par Selim Lander

Dans la série des monographies consacrées par la Fondation Clément à des peintres martiniquais (Charpentier, Breleur, Hélénon, Khokho, Laouchez) s’ajoute pour la première fois une artiste, martiniquaise d’adoption. Luz Severino est née en 1962 en République dominicaine où elle fit son premier apprentissage d’artiste, avant New York. La Fondation Clément qui l’a exposée à plusieurs reprises l’a accueillie pour une exposition personnelle, Dentro del Bosque, en 2019. Même sans fréquenter les expositions, les Martiniquais connaissent ses deux ensembles de sculptures métalliques anthropomorphes, « Avançons tous ensemble » et « Nous partons chercher la liberté » situés respectivement dans les jardins de l’Habitation Clément et de la distillerie La Mauny. Quant aux étudiants, ils peuvent contempler dans le restaurant universitaire l’une de ses installations dénonçant la surconsommation et le gaspillage.

Comme beaucoup d’artistes plasticiens de nos jours, Luz Severino est une artiste engagée. Dans le premier ensemble de la série de sculptures anthropomorphes exposé au musée d’Art moderne de Saint-Domingue et intitulé « Salir del Hoyo », « Sortir du trou », les figure verticales sont enfermées dans un cercle comme pour indiquer qu’elles sont prisonnières de leur condition ou de leur aliénation. Certes, un personnage a bien mis un pied hors du cercle, ce qui semble indiquer un espoir de libération mais ce personnage est très différent des autres, fait de bois et non de métal et surtout nettement plus grand. Faudrait-il en déduire que la foule prisonnière a besoin d’un meneur pour se libérer, au risque de la contradiction car les leaders se muent facilement en dictateurs ? Notons que les titres des autres ensembles de la série, un peu plus tardifs, transmettent un message plus positif et, ce qui est tout aussi significatif, aucun personnage qui pourrait faire figure de chef ne se détache de ces ensembles.

La critique de la société de consommation qui fait partie, comme déjà noté, des thèmes développés par l’artiste a été illustrée lors d’une exposition collective à la Fondation Clément en 2009-2010 par une installation intitulée « Table de multiplications ». Neuf tableaux représentant des visages étaient suspendus dont pendaient de longues robes blanches. Les visages, à peu près indistincts, apparaissaient brouillés par une profusion de chiffres, allusion directe à notre société matérialiste qui fonctionne sur la base de l’accumulation et du gaspillage. Mais que penser alors des robes blanches, symboles de pureté ? À nouveau, l’œuvre ouvre sur une contradiction, à moins qu’il ne faille l’interpréter comme une critique encore plus virulente , celle de notre hypocrisie : Ne nous parons-nous pas en effet de grands sentiments, d’idées généreuses, nous allons sauver la planète, etc. tout en nous entêtant dans nos mauvaises habitudes ?

L’écologie était au cœur de l’exposition personnelle Dentro del bosque. Elle comprenait une installation éponyme, un ensemble de tubes recouverts de plâtre et de sisal représentant des troncs d’arbre filiformes. L’installation était « pénétrable », on pouvait circuler à l’intérieur, ce qui justifiait directement son titre « Dans la forêt ». Si l’impression était plastiquement intéressante, ces maigres troncs blanchâtres, dépourvus de branches et de feuilles, évoquaient plutôt un paysage de désolation. Mais L. Severino aime les contrastes, l’ambiguïté et cela se vérifiait ici aussi à considérer le reste de l’exposition qui présentait des tableaux d’arbres colorés, une nature belle et apaisée. Ces toiles très élaborées techniquement sont typiques d’une nouvelle manière de l’artiste ; elles combinent la peinture à l’huile sur toile, le collage de détails de gravures réalisées par ailleurs, le grattage et ce qui frappe immédiatement le regard des fils de couleur cousus sur les troncs (1).

Le livre qui vient de paraître présente d’autres facettes de l’œuvre de L. Severino et quelques photographies de l’artiste au travail. Loin d’être anecdotiques, comme on pourrait le croire, ces photos communiquent quelque chose du caractère de l’artiste et aident à lever un pan du mystère de son art. Seuls regrets, le format légèrement réduit et l’abandon du papier glacé pour ce nouvel ouvrage de la collection, qui nuisent à la qualité de certaines reproductions.

Luz Severino, textes de Sophie Ravion D’Ingianni, Felicia Margarita Grullŏn Perera, entretien avec Christian Lassalle, photographies d’Anne Chopin. Édition bilingue, Fondation Clément – Éditions Hervé Chopin, 2023, 160 p. 35 €.

(1) L’un de ces tableaux, « Danza en el bosque », est actuellement exposé à la Pinacothèque de la Fondation Clément au François.

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