Lors de la XVIIe Conférence de Coopération Régionale des pays de la Caraïbe, nous nous sommes entretenu avec Serge Letchimy, président du Conseil Territorial de Martinique (CTM). Cet échange offre un aperçu détaillé des ambitions et des préoccupations du président concernant l’avenir de la Martinique et son rôle au sein de la Caraïbe.

« L’autonomie de la Martinique n’est pas une fin en soi, mais un moyen pour ancrer notre action dans la réalité caribéenne, pour que chaque décision prise soit l’écho de notre terre et non le lointain écho d’autres voix. »

Monsieur le Président, vous avez mentionné l’importance de l’autonomie politique pour la Martinique. Pouvez-vous élaborer sur ce point ?

Serge Letchimy : Absolument. L’un de nos principaux défis est la restriction qui nous est imposée en termes de signature d’accords internationaux. Actuellement, aucun président de collectivité, y compris moi-même, ne peut signer de tels accords sans l’autorisation de l’État. Cela nous place dans une position d’infantilisation qui limite notre capacité à agir efficacement et rapidement en réponse aux défis régionaux.  Depuis la loi de 2016 une ouverture s’est oppérée, pour l’instant insuffisante en l’absecnce de réforme de la constitution, qui donne la possibilité d’ouvrir des apports cadres pour la signature des accords internationaux.

Nous devons avoir par ailleurs la possibilité d’adapter nos lois et réglements sans toujours recourir à l’approbation de l’hexagone, ce qui est vital pour notre développement autonome.

Comment pouvons-nous coopérer efficacement si je ne peux signer aucun accord ? Cela crée un sentiment d’infantilisation incompatible avec une réelle coopération d’égal à égal.

Vous avez également parlé de technologie et d’innovation. Quel rôle jouent-elles dans votre vision pour la Martinique?

Serge Letchimy : La technologie et l’innovation sont cruciales pour transcender notre modèle économique actuel. Nous devons envisager une transformation majeure, notamment par l’adoption de nouvelles technologies qui peuvent renforcer notre infrastructure et notre logistique. Cela implique de sortir des cadres traditionnels et de favoriser une culture de développement axée sur l’innovation locale, particulièrement dans l’agriculture et l’économie numérique, pour mieux répondre à nos besoins spécifiques.

« Une compétence sans pouvoir normatif, c’est à dire la capacité d’adapter la loi et le règlement sur place, localement, est vital pour ne pas être infantilisé au sein de la CARICOM, de l’OECO et des instances internationales. »

Qu’en est-il des défis économiques spécifiques à la région caraïbe que vous souhaitez adresser ?

Serge Letchimy : Notre région souffre d’un système économique prédateur qui crée d’énormes inégalités. De plus, nous sommes confrontés à des défis logistiques importants en raison de notre situation géographique, ce qui affecte l’accès aux marchés et ressources. Il est crucial de revoir nos stratégies économiques pour réduire notre dépendance aux aides extérieures et renforcer notre autonomie économique, ce qui permettra de créer une plateforme stable pour notre jeunesse et notre avenir.

Nous devons sortir du mécanisme classique d’importation massive autour de deux monocultures. (…) sortir de l’esprit du commerce triangulaire pour rentrer dans un triangle du progrès qui permettrait à la Martinique de devenir la centralité de transformation majeure d’innovation technologique et de logistique.

«Nous devons pouvoir adapter nos lois et régulations pour mieux répondre aux réalités de notre territoire, sans avoir à remonter à des milliers de kilomètres pour chaque décision.»

Que souhaitez-vous dire au Gouvernement ici représenté par Mme La Ministre ?

Serge Letchimy : À Madame la Ministre, je tiens à exprimer la nécessité urgente de reconnaître et de respecter l’autonomie et les spécificités de la Martinique dans le cadre de la République française. Nous avons besoin de reformuler les cadres légaux qui régissent nos actions, notamment en allant plus loin en matière de signature d’accords internationaux, plus particulièrement dans le domaine du commerce et de l’économie. Cela est crucial pour notre développement et pour renforcer notre rôle dans la région Caraïbe.

Nous appelons également à une plus grande souplesse dans la gestion de nos affaires, en réduisant les lourdeurs administratives qui nous empêchent de réagir efficacement aux défis locaux et régionaux. Nous devons pouvoir adapter nos lois et régulations pour mieux répondre aux réalités de notre territoire, sans avoir à remonter à des milliers de kilomètres pour chaque décision.

J’appuie la proposition d’Emmanuel Macron d’accorder une véritable compétence normative aux territoires ultramarins. Une compétence sans pouvoir normatif, c’est-à-dire sans la capacité d’adapter la loi et la réglementation localement, reviendrait à rester des enfants au sein des instances régionales. Il est vital de pouvoir différencier la construction des politiques publiques de manière décentralisée.

Enfin, je demande au gouvernement de soutenir nos efforts pour innover et développer notre économie de manière durable. La Martinique peut être un modèle de développement durable et innovant, mais pour cela, nous avons besoin de l’appui et de l’engagement concret du gouvernement central pour transformer ces ambitions en réalité.

Vous avez proposé une conférence sur la sécurité. Quelles sont les principales préoccupations que vous souhaitez y aborder ?

Serge Letchimy : La sécurité est un vaste sujet qui englobe non seulement la sécurité physique due à la violence et au trafic illicite, mais aussi la sécurité économique et alimentaire. La conférence visera à développer des stratégies de coopération entre les pays de la Caraïbe pour mieux faire face à ces menaces. Il est essentiel de collaborer sur ces fronts pour assurer une stabilité régionale qui favorisera le développement et la prospérité collective.

Nous ne construirons pas une forte résilience écologique sur le plan local, si sur le plan national et européen, une véritable politique de reconnaissance comme le définit Edgar Morin, n’est pas mis en place, nous allons nous livrer à la précarité.

Le système économique prédateur actuel crée trop d’inégalités et fait de nos territoires une plateforme dangereuse pour les trafics en tout genre qui échappent aux États.

Enfin, quel message voulez-vous transmettre aux jeunes Martiniquais et à ceux de la diaspora ?

Serge Letchimy : Mon message pour nos jeunes est un appel à l’engagement et à la prise de responsabilité dans notre processus de transformation. Vous êtes l’avenir de la Martinique, et votre participation active est cruciale pour façonner la société que vous souhaitez. Nous avons besoin de votre énergie, de vos idées, et surtout de votre volonté de travailler pour un avenir meilleur, ici en Martinique ou où que vous soyez dans le monde.

Philippe PIED


Au terme de la rencontre, la Ministre déléguée chargée des outre-mer, le Président LETCHIMY et les présidents des Collectivités de Guadeloupe, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, et Guyane ont signé une Déclaration politique conjointe sur l’action extérieure de l’Etat et des Collectivités françaises de la zone Antilles-Guyane dans le bassin caribéen et le plateau des Guyanes, articulée autour de 4 priorités en faveur de l’intégration régionale :

  • Soutenir et renforcer la coopération en matière de lutte contre le changement climatique, de résilience et en faveur de la préservation de la biodiversité
  • Poursuivre et renforcer l’action de l’Etat en matière de lutte contre les trafics de drogues, d’armes et d’êtres humains
  • Initier une dynamique de diplomatie territoriale économique et culturelle en favorisant les échanges commerciaux et l’interconnexion maritime et aérienne, et en valorisant leurs atouts des économies ultra-marines, notamment en matière de services, d’expertise et d’ingénierie, ou encore dans le domaine du numérique
  • Renforcer les échanges culturels et humains, en particulier autour de la jeunesse, de la francophonie, des langues régionales et notamment du créole.

Par ailleurs, les collectivités renforceront leurs coopérations bilatérales et régionales, à travers les organisations régionales telles que la CARICOM, l’OECO et l’AEC, afin de promouvoir les valeurs de paix, de stabilité et de développement économique et social dans la zone, alors que la région fait face à une augmentation préoccupante de la violence et des trafics.

 

 

 

 

 

 

 

 

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