En Outre-mer, beaucoup d’enfants vivent dans la pauvreté, avec des difficultés pour se nourrir et accéder aux soins. Les associations tentent d’aider en offrant des repas et en mettant en place des initiatives comme des jardins participatifs. Cependant, les problèmes persistent en raison du manque de soutien des autorités nationales. Les élus sont appelés à agir pour améliorer la situation en fournissant davantage de moyens et de coordination. Malgré les défis, certains militants continuent de se battre pour les droits des enfants d’Outre-mer.

Il existe de multiples pays où les enfants ne peuvent bénéficier de conditions dignes. Ce n’est un secret pour personne. Malgré des progrès notables dans la lutte contre la pauvreté infantile dans le monde, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour garantir le bien-être et les droits de tous les enfants. De son côté, la France est confrontée à une stagnation de son taux de mortalité, depuis 2005. Avec un nombre de décès d’enfants variant entre 3,5 et 3,9 pour 1000 naissances chaque année, le pays est considéré comme un mauvais élève au niveau européen. Plusieurs raisons peuvent être citées afin d’expliquer cette situation. L’une d’entre elles est liée aux conditions de vie des enfants ultramarins.

“Lorsque je dirigeais des établissements scolaires, j’ai souvent été témoin des difficultés majeures rencontrées par les élèves. Beaucoup d’entre eux provenaient de milieux très modestes, ce qui entravait considérablement leur éducation. Malheureusement, certains n’avaient pas accès à une alimentation adéquate en raison de la précarité de leurs parents.” L’expérience vécue par Térèz Léotin, écrivaine et ancienne directrice d’école en Martinique, est loin d’être unique. Les difficultés rencontrées par de nombreux enfants ultramarins sont courantes et persistent depuis des années.

“Grandir dans les Outre-mer”

Ayant eu une histoire différente de la France hexagonale, l’Outre-mer se distingue par ses spécificités culturelles, géographiques et sociales. Malheureusement, cette diversité se reflète également dans les défis auxquels elle est confrontée. La vie chère, les phénomènes météorologiques extrêmes, les problèmes d’accès à l’éducation… Difficile de pouvoir grandir normalement dans de telles conditions. La grande pauvreté affecte davantage nos départements, où 24 % des personnes sont touchées. Pour de nombreux enfants ultramarins, ces défis se traduisent par des difficultés quotidiennes, telles que la faim ou encore le manque d’accès aux soins de santé. Chaque territoire ayant ses propres caractéristiques, les problèmes rencontrés varient d’une région à l’autre.

Ces situations complexes exacerbent les inégalités socio-économiques et compromettent le bien-être et l’avenir de toute une génération. Conscient de cette réalité, l’UNICEF France (Fonds des Nations unies pour l’enfance) a publié un rapport intitulé “Grandir dans les Outre-mer”, visant à fournir des données précieuses sur le sujet. A travers celui-ci, c’est une analyse détaillée des besoins spécifiques souvent méconnus ou négligés par les services publics que l’institut nous livre. Mettant en avant plusieurs chiffres, l’étude permet ainsi de mieux comprendre plusieurs défis auxquels les enfants de l’Outre-mer sont confrontés.

“C’est un travail qui a été réalisé sur un an,” témoigne Mathilde Detrez, chargée de plaidoyer de l’Outre-mer à l’UNICEF France. “Cela faisait des années que l’on avait déjà établi plusieurs constats. Nous avions observé que les indicateurs disponibles pour évaluer les droits de l’enfant dans les territoires d’Outre-mer étaient soit insuffisants, soit mal documentés, et ne bénéficiaient pas d’une attention particulière de la part des autorités publiques. Nous avons donc consulté directement les enfants et les jeunes, notamment lors d’ateliers en Guyane, où ils ont partagé leurs préoccupations et leurs suggestions avec nous à destination des autorités publiques.”

Sur le terrain, Mathilde Detrez et ses collègues ont été confrontés à une situation qui serait difficile à concevoir en France métropolitaine. Énormément d’enfants vivant dans les départements d’Outre-mer ne mangent pratiquement pas à leur faim. D’autres sont confrontés à une forte problématique de logement insalubre. Sur les territoires tels que Mayotte ou la Guyane, c’est près 5000 à 10 000 jeunes qui n’ont pas accès à une éducation scolaire. Cerise sur le gâteau, plusieurs d’entre eux bénéficient d’un accès aux soins déplorable. La liste des problématiques est très longue.

Pour donner un aperçu, en Guyane, 6 enfants sur 10 vivent dans la précarité. A Mayotte, ce sont 8 enfants sur 10 qui seront pauvres. La proportion de jeunes vivant sous le seuil de pauvreté est trois à quatre fois plus importante que dans l’Hexagone. Les données sur la grande pauvreté dans ces régions sont largement sous-estimées, se limitant souvent aux personnes en logement ordinaire et négligeant les populations sans domicile, ce qui donne une vision incomplète de la situation. Malgré les efforts pour uniformiser les droits sociaux, des disparités persistent entre les territoires, comme à Mayotte où le Code de la Sécurité sociale n’est pas pleinement appliqué, accentuant les difficultés d’accès aux prestations sociales pour certaines familles.

“Le coût de la vie élevé dans les territoires d’Outre-mer représente un défi majeur, surtout en ce qui concerne l’accès à l’alimentation pour de nombreux ménages,” détaille Hervé Guery, directeur du Compas (observatoire des territoires) et cofondateur de Corail (observatoire social de l’Outre-mer). Cette augmentation des prix a rendu les produits de base inaccessibles pour une partie significative de la population, ce qui a favorisé l’émergence d’une économie parallèle pour répondre à ces besoins. Cependant, même avec des ressources limitées, les habitants continuent de chercher des solutions dans les commerces locaux, bien que la réalité économique soit différente dans chaque territoire. Avec un taux de pauvreté relativement plus faible, estimé à environ 50 %, les enfants restent les premières victimes de cette situation.

Dans les Antilles et à La Réunion, la pauvreté est largement associée à la monoparentalité, un phénomène qui présente des défis significatifs pour les familles. En Guadeloupe et en Martinique en particulier, le taux élevé de monoparentalité contribue à aggraver la situation économique des ménages. Lorsqu’un adulte se retrouve seul avec des enfants, les risques de tomber sous le seuil de pauvreté sont considérablement accrus. Cette situation est d’autant plus préoccupante que les familles monoparentales doivent souvent faire face à des difficultés supplémentaires pour subvenir aux besoins de leurs enfants, notamment en termes de logement, d’emploi et de soutien financier.

Seuls face à leurs problèmes d’argent, ces parents peuvent parfois, dans un élan de désespoir, involontairement compromettre la santé de leurs enfants. C’est ce qu’avait pu observé Maud Petit, députée MODEM du Val-de-Marne, d’origine martiniquaise et membre de la délégation de la petite enfance à l’Assemblée Nationale, lors de l’un de ses voyages en Polynésie Française. “J’avais par exemple été témoin de cas tels que celui d’un bébé qui était nourri au sirop de grenadine,” raconte-t-elle. Victime de cette situation, ces parents peinent à acheter des produits nutritifs, ce qui peut entraîner des choix alimentaires moins appropriés, même pour les tout-petits. En conséquence, ces jeunes sont en proie à des risques bien être comme l’obésité ou encore le diabète, soulignant l’urgence de trouver des solutions à ces inégalités économiques et sociales.

Devant une telle ampleur, plusieurs mesures sont prises pour permettre d’atténuer ces effets. Les collectivités territoriales et départements de ces régions ont mis en place des solutions institutionnelles pour répondre aux besoins des familles, ce qui limite l’extrême pauvreté observée dans des territoires comme Mayotte et la Guyane. Les actions menées dans le cadre de la politique de la ville sont particulièrement ciblées sur les quartiers les plus vulnérables, ce qui renforce l’approche institutionnelle de lutte contre la pauvreté.

Une lutte pour l’enfance

Certaines associations, comme “La Maison des familles de Cayenne” en Guyane, déploient tous leurs efforts pour soutenir les enfants les plus défavorisés. En dépit des défis, cette organisation accueille régulièrement des familles en grande détresse, parfois même sans papiers. Ses initiatives, telles que les petits-déjeuners pour les familles et les activités en journée, visent à offrir un soutien tangible. Animée par l’innovation, Annie-Claude Isel, directrice de l’association, explore de nouvelles idées, dont un projet de jardin participatif pour encourager l’autosuffisance alimentaire.

Bien que de nombreuses initiatives portées par des associations, à l’instar de celle-ci, soient déployées pour répondre à cette problématique, il est clair que leur action seule ne peut pas résoudre tous les problèmes rencontrés, à leur échelle. Les véritables acteurs capables de changer la donne demeurent les élus locaux et nationaux. “En matière de protection des enfants, le bon sens au sein de nos institutions et des dispositifs n’est pas toujours de mise,” regrette Karine Lebon, députée PCF de la Réunion. “Le manque de coordination, de communication et de moyens met en danger nos enfants. Cela n’a pas changé depuis un an malgré nos alertes et surtout malgré le travail des associations et des agents des services publics qui font le maximum avec peu de moyens.“

Karine Lebon, également engagée pour le bien-être des enfants d’Outre-mer, œuvre activement à soumettre régulièrement des propositions au gouvernement. Elle estime que certaines mesures prises par l’État, comme le plan interministériel de lutte contre le harcèlement scolaire présenté le 27 septembre dernier, manquent de réalisme. “Aucun moyen supplémentaire n’a été alloué alors que ce jour-là une farandole de ministres s’est félicité de ce nouveau plan,” reprend-t-elle. Néanmoins, la députée ne se décourage pas et poursuit son combat pour les droits des enfants de la Réunion, ainsi que pour ceux du reste de l’Outre-mer. Comme beaucoup d’élus, elle n’a qu’un souhait, que l’école bénéficie de plus de moyens à destination de l’apprentissage des élèves.

Depuis la publication du rapport en novembre 2023, et alors que nous sommes déjà en mai 2024, aucune mesure significative n’a encore été annoncée pour résoudre les problèmes persistants des enfants en Outre-mer. Pour les enfants ultramarins, l’avenir reste incertain tant que des mesures concrètes ne sont pas prises pour améliorer leurs conditions de vie. Il est impératif de mettre en place des initiatives tangibles et adaptées à leurs besoins pour briser le cycle de la pauvreté et leur offrir un avenir plus prometteur.

Pour résoudre ce problème complexe, certains politologues mettent en avant la nécessité de s’attaquer aux racines historiques de la pauvreté infantile en Outre-Mer. Pour eux, il n’y a pas 36 solutions : il est essentiel de comprendre que la vie chère n’est que la partie visible de l’iceberg et que la pauvreté infantile est principalement attribuable aux problèmes sociaux résultant du passé colonial. Pour briser le cercle vicieux de la pauvreté, il faut donc agir en profondeur, en mobilisant durablement les acteurs locaux et nationaux.

“Bien qu’il existe déjà des mesures qui sont prises concernant cette situation, il faut aujourd’hui avoué que la plupart d’entre elles ont des portées assez limitées, ne permettant pas de sortir de ce cercle vicieux dont sont victimes plusieurs familles,” explique Justin Daniel, professeur de science politique à l’université des Antilles et de la Guyane. “Par conséquent, il faut se tourner vers des mesures structurelles, afin de réduire cette pauvreté, faisant d’elle ainsi une cause à la fois nationale et ultramarine.”

Selon le professeur de science politique, il est clair qu’attendre que le gouvernement agisse seul n’est pas la solution. Il insiste sur la nécessité d’impliquer davantage les acteurs locaux. “Ces derniers ont une connaissance approfondie des réalités locales et peuvent formuler des propositions mieux adaptées,” reprend le politologue. “Il faut mettre ainsi en avant l’importance d’une collaboration étroite entre le gouvernement central et les élus locaux pour élaborer des politiques efficaces et adaptées aux besoins spécifiques de chaque territoire.”

Trouver des solutions à ces défis complexes demande un effort concerté et continu.  Bien qu’il ne s’agisse pas d’un jeu d’enfant, il est possible de réaliser des progrès significatifs. En mobilisant les ressources et en impliquant efficacement les acteurs locaux et nationaux, nous pouvons offrir aux enfants un avenir meilleur, aligné avec les valeurs de la République française.

Thibaut Charles

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