, il a applaudi à la deuxième abolition, le 27 avril 1848. Mais la première abolition n’eut à ses yeux aucune incidence sur le cours de la Révolution et ne méritait donc pas qu’on s’y attarde. Aujourd’hui, elle apparaît comme l’un des éléments centraux de la Révolution et sans doute est-elle mieux connue des jeunes Français que la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et la Nuit du 4-Août !

Autre exemple : la Première Guerre mondiale a été jusqu’à la fin du XXe siècle traitée sous les angles militaires et politiques. Les historiens se sont aussi penchés sur ses causes et ses conséquences tant politiques qu’économiques, sociales et culturelles. Les écrivains qui ont survécu aux tranchées ont pour leur part évoqué leurs conditions de vie dans des témoignages de forme romanesque. En ce XXIe siècle, le conflit n’est plus regardé que sous l’aspect humain. Dans nos sociétés post-nationales, les historiens, à l’image de leurs concitoyens, n’en finissent pas de se demander comment des millions d’hommes ont pu revêtir l’uniforme sans broncher et mourir pour un bout de tissu tricolore. Ils multiplient les enquêtes sur les mutineries et dépouillent à n’en plus finir les lettres de poilus, sans plus se soucier d’analyser les enchaînements politiques qui ont conduit à ces horreurs.

Les aléas de la mémoire

Les gouvernants, dans tous les régimes, toutes les sociétés et toutes les époques, s’attachent au passé mais d’une toute autre façon que les historiens. Ils y cherchent une légitimité sans grand souci de la vérité. Ce n’est pas le président Macron commémorant l’« illustre victoire » de Montcornet (17 mai 1940) qui nous contredira… Avec plus de prestance, les souverains apprécient de se donner une ascendance divine ou héroïque (Osiris, Amaterasu, Vénus, Énée, David…).

Plus sournois, les nationalistes recourent à l’archéologie pour justifier leurs prétentions. On l’a vu avec les nazis qui n’ont pas hésité à multiplier les expéditions archéologiques pour tenter de donner du crédit à leur théorie « aryaniste ».

Dans le même genre, le Turc Moustafa Kémal qui méprisait sa part d’héritage arabo-musulman, a voulu voir dans les Hittites, un peuple indo-européen du IIe millénaire av. J.-C., les précurseurs de la Turquie moderne. Son lointain successeur Recep Tayyip Erdogan a préféré quant à lui réveiller le souvenir de l’empire ottoman, avec l’ambition à peine cachée de le reconstituer, de la Libye aux Balkans en passant par la Syrie.

L’Iranien Réza chah Pahlévi a agi pareillement mais avec plus de pertinence en célébrant avec faste en 1971, à Persépolis, le 2500e anniversaire de la fondation de l’empire perse.

Les Français n’échappent pas à ce penchant pour la reconstruction de l’Histoire. Il s’est affirmé essentiellement sous la IIIe République. Ce régime né d’une défaite, celle de Napoléon III à Sedan, n’a eu de cesse de consolider sa légitimité face à une population provinciale qui lui était au départ plutôt hostile.

Cette légitimité s’est affirmée dans les années 1880 à travers des symboles : hymne national, fête nationale, Panthéon des gloires nationales, expositions universelles, statuaire…  Soulignons que la statuaire a connu son Âge d’or à cette époque, toutes les villes et tous les villages ayant souhaité ériger la statue d’une gloire locale en chacune de leurs places pour l’édification des citoyens (un siècle plus tard, on n’érige plus de statues mais on aménage des ronds-points, question de goût).

La IIIe République s’est bâtie aussi autour de deux projets fédérateurs :
• L’instruction publique laïque, gratuite et obligatoire destinée à réunir en un seul peuple des populations aussi diverses que les Bretons, Flamands, Corses, Basques, Auvergnats etc.
• La constitution d’un empire colonial destiné à diffuser les « valeurs universelles » portées par la République française.

Ces deux projets qui visaient l’un à « civiliser les paysans », l’autre à « civiliser les races inférieures », ont été portés par le même homme d’État, Jules Ferry.

Il a été magnifiquement servi par les pédagogues, à l’image d’Augustine Fouillée qui a publié en 1877 sous le pseudonyme G. Bruno : Le Tour de la France de deux enfants. Ce manuel de lecture a servi à l’éducation patriotique de tous les écoliers français jusqu’en 1940 et même au-delà. Il a réussi le tour de force de raconter l’histoire et la géographie de la France en n’évoquant jamais la monarchie ni l’Église (on ne badine pas avec la République). En dépit de cela, il a contribué à forger un socle commun de connaissances et de références pour tous les jeunes Français sans empêcher les universitaires de développer une réflexion contradictoire et approfondie sur l’Histoire.

Par la suite, à l’issue de l’occupation allemande, la Libération a conduit les Français à une vague d’épuration. Personne n’a vu d’inconvénient à débaptiser des plaques de rues aux noms d’anciens collaborateurs, à commencer par le Maréchal Pétain et Pierre Laval. Une autre vague d’épuration avait eu lieu bien plus tôt, sous la Convention, en 1793 et 1794, à la chute de la royauté, avec la destruction de quelques statues, monuments et objets d’art et le changement de noms de rues ou de places. Qui se souvient encore qu’à Paris, la place de la Concorde et la place des Vosges s’appelaient place Louis XV et place Royale. Après tout, quelle importance ? Napoléon Ier n’a aucune rue à son nom en France et très peu de statues (à Ajaccio, Cherbourg, Laffrey, La Roche-sur-Yon, Rouen). Cela n’empêche qu’il reste le Français le plus célèbre dans le monde entier, pour le meilleur et le moins bon.

Délires de l’épuration

L’épuration est le négatif de la mémoire. Elle est elle aussi de tous les temps. De l’Égypte pharaonique aux talibans d’Afghanistan, on n’en finirait pas de recenser les inscriptions effacées à coup de burin dans la pierre et les statues démolies à la pioche ou à l’explosif. À titre anecdotique, à Paris, dans le parc Montsouris, on peut voir une stèle avec une inscription selon laquelle elle aurait été érigée en 1806 sous le règne de [nom buriné]…

Évidemment, les braillards qui détruisent des statues comme celles de Schoelcher, Pierre Belain d’Esnambuc et Joséphine de Beauharnais en Martinique ou flétrissent celles de De Gaulle ou Gallieni sont loin de ces considérations et s’en contrefichent. Pressés d’effacer la mémoire du passé en vertu d’un credo puisé sur les réseaux virtuels, ils usent de la violence comme d’autres avant eux.

Statue de Victor Schoelcher à Fort-de-France (1904, Anatole Marquet de Vasselot)Leurs revendications, notons-le, sont parfois fondées. À Bristol, en Angleterre, il est étrange que les édiles de la fin du XIXe siècle aient cru bon d’honorer de toutes les façons possibles un mécène, Edward Colston, dont la fortune venait de la traite négrière. C’est comme si Medellin, en Colombie, érigeait des statues à la gloire de son bienfaiteur, le narcotrafiquant Pablo Escobar.

Plus subtilement, on peut s’interroger sur la statue du philanthrope Victor Schoelcher détruite à Fort-de-France le 22 mai 2020.

Non pas en raison de la personne mais de la statue elle-même. Cette oeuvre de belle facture artistique érigée en 1904 montre Schoelcher caressant la tête d’un enfant noir chargé de chaînes. Il y a là une démarche paternaliste qui peut être ressentie comme humiliante par les descendants d’esclaves. Il eut été pertinent que les élus du département ou de la ville se saisissent de la question et relèguent la statue dans un musée avant que des vandales ne la détruisent.

Il ne va pas de soi par contre de déboulonner aux États-Unis la statue du général Robert E. Lee, chef de l’armée sudiste, car celui-ci était hostile à l’esclavage et d’une facture morale très supérieure à la plupart des généraux nordistes.

On entend en France des voix s’élever contre le nom d’un général de la Révolution, Dugommier, donné à une station de métro parisienne. Autant que je sache, ce général s’est signalé par de belles actions et une grande générosité à l’égard de ses ennemis. Il n’a eu que le tort de naître en Guadeloupe, dans une famille de planteurs propriétaires d’esclaves.

L’enjeu est le même concernant les planteurs virginiens qui ont mené les États-Unis à l’indépendance, tels George Washington et Thomas Jefferson. Esprits généreux, ils n’avaient que le tort de n’avoir pas choisi le lieu et le moment de leur naissance.

Gare au syndrome de l’arroseur arrosé. Si l’on doit diaboliser une célébrité sous ce seul prétexte, il faudra renvoyer en enfer le héros absolu de tous les antiesclavagistes et des apologistes de la « race noire », le grand Toussaint Louverture en personne, qui a mené Saint-Domingue vers l’indépendance sous le nom de Haïti.

 

Affranchi par son maître, il put s’établir comme « libre de couleur »et posséda jusqu’à vingt esclaves.  Il n’y avait rien d’exceptionnel à cela dans les Antilles françaises au XVIIIe siècle : par la naissance ou l’affranchissement, un certain nombre de métis et de noirs étaient amenés à acheter et posséder des esclaves. Mais Toussaint Louverture a aggravé son cas quand il est devenu Gouverneur général de Saint-Domingue en replaçant les anciens esclaves sous le régime du travail forcé !

Comble de la bêtise, d’aucuns s’indignent aussi que de beaux immeubles du XVIIIe siècle, à Nantes et Bordeaux, s’ornent de mascarons (figures de pierre au-dessus des fenêtres) à l’effigie d’esclaves noirs ou de rois exotiques (voir plus haut). À ce compte-là, il nous faudra aussi épurer nos musées et nos livres de toutes les représentations un tant soit peu caricaturales de noirs mais aussi de jaunes, de roux, de laids, de sorcières, d’obèses, d’efféminés etc. etc.

Quoi qu’il en soit, la discussion est impossible avec des individus qui visent la destruction de la communauté nationale et plus largement de notre culture. Ceux-là ne méritent d’autres interlocuteurs que la police et la justice.

Louis DelgrèsPar contre, nous invitons nos concitoyens sincères qui rêvent d’une grande fraternité dans le cadre national, à réviser ensemble le grand  « récit national » de la IIIe République.

Intégrons donc à ce récit toutes les belles personnalités qui ont honoré la France – et réciproquement -, de Louis Delgrès à Kofi Yamgnane en passant par Alexandre Dumas, Félix ÉbouéAlain Mimoun et Zinedine Zidane.

N’excluons personne à l’image du très consensuel musée de l’Histoire de France installé par Louis-Philippe à Versailles, où sont représentés tous les grands moments de tous les régimes. Reprenons à notre compte la formule de Napoléon : « De Clovis jusqu’au Comité de salut public, je me sens solidaire de tout» , et adressons celle d’Ernest Lavisse à tous nos écoliers, sans distinction d’origine ou de classe : « Enfant, tu aimeras la France parce que la nature l’a faite belle et que son histoire l’a faite grande».

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