Dans les outre-mer, cette vérité change tout : les descendants d’esclaves n’ont pas reçu la liberté comme un don, ils l’ont conquise. Cette victoire arrachée par les ancêtres fonde une généalogie politique trop souvent interrompue dans le récit national. On a voulu faire de l’abolition un aboutissement. Elle n’était qu’un commencement.
De l’abolition à la départementalisation : la liberté ne suffit pas sans l’égalité
Après 1848, l’abolition met fin juridiquement à l’esclavage, mais elle ne met pas fin au système colonial. Les anciens esclaves sont libres, mais sans terre, sans capital, sans autonomie économique, et soumis aux mêmes structures de domination.
La départementalisation de 1946, portée notamment par Aimé Césaire, Léopold Bissol et Gaston Monnerville, s’inscrit comme la deuxième grande étape du combat d’émancipation : non plus seulement la liberté juridique, mais l’égalité sociale, politique et institutionnelle. Il ne s’agissait pas d’un ralliement à la France par confort, mais d’un choix stratégique de protection sociale, de citoyenneté pleine et de droits dans un monde encore profondément colonial.
L’abolition a brisé les chaînes. La départementalisation a voulu briser l’infériorité civique.
Le combat n’est pas achevé : l’égalité formelle n’a pas produit l’égalité réelle
Soixante-dix ans plus tard, le constat est lucide : vie chère structurelle, dépendance économique, importation massive, faiblesse de l’appareil productif, chômage massif des jeunes, vulnérabilités sanitaires, énergétiques et alimentaires.
L’égalité des droits a été largement acquise, mais l’égalité des capacités reste inachevée. Cela signifie que le combat de la départementalisation n’a pas été prolongé jusqu’à sa logique économique.
Le véritable continuum historique : liberté, égalité, autonomie de développement
On peut lire l’histoire ultramarine comme un triptyque de luttes : la lutte pour la liberté avec l’abolition de l’esclavage, la lutte pour l’égalité avec la départementalisation, et aujourd’hui la lutte pour la capacité de développement autonome.
Nous sommes engagés dans la troisième phase historique du combat ultramarin : non plus contre les chaînes, non plus seulement pour les droits, mais pour la maîtrise du modèle économique, énergétique, alimentaire, numérique et environnemental. C’est la phase de la souveraineté fonctionnelle, sans nécessairement rompre juridiquement avec la République.
Le piège mémoriel : présenter chaque avancée comme une faveur
Quand l’abolition est présentée comme un don, quand la départementalisation est présentée comme un cadeau, alors le développement est perçu comme une demande d’assistance. C’est historiquement faux et politiquement dangereux.
Le peuple ultramarin n’est pas héritier d’une dette. Il est héritier d’une victoire. Et donc légitime à exiger la suite logique de cette victoire.
Le contenu moderne du combat pour le développement
Le continuum du combat ultramarin doit désormais porter sur la sécurité alimentaire, la souveraineté énergétique, la maîtrise foncière, la transformation locale des richesses, la formation de haut niveau de la jeunesse, la capacité d’innovation autonome et la décision économique locale réelle.
Ce combat n’est ni un repli ni une rupture. C’est la maturation politique du combat historique.
L’abolition fut une victoire de liberté. La départementalisation fut une victoire d’égalité. Le développement autonome doit être la victoire de la capacité. Cette troisième étape est la continuité directe, logique et légitime des deux premières. On ne peut pas honorer les révoltes d’esclaves, commémorer Césaire et 1946, sans assumer aujourd’hui le combat pour la souveraineté de développement.



