« Nous ne tendons à rien de moins qu’à libérer l’homme de couleur de lui-même. » Tel est l’objectif que poursuivra Frantz Fanon à travers toute son ?uvre intellectuelle. Elle puise dans son expérience comme il l’explique dès son premier ouvrage, Peau noire, masques blancs(1952)  : « L’objectivité scientifique m’était interdite, car l’aliéné, le névrosé, était mon frère, était ma s?ur, était mon père. »

Né en 1925 à Fort-de-France, dans une famille de la petite bourgeoisie martiniquaise, le jeune Fanon s’engage dans les Forces françaises libres durant la Seconde Guerre mondiale et fait l’expérience du racisme des Français envers les Noirs. Démobilisé en 1945, il repart vers la Martinique, où il passe son baccalauréat. En 1946, il part étudier la médecine à Lyon, avant de s’orienter vers la psychiatrie. C’est après sa thèse, soutenue en 1951, qu’il publie Peau noire, masques blancs.

Dans ce livre, qu’il décrit comme une « étude clinique », il analyse « l’aliénation » du colonisé, et plus particulièrement du Noir antillais. Pour le jeune psychiatre martiniquais, cette aliénation est inhérente au système colonial. « Le colonialisme exerce une violence psychique, son discours  : lecolonisé est ?laid?, ?bête?, ?paresseux?, a une sexualité ?maladive?, explique la politologue Françoise Vergès. Et pour Fanon, le colonisé finit par intégrer ces discours de stigmatisation, le sentiment d’être inférieur, il finit par mépriser sa culture, sa langue, son peuple, il ne veut plus alors qu’imiter, ressembler au colonisateur. »

Décoloniser les esprits

Cette volonté du colonisé de ressembler au colonisateur, Fanon l’observe chez les siens mis en contact avec la métropole. Ils adoptent le français, langue du colonisateur, rejetant le créole. Voulant se rapprocher le plus possible du Blanc, les Antillais se mettent même à distance des Noirs africains, qu’ils n’hésitent pas à considérer comme inférieurs, comme les « véritables nègres ». Selon Fanon, cette « négrophobie » des Noirs envers d’autres Noirs est caractéristique de l’aliénation qui s’est emparée de ses frères. Ces derniers ont intériorisé ce système colonial qui place le Blanc tout en haut de l’échelle des races. Ainsi « le Noir n’est pas un homme », « le Noir est un homme noir »qui « veut être blanc », et c’est bien là le signe de son aliénation. Pour Fanon, le Noir ne sera pleinement homme que lorsqu’il sera débarrassé de cette aliénation qui le déshumanise.

Cette aliénation qu’il décrit chez le Noir antillais, Fanon l’observe également chez les colonisés d’Afrique du Nord à partir de 1953, alors qu’il occupe le poste de médecin-chef à l’hôpital psychiatrique de Blida, en Algérie. Désormais, toute son énergie et sa pensée seront consacrées à cette question  : comment guérir le colonisé de son aliénation, lui permettre de devenir libre, d’accomplir son humanité  ?

Sa réponse ne tarde pas. Le seul moyen de sortir de l’aliénation est la décolonisation, pas seulement celle du territoire, mais aussi celle des esprits. Elle doit permettre au colonisé d’accomplir pleinement son humanité. Cette idée, déjà en germe dans Peau noire, masques blancs, est pleinement explicitée dans Les Damnés de la Terre (1961)  : « La décolonisation est très simplement le remplacement d’une ?espèce? d’hommes par une autre ?espèce? d’hommes ». La décolonisation doit ainsi créer une nouvelle espèce d’hommes, en supprimant le clivage de la race, socle du système colonial.

Il faut dépasser l’antagonisme entre colons et colonisés, entre Blancs et Noirs, afin que l’humanité soit une. Cette universalité de la condition humaine est chère au jeune psychiatre. Au nom de celle-ci, il dit prendre garde tout autant aux Noirs qui veulent devenir blancs qu’aux Noirs qui exaltent des valeurs noires supérieures. « Pour nous, celui qui adore les nègres est aussi ?malade? que celui qui les exècre », écrit-il dans Peau noire, masques blancs, estimant que « le Noir qui veut blanchir sa race est aussi malheureux que celui qui prêche la haine du Blanc. » Exalter la race noire contre le Blanc, n’est-ce pas encore pour le Noir s’enfermer « dans sa noirceur », alors que le but est justement d’en sortir  ?

Fanon et la négritude

Si Fanon émet des réserves sur l’exaltation par les Noirs de leur culture, d’un passé noir, il ne néglige pas pour autant le courant de la négritude (encadré ci-dessous). Fanon s’oppose à Jean-Paul Sartre qui considérait la négritude comme une simple étape, un simple « passage » vers l’accomplissement de l’humanité  [1] . Mais faire de la négritude le « temps faible » d’une progression vers une société sans races, comme le fait Sartre, n’est-ce pas de facto ôter au Noir la possibilité d’y recourir  ? Le discours sartrien « détruit l’enthousiasme noir », écrit ainsi Fanon dans Peau noire, masques blancs. Le penseur martiniquais dit au contraire avoir « besoin de (se)perdre dans la négritude absolument » avant de la dépasser. C’est là que pointe la complexité de la pensée de Fanon.

Si Fanon estime que les Noirs ont besoin de se reconnaître dans un passé commun, il affirme qu’aucun homme ne doit pour autant être prisonnier de son passé. Les hommes doivent plutôt chercher à construire leur avenir. Il ne faut pas « fixer l’homme » – sous-entendu le fixer dans son histoire, dans sa situation de colonisé, ou d’ancien esclave pour les Noirs – mais « lâcher l’homme[2] ».

Apôtre de la violence  ?

La sortie de l’aliénation passe par la décolonisation, et une décolonisation nécessairement violente qui « laisse deviner à travers tous ses pores des boulets rouges, des couteaux sanglants », explique-t-il dans Les Damnés de la Terre. Fanon se ferait-il l’« apôtre de la violence [3] ».

La violence révolutionnaire est certes l’un des thèmes centraux des Damnés de la Terre. Mais la pensée de Fanon fut quelque peu déformée par Sartre, qui signa la préface du livre, explique la philosophe Magali Bessone  [4]   : « La préface de Sartre radicalise le discours de Fanon et pose la violence comme fin en soi. » Or, chez Fanon, la violence des colonisés n’est pas une fin en soi. Elle est plutôt un moyen de sortir de l’aliénation. Elle est en outre une « contre-violence » en ce qu’elle est une réponse à celle exercée par le système colonial. Dans l’esprit de Fanon, la violence est ainsi l’unique moyen pour le colonisé de se libérer d’un système colonial lui-même violent.

Le colonisé doit conquérir lui-même son émancipation. Il ne doit pas se voir accorder sa liberté, il doit l’obtenir par la force, sinon la désaliénation n’aura pas lieu. Pour Fanon, qui écrit Les Damnés de la Terre en pleine guerre d’Algérie, « l’homme se libère dans et par la violence », une violence qui « désintoxique » et « débarrasse le colonisé de son complexe d’infériorité ».

Fanon l’Algérien

Les textes militants de Fanon, la véhémence des Damnés de la Terre, lui ont valu d’être longtemps marginalisé en France. Fanon, qui avait rejoint le Front de libération nationale (FLN) en Algérie en 1955, démissionne de son poste à l’hôpital psychiatrique de Blida l’année suivante. En retour, il reçoit un arrêté d’expulsion. Il part alors pour Paris, puis pour Tunis, où il devient l’une des plumes du journal du FLN, El Moudjahid, à partir de 1957. Convaincu de la nécessité d’une solidarité panafricaine en vue de la décolonisation du continent, il voyage aussi dans plusieurs pays d’Afrique, notamment au Ghana, en Guinée ou au Congo, en tant que représentant itinérant du gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) en 1960. Entre-temps, son ?uvre est censurée par les autorités françaises. L’An V de la révolution algérienne est saisi dès sa sortie en 1959. Rédigé quelques mois avant sa mort, alors qu’il se sait atteint d’une leucémie, Les Damnés de la Terre est imprimé dans des conditions de semi-clandestinité, puis interdit lors de sa diffusion en 1961, pour « atteinte à la sécurité intérieure de l’État ». Mais ses textes sont abondamment commentés après sa mort, survenue en décembre 1961, et dans la décennie suivante.

L’amnésie française

La véritable éclipse de Fanon se produit à partir des années 1970. Il devient alors « un philosophe maudit » en France, « pays pour lequel la guerre d’Algérie n’a pas eu lieu », note sa biographe Alice Cherki  [5] . Mais si Fanon est marginalisé en France pour sa participation à la lutte du FLN, c’est, parallèlement, de son vécu algérien qu’il tire son universalité. Il n’est ainsi pas seulement un penseur de la question noire, il a pensé les dérives du système colonial dans son ensemble. Et c’est bien pour sa condamnation radicale du colonialisme français qu’il est demeuré longtemps occulté en France. « En redonnant à la colonie son rôle dans la construction de la nation, de l’identité nationale et de la République française, Fanon fait apparaître comment la notion de ?race? n’est pas extérieure au corps républicain et comment elle le hante », remarque ainsi F. Vergès. Dévoilant le clivage racial au fondement du système colonial, Fanon gêne le républicanisme d’une France qui se dit indifférente aux différences, mais qui, dans son propre empire colonial, a dénié des droits à des populations au motif de leur « race » dite inférieure.

Un retour en France  ?

Alors qu’en France elle sombre dans l’oubli, la pensée voyageuse de Fanon parcourt le monde. Elle imprègne ainsi la réflexion de chercheurs anglophones via le courant des postcolonial studies*. Après ce détour anglophone (encadré ci-dessous), un retour de Fanon s’observe en France depuis un peu plus d’une décennie. La biographie de F. Fanon par A. Cherki a permis la redécouverte de l’auteur martiniquais au début des années 2000. L’essor des études postcoloniales à la française, les travaux sur l’esclavage et la colonisation de certains chercheurs français remettent à l’honneur l’analyse du texte fanonien  [6] .

Cependant le retour de Fanon en France apparaît incomplet. Il y est rarement abordé comme un théoricien, estime ainsi le philosophe politique Matthieu Renault. La publication d’?uvres biographiques sur Fanon, au détriment d’essais sur sa pensée, semble un symptôme de la difficulté française à le lire autrement que comme un militant, comme si « l’homme d’action ne saurait être en même temps homme de pensée [7] ».

Fanon reste donc encore et toujours à relire  [8] . Le cinquantième anniversaire de sa mort montre paradoxalement à quel point il demeure largement ignoré en France, alors même que certaines de ses pages, sur le racisme ou sur le devenir des pays africains après les indépendances, sont d’une surprenante actualité.

Mot-clé : Postcolonial studies

Les postcolonial studies émergent dans les années 1980, s’étendant des États-Unis à l’ensemble de la sphère culturelle anglophone, dont le Royaume-Uni, l’Australie et l’Inde. Transdisciplinaire, ce courant entend dépasser par la critique ce qui survit du passé colonial dans les manières de voir et les discours contemporains

Frantz Fanon

Psychiatre et écrivain martiniquais, né en 1925, il publie son premier ouvrage Peau noire, masques blancs en 1952. Devenu médecin-chef à l’hôpital psychiatrique de Blida, en Algérie, à partir de 1953, il constate la situation de «?déshumanisation systématisée des indigènes?» et rejoint le combat du Front de libération nationale (FLN) alors que débute la guerre d’Algérie. En 1957, il rejoint Tunis, où il collabore au journal du FLN, El Moudjahid. En 1959, Frantz Fanon publie L’An V de la révolution algérienne. Alors qu’il se sait atteint d’une leucémie, il rédige son dernier ouvrage, Les Damnés de la Terre, publié en novembre 1961. Il meurt aux États-Unis le mois suivant, à l’âge de 36 ans.

Le détour anglophone

Si Frantz Fanon est peu à peu mis à l’écart du débat intellectuel français après sa mort, sa pensée essaime outre-Atlantique. Ses livres sont traduits et diffusés aux États-Unis dès les années 1960. Les Damnés de la Terre rencontre un écho considérable auprès des Noirs américains. Fanon sert de référent théorique au mouvement des Black Panthers. Ses membres voient dans l’œuvre fanonienne la révélation de leur situation de «?colonisés domestiques?» au sein même de la société états-unienne (1).?

Après les mouvements noirs radicaux, la pensée de Fanon prospère dans le champ académique anglophone, via le courant des postcolonial studies* des années 1980. La critique fanonienne de la situation coloniale d’après-guerre est alors étudiée dans les universités aux États-Unis, en Australie, en Angleterre, en Inde… Fanon devient une référence majeure, et avec lui d’autres écrivains francophones comme Albert Memmi, Aimé Césaire ou Édouard Glissant. L’intellectuel indien Homi K. Bhabha (2), figure cardinale des subaltern studies, relit ainsi Peau noire, masques blancs qui est devenu «?l’un des livres de chevet du tournant postcolonial de la pensée contemporaine?», note l’historien Achille Mbembe (3).?

La force de Fanon est de montrer que le système colonial repose certes sur une domination territoriale, économique mais aussi sur une domination psychologique des colonisés. Le système colonial, fondé sur le postulat de l’inégalité des races et de la supériorité européenne, précipite l’aliénation du colonisé, celui-ci voulant ressembler au colonisateur blanc. Il faut donc «?libérer l’homme de couleur?» de son aliénation et, pour ce faire, déconstruire la logique coloniale. Cette démarche de Fanon rejoint celle des postcolonial studies, qui vise à déconstruire les discours contemporains conservant des traces du passé colonial. En outre, la volonté de Fanon de déplacer le regard depuis l’Europe vers les «?autres?», les colonisés, fait écho à la volonté de chercheurs à la fois des postcolonial studies et des subaltern studies de «?provincialiser?» l’Europe (4), de s’attaquer aux postulats eurocentristes dans les sciences humaines, et plus largement «?de sortir d’un rapport de pouvoir fondé sur la domination du monde occidental sur le reste du monde?», comme le note la géographe Béatrice Collignon (5).

NOTES
?(1) Alice Cherki, Frantz Fanon. Portrait, Seuil, 2000. A. Cherki indique que les fondateurs des Black Panthers «?font des Damnés de la Terre “un texte de base ”, (…) nomment “colonialisme domestique” leur propre situation dans la société américaine?».
?(2) Maria-Benedita Basto, «?Le Fanon de Homi Bhabha. Ambivalence de l’identité et dialectique dans une pensée postcoloniale?», Tumultes, n° 31, 2008.
?(3) Achille Mbembe, «?L’universalité de Frantz Fanon?», in Frantz Fanon, Œuvres, La Découverte, 2011.
?(4) Dipesh Chakrabarty, Provincialiser l’Europe. La pensée postcoloniale et la différence historique, Amsterdam, 2009.
?(5) Béatrice Collignon, «?Note sur les fondements des postcolonial studies?», EchoGéo, n° 1, juin-août 2007.

Justine Canonne

Fanon et les chantres de la négritude

Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor sont cités par Frantz Fanon? dès son premier ouvrage Peau noire, masques blancs. Les deux écrivains noirs furent à la fois ?source d’inspiration et de critique pour le jeune psychiatre.

Dans les années 1930, trois étudiants originaires des colonies françaises, l’Antillais Aimé Césaire, le Sénégalais Léopold Sédar Senghor et le Guyanais Léon Gontran Damas, se réunissent à Paris autour de la revue L’Étudiant noir et créent le terme de «?négritude?». Les jeunes écrivains dénoncent la ségrégation entre citoyens français et colonisés ainsi que l’oubli du passé africain, de la traite, de l’esclavage. Contre l’assimilation culturelle des Noirs, ils se prononcent pour leur émancipation, en exaltant une identité, une culture, une histoire noire commune. Frantz Fanon s’intéressera au courant littéraire et politique de la négritude, qui s’exprime notamment à travers la revue Présence Africaine, fondée en 1947. Dès l’introduction de Peau noire, masques blancs, Fanon cite ainsi le «?Discours sur le colonialisme?» de Césaire?: « ?Je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme.?» La position de Fanon envers le courant de la négritude est ambivalente. Si le psychiatre martiniquais prône l’universalité de la condition humaine, qui le conduit à rejeter l’exaltation d’une ethnie ou d’une culture particulière, la négritude lui paraît pourtant un instrument important de la «?conscience noire?», qui doit permettre de briser les chaînes du colonialisme.

Léopold Sédar Senghor ?(1906-2001)? :
Poète, écrivain, et premier président de la République du Sénégal, Senghor a marqué le mouvement de la négritude. Il définit celle-ci comme un «?ensemble des valeurs de la civilisation noire?». Soucieux d’exalter une culture noire différente de celle de l’Europe, il vanta la sensibilité émotive du Noir, ce qui lui fit écrire dans L’Homme de couleur, en 1939?: «?L’émotion est nègre comme la raison hellène.?» Une phrase qui lui fut reprochée par certains de ses contemporains, dont Fanon?: exalter la sensibilité émotive du Noir – comme le fait Senghor – et rejeter la rationalité dans le camp de l’Europe, c’est en quelque sorte donner des armes intellectuelles au Blanc pour justifier une supposée supériorité culturelle européenne.?

?Aimé Césaire (1913-2008)? :
C’est alors qu’il étudie au lycée Louis-Le-Grand, à Paris, que le Martiniquais Césaire rencontre le Sénégalais Senghor. Ensemble, ils fondent la négritude, que Césaire définit comme «?la conscience d’être noir, simple reconnaissance d’un fait qui implique acceptation, prise en charge de son destin de Noir, de son histoire et de sa culture?». Devenu agrégé de lettres, il publie Cahier d’un retour au pays natal, en 1939. Après la Seconde Guerre mondiale, il s’engage en politique, sous l’impulsion de ses amis communistes. Élu député de Martinique, maire de Fort-de-France, il se prononce pour la départementalisation des «?vieilles colonies?» d’outre-mer. En 1950 paraît son célèbre «?Discours sur le colonialisme?», virulente dénonciation de l’idéologie colonialiste européenne, que Césaire n’hésite pas à comparer au nazisme.

Justine Canonne

Les oeuvres de Frantz Fanon

Peau noire, masques blancs.
1952, rééd. Seuil, coll. «?Points?», 2001.
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Dans ce premier ouvrage, le jeune psychiatre martiniquais explique entreprendre une «?interprétation psychanalytique du problème noir?». Frantz Fanon entend déconstruire les mécanismes d’infériorisation qui sous-tendent les relations entre Noirs et Blancs, afin de «?rendre possible pour le Noir et le Blanc une saine rencontre?». Dans le régime colonial, les relations entre Noirs et Blancs sont toujours faussées, les premiers ayant toujours pour objectif de «?blanchir la race?», de «?s’élever?» jusqu’aux seconds, explique Fanon. Il faut sortir de ce schéma aliénant qui enferme «?le Blanc dans sa blancheur?» et «?le Noir dans sa noirceur?». «?L’expérience vécue de l’homme noir?» est sans doute l’un des chapitres les plus marquants de Peau noire, masques blancs?: Fanon y décrit, à la première personne, le vécu du Noir dans le monde blanc et l’expérimentation du racisme européen.
L’An V de la révolution algérienne.
1959, rééd. La Découverte, 2011.?

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Saisi dès sa sortie en 1959, ce livre militant est né de l’expérience de Fanon aux côtés du FLN algérien, qu’il a rejoint peu après l’appel à la lutte de libération nationale du 1er novembre 1954. L’écrivain y exalte la résistance des Algériens face au colonisateur français, et analyse la transformation de la population qui s’opère sous ses yeux dans la guerre d’Algérie, «?la plus hallucinante qu’un peuple ait menée pour briser l’oppression coloniale?», écrit-il. ?
Les Damnés de la Terre. ?
1961, rééd. La Découverte, 2002.?

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Seul de ses ouvrages dont Fanon a pu choisir le titre, Les Damnés de la Terre est composé dans l’urgence par l’écrivain martiniquais qui se sait atteint d’une leucémie. Il en aura un exemplaire en mains quelques jours avant son décès, en 1961. Dans cette œuvre qu’il adresse aux populations des pays colonisés, Fanon explore les conditions de leur désaliénation. Décrivant un monde colonial «?compartimenté?», séparé entre colons et colonisés, l’intellectuel martiniquais explique que la décolonisation – qu’il appelle de ses vœux – est nécessairement violente. Le colonisé doit retourner la violence contre le colonisateur, afin d’accéder à une liberté qui lui permettra d’accomplir son humanité. Rédigé au moment des indépendances africaines et alors que la guerre d’Algérie n’est pas encore achevée, Les Damnés de la Terre exalte la force des masses révolutionnaires rurales dans les luttes de libération nationale, tandis que certains chapitres examinent le rôle des partis nationalistes et des «?bourgeoisies nationales?» des pays engagés sur la voie de l’indépendance.
?Pour la révolution africaine. ?Écrits politiques.
?1964, rééd. La Découverte, 2006.?

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Les écrits politiques de Fanon ont été rassemblés et édités dans l’ouvrage Pour la révolution africaine de façon posthume. Ils couvrent la période de sa vie allant de la publication de Peau noire, masques blancs, en 1952, jusqu’à celle des Damnés de la Terre, en 1961. Dans ces textes hétéroclites, prononcés lors de conférences, parus dans des revues comme Esprit, ou encore rédigés pour le journal El Moudjahid, Fanon explore la situation des colonisés, rend compte de l’aliénation de ces derniers via ses observations cliniques, analyse l’attitude des intellectuels français de gauche face à la guerre d’Algérie, et fait notamment de la lutte algérienne l’avant-garde de la révolution africaine qui doit libérer l’ensemble du continent.
Justine Canonne

Notes

  • [1]
    Jean-Paul Sartre, « Orphée noir », préface, inLéopold Sédar Senghor, Anthologie de la poésie nègre et malgachede langue française, 1948, rééd. Puf, 2011. Dans ce texte, que Frantz Fanon critique dans Peau noire, masques blancs, Sartre définit notamment la négritude comme « un passage et non un aboutissement » et comme « le temps faible d’une progression dialectique (…) (visant) à préparer la synthèse ou réalisation de l’humain dans une société sans races ».
  • [2]
    Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs, 1952, rééd. Seuil, coll. « Points », 2011. Dans sa conclusion, Fanon écrit : « Il ne faut pas essayer de fixer l’homme puisque son destin est d’être lâché. »
  • [3]
    David Macey, Frantz Fanon. Une vie, La Découverte, 2011. Le biographe explique que Fanon a pu être considéré comme « l’apôtre de la violence » dans ses liens avec les leadersde la lutte de libération algérienne et lorsqu’il promeut l’usage de la violence dans Les Damnés de la Terre.
  • [4]
    Magali Bessonne, « Frantz Fanon, en équilibre sur la color line », introduction à Frantz Fanon, ?uvres, &#8232 ;La Découverte, 2011.
  • [5]
    Alice Cherki, Frantz Fanon. Portrait, Seuil, 2000.
  • [6]
    Voir Françoise Vergès, « ?Le Nègre n’est pas. Pas plus que le Blanc?. Frantz Fanon, esclavage, race et racisme », Actuel Marx, n° 38, 2005/2.
  • [7]
    Matthieu Renault, Frantz Fanon. De l’anticolonialisme à la critique postcoloniale, Amsterdam, 2011.
  • [8]
    Voir Jean-François Bayart, « Relire Fanon », en ligne sur Mediapart, 18 octobre 2011.
    http ://blogs.mediapart.fr/blog/jean-francois-bayart/181011/relire-fanon.
Mis en ligne sur Cairn.info le 21/02/2012
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