(À propos du séjour à la Martinique du président Giscard d’Estaing en décembre 1974)


   José NOSEL   

 Ancien diplômé et enseignant universitaire de science politique

   Décembre 2020, cela fait 46 ans que le Président de la République Française, Mr Valéry Giscard d’Estaing, qui vient de décéder, avait séjourné, du 13 au 16 décembre 1974, à la Martinique, dans le cadre d’un voyage officiel aux Antilles, incluant une rencontre au sommet, avec le Président des Etats Unis, Mr Gerald Ford.

    Les mémoires historiques ont souvent retenu, la rencontre au sommet, tant, dans ses aspects « exotiques » à l’hôtel de la Plantation Leyritz, à Basse-Pointe, par exemple, que, dans ses aspects, plus diplomatiques, à l’hôtel Méridien, au Trois Ilets, d’autre part. Notons, en passant, pour le regretter, que ces deux fleurons de l’hôtellerie Martiniquaise, jadis, ont disparude notre paysage touristique.

      Les mémoires historiques, de décembre 74, ont souvent retenu, aussi, la rencontre ratée, en Mairie, entre Aimé Césaire, le député-Maire de Fort de France, à l’époque, et le Président de la République de passage. Des explications diverses ont fleuri sur ce ratage, dans la presse, comme dans les quolibets (le coq gaulois aurait « cayé » devant le coq martiniquais), même si les réseaux sociaux n’étaient pas encore nés.

        Pour ce qui concerne, la mémoire personnelle de l’auteur de ces lignes, je retiens notamment, mon association indirecte à la préparation de la visite du Président Giscard d’Estaing. En ma qualité de collaborateur du Député Camille Petit, Maire de Sainte Marie, j’ai eu à répondre aux différentes instances sollicitant le député maire, sur le contexte de sa circonscription, laquelle avait connu, les graves évènements de Chalvet, ayant conduit à la mort, en février 1974, de Renor Ilmany et Georges Marie-Louise. J’ai raconté cet épisode, et mes relations, à cette occasion, avec le préfet Christian Orssetti, dans mon ouvrage « Partages de lectures », éditions Société des écrivains, 2018, Paris, 117 pages

        Faut-il ajouter, aussi, pour rester dans le registre des mémoires, que ce n’est que maintenant, après sa mort, que bien de nos concitoyens, du continent, comme dans les outremers, se remettent en mémoire, que c’est sous le mandat de Valéry Giscard d’Estaing, de 1974 à 1981, qu’ont eu lieu des réformes, notamment sociétales et économiques, qui ont impacté durablement la société française : – L’abaissement de l’âge de la majorité de 21 à 18 ans- La réforme de l’audiovisuel français, (création de TF1 et Antenne 2 et Radio France…)- La légalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) (Simone Veil)- La possibilité de divorce par consentement mutuel- L’organisation de l’enseignement secondaire (collège unique)- La réforme du Conseil Constitutionnel- Pour nous, en Martinique, la Nationalisation de l’électricité (la SPDEM devient EDF) – Le lancement du TGV- Etc…..

Revenons cependant à la rencontre ratée, entre Valéry Giscard d’Estaing et Aimé Césaire, pour en évoquer un aspect plus durable, sur les perceptions de l’un et de l’autre sur les réalités martiniquaises et les conséquences qui pouvaient en découler, de nos jours encore.

     Dans les 4 pages consacrées à Valéry Giscard d’Estaing,dans son N° du 4 au 6 décembre, le journal France-Antillesconsacre, fort à propos, presqu’une page à ce ratage. Nous voulons retenir surtout, ici, la réponse fournie par Aimé Césaire, à la question du Nouvel Observateur :

Qu’aurait dit Aimé Césaire à Valery Giscard d’Estaing ?

                       A la question posée par l’envoyé spécial du Nouvel Observateur au député maire de Fort de France, qu’aurait-il dit à Valéry Giscard d’Estaing ? Le député-Maire aurait fait la réponse suivante, parue dans le n° du journal du 22 décembre :

             « Giscard a prétendu, tout au long de son voyage, que le problème politique était réglé, il n’avait pas à en parler…je lui aurait dit que cela est faux. Qu’il n’y a ici qu’un seul problème : le problème politique. Rien, absolument rien ne sera réglé avant qu’il ne soit tranché. Nous sommes ligotés dans un statut tel que nous ne sommes pas maitres de notre destin. Nous n’avons ni le droit d’initiative, ni le droit à la responsabilité »

          Dans un premier temps, il faut reconnaitre que VGE (Valéry Giscard d’Estaing) avait raison.                                     De son point de vue, qui peut être qualifié d’objectif, leproblème politique était réglé ; car, en effet, c’est lui qui avait gagné l’élection présidentielle, 7 mois plus tôt, et non François Mitterrand, le candidat de la plus-part des personnels politiques de la Martinique, dont Aimé Césaire. Les électeurs Martiniquais, comme ceux du continent avaient tranché le problème politique. 

   Sur 60,19% de votants, en 1974 (39,81% d’abstention donc), 55120 voix, soit 57,08% s’étaient portées sur Valéry Giscard d’Estaing. Et 41441 voix, soit 42,92% s’étant portées sur François Mitterrand

    Les électeurs martiniquais prenaient des lors une sorte d’habitude, qu’ils récidiveront, par la suite, d’infliger de sérieux revers à leurs personnels politiques.

    Au « coup suivant », alors que leur personnel politique, pour beaucoup, les invitait à voter pour François Mitterrand, sur 55,7% de votant, soit 44,93% d’abstention donc, ce sont 80 653 voix, soit 80,56 % qui se portaient sur VGE ; Tandisque Mr François Mitterrand, qui ne recueillait, chez nous, que 19 459 voix, soit 19,44%, était élu…au plan national.

     Et si, probablement, dans un second temps, Aimé Césaire, avait vu juste ! Et n’avait-il pas aussi raison, dans son propos de 1974, disant : « Qu’il n’y a ici qu’un seul problème : le problème politique. Rien, absolument rien ne sera réglé avant qu’il ne soit tranché »

Par la suite, et depuis cette date de 1974, la gauche est arrivée au pouvoir en 1981, il y a eu le moratoire du PPM, on a vu arriver les réformes de décentralisation, les nouvelles institutions du Conseil Régional, puis de la Collectivité territoriale de Martinique.  Des « évolutions » incontestables donc. Mais ont-elles contribué à faire mentir cette autre partie du propos d’Aimé Césaire, disant : Nous sommes ligotés dans un statut tel que nous ne sommes pas maitres de notre destin. Nous n’avons ni le droit d’initiative, ni le droit à la responsabilité »

   Cette situation à pour nom, en science politique, l’Hétéronomie. C’est dans cette situation semble-t-il que se débattraient les Martiniquais, hésitant à prendre leur destin en main. Certains, du haut de leurs convictions idéologiques leur reprochent ces hésitations. Mais à chaque crise grave, chacun, de manière consciente ou implicite font hommages à cette situation d’hétéronomie. Il ne donne pas toujours de « droit d’initiative, ou de responsabilité », certainement. Certains assistent, avec frustrations, même quand ils pourraient être associés, de voir l’Etat, le Préfet, et l’ARS, décider de notre destin, dans l’actuelle situation, qui n’est pas seulement une crise sanitaire. Mais cette situation d’hétéronomie donne cependant des « garanties ». Lesquelles garanties reposent, en partie, voire principalement, sur l’Etat, et l’Europe. Que serait Saint Martin et Saint Barthélémy, sans ces garanties, en dépit de leurs statuts, après le passage du cyclone IRMA. De même, certains analystes n’hésitent pas à dire que le paysage politique de la Guadeloupe a « évolué » sensiblement après le passage du « méchant » cyclone Hugo le 16 septembre 1989.

    Tout cela, pour dire que la situation d’hétéronomie présente parfois, un certain « confort » en termes d’initiative ou de responsabilité qu’elle évite d’assumer, puisse que l’on sait qu’elles seront assumées par d’autres. Mais un tel « confort » n’est pas sans inconvénients : le sentiment de ne pas maitriser son destin peut devenir insupportable, jusqu’au jour où on décide de prendre le chemin de la maitrise de son destin. 

A l’évidence les circonstances actuelles seraient peu propices pour que les Martiniquais prennent ce chemin. Et pourtant, de nombreuses initiatives, à encourager, et soutenir, vont dans ce sens, ici, chez nous. Qu’il s’agisse de celles qui visent des actions de souveraineté alimentaire. Qu’il s’agisse de celles qui visent des actions de souveraineté sanitaire. Qu’il s’agisse de celles qui visent des actions de souveraineté énergétique

                                                                                                          Fort de France le 6/12/2020

                                                                                                         José NOSEL.

Partager.

Laissez votre commentaireAnnuler la réponse.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Exit mobile version