Il est des œuvres dont la lumière traverse les décennies sans perdre une goutte de leur éclat, et des voix qui continuent de résonner bien après que leur souffle s’est tu. Aimé Césaire est de celles-là. À l’École Normale Supérieure de Paris, dans la salle même où germa une partie du « Cahier d’un retour au pays natal », une exposition d’exception invite, jusqu’au 10 janvier 2026, à revisiter l’univers, les engagements et la fulgurance poétique de l’un des plus illustres fils de la Martinique. Intitulée « Nous sommes de ceux qui disent non à l’ombre », elle déploie un parcours sensible et érudit qui restitue la densité d’un homme dont l’œuvre appartient désormais à l’humanité entière.
L’exposition embrasse les années cruciales de 1935 à 1956, période où se cristallisent les rencontres fondatrices, les combats politiques, les amitiés lumineuses et l’intense fermentation intellectuelle qui façonnèrent la pensée césairienne. Manuscrits, lettres, brouillons annotés, dessins, archives photographiques, correspondances inédites : chaque document présenté est un fragment vivant d’une constellation littéraire et artistique en plein essor. Le visiteur y découvre le Césaire intime, celui qui cherche, doute, questionne, s’émerveille et s’indigne, mais aussi le Césaire visionnaire, architecte d’un imaginaire neuf, celui de la négritude, conçu comme un cri et une renaissance.
Les institutions partenaires – l’INHA, la bibliothèque littéraire Jacques Doucet, la bibliothèque de l’Assemblée nationale, ainsi que plusieurs collections privées dont celle du peintre cubain Wifredo Lam – ont confié à l’ENS des pièces d’une rare valeur.
Les échanges entre Césaire et Lam, mis en scène de manière élégante, rappellent cette fraternité artistique singulière où le poète et le peintre, chacun maître de son médium, tissaient une œuvre commune : une esthétique du soulèvement, une esthétique du refus et de l’espérance. Les estampes originales de « L’Annonciation », exposées ici dans leur splendeur, témoignent de ce dialogue fraternel.
Cheminant au fil des vitrines, le public mesure l’ampleur des terrains traversés par Césaire : des paysages brûlés de Martinique qui imprégnèrent sa sensibilité (« cette nature martiniquaise qui a fait de moi ce que je suis », disait-il), aux rues effervescentes de Paris, des réseaux antillais et africains aux scènes intellectuelles de l’Europe et des Amériques.
Partout se dessine un même fil rouge : la quête d’une dignité reconquise, d’une humanité rendue à elle-même. L’exposition donne à voir cette négritude vivante, plurielle, mouvante, loin des caricatures doctrinaires, nourrie de rencontres, de solidarités et de révoltes partagées.
Mais l’événement ne se limite pas à l’exposition.
Le 4 décembre 2025, un colloque international viendra approfondir cette exploration en interrogeant la circulation mondiale de la poésie césairienne et les enjeux de sa traduction. Poètes, universitaires, traducteurs, chercheurs en littérature francophone : tous se pencheront sur la portée universelle du verbe césairien, sur sa capacité à franchir les continents, à dialoguer avec d’autres luttes, d’autres histoires, d’autres langues. Un moment fort du colloque sera consacré à la place des femmes dans la négritude, trop longtemps reléguées à l’arrière-plan alors qu’elles en furent des initiatrices essentielles. Suzanne Roussi Césaire, Paulette, Jane et Andrée Nardal seront – enfin – saluées à la hauteur de leur rôle dans l’édification de ce mouvement littéraire et politique majeur.
En clôture de ce parcours, les étudiants de l’association Africana-NS feront résonner les mots du poète lors d’une lecture-performance conçue comme un hommage vivant.
La voix de Césaire, réincarnée par celles de la jeunesse, rappellera que la poésie n’est pas un vestige mais une force active, qu’elle demeure une manière de prendre position dans le monde, de lutter contre les obscurités, de tenir debout. Car les graines semées par Césaire, cet « homme d’encensement », n’ont jamais cessé de croître : elles irriguent encore aujourd’hui les combats pour la justice, la liberté et la dignité humaine.
Avec cette exposition magistrale, l’École Normale Supérieure offre plus qu’un hommage : une invitation à relire Césaire, à réentendre ses colères, à ranimer ses fulgurances. Et peut-être, pour chacun, à rappeler que la poésie reste un des lieux où s’invente le courage de dire non à l’ombre.
Exposition : « Nous sommes de ceux qui disent non à l’ombre » — Aimé Césaire, poésie et engagement (1935-1956)
Jusqu’au 10 janvier 2026, 10h-18h — Bibliothèque des Lettres, ENS-PSL, 45 rue d’Ulm, 75005 Paris
Accès libre et gratuit
Colloque international : 4 décembre 2025
Renseignements : communication.bibliotheques@ens.psl.eu



