Dans cette tribune, Frédérique Dispagne examine le potentiel touristique de la yole martiniquaise, patrimoine mondial de l’Unesco, et propose des stratégies pour optimiser son impact économique. Découvrez ses idées…


Mercredi, j’ai pu suivre l’arrivée du Tour des Yoles, de la Tour Lumina. Nos yoles glissaient vers la baie foyalaise avec une grâce d’oiseaux. Le tour de cette jolie journée s’achevait, en beauté. En redescendant de la Tour, je n’ai pu m’empêcher de m’interroger sur le Tour : «  nous, martiniquais, avons-nous bien fait le tour du potentiel touristique de la Yole ? »

Les Yoles. Depuis les années 80, les régates des pêcheurs martiniquais croissent en popularité et nous passons de la course aux poissons à la course tout court, dans des compétitions effrénées et sponsorisées  chaque année à la fin du mois de juillet. Jusqu’à devenir le tour des yoles rondes ​​​​​​​de Martinique, l’un des événements les plus prisés du pays. Beau parcours.

Je suis assez ignorante (et je me soigne) des subtilités et des complexités de la yole. J’en apprends particulièrement durant la mise à l’honneur du tour et de ses valeureux yoleurs.

Ce qui retient particulièrement mon attention, c’est cette modeste embarcation traditionnelle, à l’origine utilisée par les pêcheurs, qui se trouve hissée au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, d’une dimension toute martiniquaise à une dimension toute mondiale en moins d’un demi-siècle.

En 2017, l’embarcation avait été inscrite à l’inventaire du patrimoine culturel immatériel du ministère de la Culture français. Une candidature avait été émise à destination de l’Unesco, la même année. Trois ans plus tard, en décembre 2020, la yole est se qualifie en tant que patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Le classement par l’Unesco en 2020 a-t-il permis à la Yole de naviguer vers son plein potentiel touristique ces 4 dernières années ?

En recherchant les détails sur le site de l’Unesco, nous trouvons les ressorts de la sélection en 2020 issus du Registre de bonnes pratiques de sauvegarde :

Créée il y a plusieurs siècles, la yole de Martinique témoigne de l’importance des embarcations traditionnelles dans l’histoire de la région.

La yole est une embarcation légère et rapide, à faible tirant d’eau et aux formes effilées, pouvant naviguer à une ou deux voiles.

Pour l’équilibrer, les équipiers doivent se tenir à l’extérieur de la coque à l’aide de longues perches non fixées.

Cela demande une grande agilité, beaucoup d’engagement physique et une coordination parfaite. La forme de la yole évolue en fonction des usages et des espaces géographiques où elle est utilisée.

Ainsi, la yole de Martinique utilisée par les pêcheurs est parfaitement adaptée aux conditions spécifiques de la navigation le long des côtes de l’île.

Au cours des années 1950 et 1960, d’autres types d’embarcations construites en matière composite et équipées de moteurs ont progressivement remplacé la yole traditionnelle.

Devant la menace de disparition de ces embarcations qui témoignaient de l’histoire et de la société de l’île, un mouvement spontané de sauvegarde s’est mis en place.

Les premières initiatives de sauvegarde ont été portées par les pêcheurs eux-mêmes, qui ont organisé des courses.

Brièvement : sans gouvernail, sans lest, sans quille, l’embarcation martiniquaise tient en équilibre par le truchement de ses « bwa dressés ». Les Bwas sont assimilables à des poutres tendues de part et d’autre de la yole et sur lesquelles l’équipage s’incline pour maintenir son équilibre. Ce sport est beau, formidable et unique. J’ai du mal à concevoir que notre marketing touristique ne s’y intéresse pas davantage.

Vous m’objecterez, à juste titre pour la yole ronde, que l’inscription (selon l’Unesco) est de « partager des expériences de sauvegarde réussies » du patrimoine, de renseigner sur « les défis rencontrés au cours de la transmission ». Un politique martiniquais remarquait justement, dans le cadre de la conservation du patrimoine de la yole :  « Nous avons quelque chose qui nous appartient et qui nous appartient tous seuls au monde ».

L’inscription est garante de qualité, de la transmission fidèle du patrimoine et le respect des process qui sont inhérents à la fabrication et la pratique de la yole. Un premier et inévitable pas : protéger. Un pas bien assuré par les pêcheurs, les partenariats, les associations, les fédérations sans oublier tous les martiniquais citoyens qui ont porté leur sport et l’ont défendu.

La Yole en Martinique, et dans cette catégorie de préservation de l’Unesco, je lis que le combat de conservation du patrimoine d’autres cultures est aussi porté par les Grecs pour leur Caravane polyphonique, par les Vénézuéliens pour leur palmier béni et par les Belges pour la culture du carillon.

Toujours en me référant aux objectifs du classement de l’Unesco je cite :

L’avantage prédominant de l’adhésion à la Convention du patrimoine mondial est l’appartenance à une communauté internationale qui apprécie et sauvegarde les biens d’importance universelle incarnant un monde d’exemples exceptionnels de la diversité de la culture et de la richesse de la nature.

 Ma déformation professionnelle me porte naturellement à assimiler cette portée au tourisme patrimonial et culturel, et tout naturellement l’apport de devises étrangères mondiales par des touristes alternatifs, une dé-focalisation du tourisme balnéaire et impersonnel.

Nous parlons ici d’un tourisme maritime dont les centres d’intérêt sont nos yoleurs martiniquais.

En poursuivant mes recherches, c’est la fibre économique et commerciale qui prend le dessus :

Lorsqu’un pays signe la Convention du patrimoine mondial et voit certains de ses biens inscrits sur la Liste du patrimoine mondial, il en résulte un prestige supplémentaire qui aide souvent les citoyens et les gouvernements à prendre conscience de l’importance de la préservation de ce patrimoine. Une meilleure prise de conscience conduit généralement à une augmentation du niveau de protection et de conservation des biens en question. Le pays peut également recevoir une assistance financière et technique de la part du Comité du patrimoine mondial afin de soutenir les activités de préservation.

J’ignore, en dépit de mes recherches, si aujourd’hui ou ces 4 dernières années l’Association du Tour a pu toucher les subsides de l’organisation mondiale. En valeur, le Fonds du patrimoine mondial de l’Unesco s’élève à environ 3 millions de dollars par an. La ressource peut diversifier et augmenter les besoins du sponsoring, vital pour cette fédération très autonome, y compris des partis politiques.

Plus que le financement du Tour, il m’apparaît que le tourisme international génèrerait des retombées économiques connexes locales (hébergements, restauration, commerces, transports..)

En outre, l’hôtellerie souffre profondément en Martinique de sa saisonnalité trop marquée. En juillet – août  beaucoup trop d’hôteliers et d’hébergeurs touristiques mangent leur pain noir.

Il me semble fondamental de créer un marketing touristique de la yole par plusieurs biais dans le cadre de ce mini plan d’action qui n’est évidemment pas exhaustif. Quand je dis tous, je désigne les martiniquais et les touristes :

Un Package touristique martiniquais « Enyolez-moi » et des goodies pour tous

Pour les agences et l’ensemble des réceptifs, locaux compris, pourquoi ne pas créer des forfaits packagés, par exemple : Vol + hébergement + Catamaran.

Je n’ai jamais compris pourquoi de telles offres n’étaient pas une évidence ? Mieux que suivre la demande, il est bon de la susciter, de générer l’intérêt.

Cherry on the cake : bénéficions sur la même période du concert d’un artiste célèbre. Le Producteur ne pourrait-il pas sponsoriser, pour sa participation à l’économie locale et la satisfaction de ses clients curieux, un Package « Ile natale » pour séduire un réseau de personnalités haut de gamme et de luxe ?

Idem pour une vente de goodies et de produits dérivés mettant à l’honneur du tour des yoles, afin que tous puissent contribuer au succès économique du Tour.

Sur ces packages et l’ensemble des produits, l’Association du Tour toucherait ses royalties bien mérités.

Un Calendrier touristique martiniquais accessible à tous

Le tourisme s’appuie d’abord et avant tout sur des grandes périodes et des dates. Notre approche du tourisme en Martinique, particulièrement sur les sites web institutionnels, est très souvent « thématique ». Je crois que l’approche par la temporalité est beaucoup plus pertinente et ajustée à la demande touristique réaliste. La question fréquente des touristes n’est-elle pas en général « Quand faut-il venir en Martinique ? », « Quelle est la bonne période N », « Quand les billets sont-ils le moins cher ?» ou « C’est quand, le Carnaval ? ».

Appel aux entrepreneurs du tourisme : un vrai et simple calendrier qui centralise la totalité des évènements et des saisonnalités, pour communiquer sur l’ensemble des temps forts de l’île, notamment l’évènement du Tour des Yoles assortie, si nécessaire, de la possibilité de réserver en ligne certains évènements.

Des circuits touristiques martiniquais toute l’année à destination de tous

De nombreuses associations de voile traditionnelle initient particulièrement les jeunes, principalement au Marin, au Lamentin, au Robert et au François. Néanmoins, à ma connaissance, une seule excursionniste labellisée Qualité Tourisme, Karambol Tours,  propose un circuit touristique incluant l’initiation à la yole. Quid du tourisme et de l’initiation aux adultes toute l’année pour la promotion du sport ? Mieux nous serons tout un chacun initié, mieux nous serons en capacité de promouvoir.

Et l’Unesco de conclure : les principaux objectifs du programme de sauvegarde sont les suivants : préserver les savoir-faire des charpentiers de marine locaux ; transmettre les savoir-faire liés à la navigation ; renforcer les liens entre les praticiens de la yole et la communauté locale ; et créer une fédération capable d’organiser de grands événements. 

A mon sens, la Yole est à date un grand évènement pour les martiniquais mais sa portée gagnerait à devenir mondiale.

En vertu de tous ces enjeux, la Yole serait en pleine mesure, dès aujourd’hui, avec le concours d’une politique et de partenaires économiques volontaristes de catalyser des recettes supplémentaires et conséquentes :

  • Permettre la diversification des acteurs privés en dehors des sponsors directs
  • Bénéficier directement des subventions territoriales de la Collectivité, en vertu de l’enjeu touristique pour le pays, d’une part,
  • D’autre part, intégrer une politique territoriale forte, il n’est pas anodin et inconséquent de s’adresser au patrimoine de l’Unesco.

Cette désignation transmute la Yole à un très haut degré de responsabilité : une responsabilité politique locale doublée d’une responsabilité économique et touristique territoriale.

Nous, martiniquais, devons être à la hauteur de nos Yoles,  et  nous le serons.

Frédérique Dispagne

Passionnée de tourisme et de ses enjeux pour la Martinique

 

 

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