par Thomas Baïetto

Vous vous en doutez, la fin d’une épidémie dépend étroitement des particularités du microbe responsable et de son mode de transmission. On peut toutefois ranger les fins possibles en deux grandes familles : soit la maladie disparaît naturellement, soit l’homme trouve une parade. Il arrive également qu’elle ne se termine pas ou qu’elle se prolonge socialement.

Quand une épidémie disparaît naturellement

Dans la première catégorie se trouve un facteur que vous connaissez bien : la saisonnalité, qui fait disparaître la grippe chaque printemps, notamment parce que son virus préfère le froid et l’humidité.
Deuxième possibilité, une mutation de l’agent pathogène qui le rend moins dangereux. “Si vous prenez le cas de la syphilis, cette maladie était présentée dans les premières descriptions comme redoutable et mortelle, sa gravité s’est bien plus atténuée par la suite”, nous raconte Patrice Debré, professeur de médecine à Sorbonne Université et auteur du livre Vie et mort des épidémies (Odile Jacob, 2013).

Des modifications environnementales peuvent également stopper la circulation d’une maladie. Après avoir terrorisé l’Europe du XIVe au XVIIIe siècle, la peste a été balayée de notre continent par… le surmulot. Ce rat brun a évincé son cousin le rat noir, réservoir de la maladie transmise à l’homme via ses puces. “Ce rongeur portait un bacille proche de la peste, qui l’avait immunisé contre la maladie. Il était résistant”, nous explique Jean-Pierre Dedet, professeur émérite à la faculté de médecine de Montpellier et auteur de l’ouvrage Les épidémies, de la peste noire à la grippe A/H1N1 (Dunod, 2010).

Il y a enfin, pour certaines maladies, la réponse biologique de notre corps : c’est la fameuse immunité collective dont vous avez beaucoup entendu parler ces derniers temps. Lors de notre premier contact avec la maladie, notre système immunitaire produit généralement des anticorps qui empêchent toute réinfection. “Nous pensons qu’il faut 60% de personnes immunisées dans une population pour faire barrage”, explique Patrice Debré, en donnant l’exemple de la rougeole ou de la grippe espagnole de 1918.

Quand une épidémie disparaît après intervention humaine.

Quand l’évolution spontanée de la maladie ou de son environnement ne suffit pas, l’humain peut intervenir. Première méthode, l’isolement des malades pour couper les chaînes de transmission. “C’est ce qui a été fait avec le Sras en 2003 et ce que nous avons essayé de faire avec le confinement”, analyse Jean-Pierre Dedet.
Autre solution, l’amélioration des conditions d’hygiène, comme pour le choléra, transmis par l’eau. “Il a été éradiqué d’Europe et d’Amérique par l’assainissement des villes, le tout-à-l’égout”, retrace Jean-Pierre Dedet.
La découverte d’un vaccin, qui permet de provoquer l’immunité collective dont nous parlions plus haut, est une autre solution pour arrêter une épidémie. Le cas le plus emblématique est celui de la variole, déclarée éradiquée en 1980 après une campagne de vaccination massive menée par l’OMS.
Enfin, la lutte contre le vecteur de la maladie – par exemple les campagnes de démoustication pour celles transmises par le moustique –, la mise au point d’un traitement efficace – qui existe aujourd’hui pour la peste – ou une meilleure connaissance des mécanismes de transmission peuvent permettre de maîtriser une maladie.

Quand les épidémies ne disparaissent pas.

Mais toutes les épidémies n’ont pas nécessairement de fin. On peut ne pas réussir à trouver un vaccin, comme pour le Sida. Le microbe peut évoluer et s’adapter aux techniques mises en place pour le contrer. Ou bien la maladie peut continuer à circuler parmi le réservoir animal : c’est le cas de la peste qui ressurgit épisodiquement dans ses “foyers invétérés”, comme à Madagascar. “Vous ne pouvez pas vous débarrasser du rat, surtout dans des contextes de pauvreté où il est un commensal de l’homme”, pointe Anne-Marie Moulin, médecin et philosophe au CNRS.
L’histoire des coronavirus nous offre d’ailleurs “les deux exemples extrêmes”, pointe Jean-Pierre Dedet : “Le Sras a été totalement jugulé mais le Mers, qui vient du dromadaire, dure depuis une dizaine d’années. On ne sait pas dans quelle catégorie on va tomber avec le Covid-19.”

Quand la fin d’une épidémie se joue dans nos têtes.

Une épidémie n’est pas simplement médicale. C’est aussi un phénomène social, économique, politique et psychologique dont la fin se joue en partie dans notre tête à tous. S’il y a bien sûr un lien entre la fin médicale et la fin sociale, les calendriers ne coïncident pas toujours, bien au contraire.
Historienne à l’Institut national d’études démographiques, Isabelle Séguy a beaucoup étudié la peste qui a frappé Marseille et la Provence au début du XVIIIe siècle. Officiellement et médicalement, la ville est libérée de la peste en juillet 1721. “La reprise des activités ordinaires a été très progressive, sur plusieurs mois, en raison de la prudence des autorités et de la peur des gens”, constate l’historienne. L’activité économique a redémarré très lentement : la ville est déconsignée par ordonnance royale en novembre 1722, le commerce international ne reprend qu’en janvier 1723 et ne s’intensifie qu’à partir de l’été.
Psychologue à l’Ecole des hautes études en santé publique, Jocelyn Raude nous explique que cette fin “mentale” est déterminée par deux facteurs : l’incertitude autour de la maladie – “sur le Covid-19, il y a en a plein, sur tous les paramètres” – et la “contrôlabilité perçue du risque”. “Plus on a le sentiment de maîtriser un risque, moins cela nous inquiète”, résume-t-il, en donnant pour exemple le tabagisme et l’alcoolisme, “très peu anxiogènes”.
Pour la pandémie qui nous occupe, ce spécialiste hésite entre deux scénarios. Première possibilité, l’accoutumance au risque, comme notre vision du Sida, qui entraîne une fin de l’épidémie dans les têtes alors que la dynamique de la maladie continue. Deuxième hypothèse, l’effet miroir avec “le maintien à un niveau élevé des comportements de prévention” alors que l’épidémie est terminée sur le plan sanitaire. Réponse dans les prochains mois.

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