La signature des accords de Bougival en Nouvelle-Calédonie suscite, jusque chez nous, quelques regards admiratifs. Certains y voient un précédent, une inspiration, un possible modèle pour l’avenir statutaire de la Martinique. Mais il faut être clair : la Martinique n’est pas la Nouvelle-Calédonie, et ne le sera jamais.
Notre histoire, notre peuplement, notre rapport à la République sont profondément différents. Et surtout, il n’existe pas ici de mouvement massif, structuré et majoritaire en faveur d’un État martiniquais. Car pour beaucoup d’entre nous, par notre culture, notre langue, notre créolité, nous formons déjà une nation — mais une nation qui s’exprime dans la République.
Mais attention : ne pas vouloir de séparation ne signifie pas vouloir l’immobilisme. Ce dont nous avons besoin, ce n’est pas d’un drapeau — nous l’avons déjà — mais d’un cap. Et ce cap passe par plus de responsabilités martiniquaises, plus de cohérence, plus de courage politique.
Un vrai projet, pas une posture
Le rêve d’un État martiniquais n’est pas porté par la population. Il n’y a ni majorité pour cela, ni volonté constituante, ni dynamique citoyenne solide. Mais ce n’est pas une excuse pour continuer à subir un modèle économique et institutionnel qui ne fonctionne plus.
Nous restons enfermés dans une économie de dépendance, de rente et d’importation, héritée d’un temps où la Martinique n’était qu’un comptoir. Les jeunes s’exilent, les agriculteurs disparaissent, les services publics s’effondrent, et les compétences déjà transférées à la Collectivité Territoriale exigent une prise en main sérieuse et efficace.
Se prendre en main
Ce que les Martiniquais attendent aujourd’hui, ce n’est pas un débat statutaire abstrait, c’est de l’efficacité, de l’action, du résultat. La responsabilité martiniquaise se mesure chaque jour : dans la qualité de l’eau potable, des transports, de l’école, de la santé.
Il faut assumer pleinement les responsabilités locales, dans les domaines déjà transférés. Il est temps d’arrêter de tout attendre de Paris tout en refusant de faire le ménage chez nous. C’est à nous, maintenant, de montrer ce que nous savons faire.
Très concrètement, tant que nous subirons des grèves à répétition dans les transports publics, sans régulation, sans anticipation, la confiance dans l’élargissement des pouvoirs locaux restera faible.
Cela implique aussi un souffle économique nouveau. Il faut changer de modèle, soutenir la production locale, relancer l’agriculture, reconstruire une autonomie alimentaire, énergétique, culturelle. Redonner confiance aux jeunes, ici.
Pour faire société
La Martinique a besoin d’un espace pour se projeter ensemble., un Conseil d’orientation stratégique , réunissant les forces politiques, syndicales, économiques, culturelles, associatives et citoyennes du pays.
Ce conseil serait un lieu de construction collective, sans calcul partisan, pour tracer un projet martiniquais clair et durable. Mais cela suppose un effort partagé : cesser les procès réciproques, les blocages stériles, les guerres de chapelle, l’obsession des douleurs du passé
Instaurons une trêve politique, un moratoire sur les querelles de toutes sortes, pour nous concentrer sur les urgences : lutter contre la pauvreté, freiner l’exode, donner une perspective à notre jeunesse.
Une souveraineté concrète, dans la République
Nous ne voulons pas sortir de la République. Mais nous voulons agir pleinement en son sein, avec nos moyens, nos idées, notre énergie. Et quand nous parlons de République, nous parlons d’un régime dans lequel le pouvoir est exercé par des représentants élus du peuple, selon des règles communes — non par une autorité lointaine, indifférente à nos réalités.
Une République qui doit garantir partout, jusque dans nos territoires d’outre-mer, la souveraineté populaire, l’égalité devant la loi, la justice territoriale.
C’est cela, la voie martiniquaise : pas une copie de Bougival, pas une imitation calédonienne, mais une responsabilité assumée, un projet partagé, une dignité retrouvée.
Gérard Dorwling-Carter