Gisèle Baka est une actrice et chanteuse martiniquaise connue pour les pièces de théâtre dans lesquelles elle a joué et les nombreux albums qu’elle a publié. Au cours du XX siècle, la vie de cette artiste âgée aujourd’hui de 96 ans, a été un long combat pour la défense des noirs dans le domaine artistique. Aujourd’hui, elle nous raconte son histoire.

Quel a été le fondement de votre combat pour la cause des noirs dans l’art ?

A mon époque, l’image des noirs était dégradante, comme tout le monde le sait. Les gens ne pouvaient pas supporter l’idée de donner une bonne représentation des personnes noires, dans l’art. On nous donnait que des rôles substitutions. Pour les hommes c’était le clown, l’idiot ou l’ivrogne. Les femmes, elles, ce qu’on leur donnait c’était des rôles de servante, de cuisinière, voire même de prostituées. Mais, quand il s’agissait du sport, là ils ne se gênaient pas pour mettre en valeur l’aptitude physique de l’homme noir. Les noirs gagnaient les grandes compétitions pour la France et ça les arrangeait. En revanche, il était hors de question pour eux que les noirs fassent partie de ceux qui représentaient la culture française. Il était impossible pour moi de supporter une telle situation. C’est en observant tant d’injustices, que mon combat a commencé.

De quelle manière manifestiez-vous votre militantisme ?

Je me plaignais. Après tout, il n’y avait pas grand chose à faire. Il fallait se plaindre, dire ce que l’on pensait. J’ai donc commencé par publier un article dans le journal France Soir, intitulé “Je suis une artiste noire”. Grâce à cet article, j’ai pu m’exprimer et dénoncer l’hypocrisie face à laquelle les noirs étaient en proie. Comme je rouspétais beaucoup, j’ai facilement attiré l’attention et tout le monde voulait me connaître. J’ai même été reçu par le président Valery Giscard D’Estaing. A cette époque, je ne me laissais pas faire ! Il était hors de question pour moi de devoir jouer un rôle subalterne, avec pour seul motif : la couleur de ma peau. C’était inadmissible.

Quelles étaient les réactions que vous pouviez voir de la part des gens, à propos de votre combat ?

 En général, j’avais beaucoup de soutien. Il s’agissait d’une cause à laquelle tous les gens de bonne foi se sentaient concernés. Il était donc rare pour moi de tomber nez à nez avec une personne qui s’opposait à mon combat. Cependant, il y a eu un comportement qui m’a assez gêné, pendant ma carrière. Il ne venait pas des métropolitains, mais de certains martiniquais. Quand j’ai crée le “Théâtre Noir”, certains de mes compatriotes m’ont prise pour une rivale. Il y a eu par exemple, une personne qui avait plagié le nom de mon théâtre, pour son propre groupe. A cause de ça, les administrations étaient confuses, concernant l’attribution des salles de spectacles. Il faut savoir qu’à cette époque, elles ne se gênaient pas pour faire jouer les noirs dans des salles se situant vers des coins malfamés. Alors je demandais toujours à pouvoir jouer dans un endroit décent. Je me battais donc pour ne pas avoir à jouer à Barbès. C’était des efforts qui étaient inutiles, car c’était cette personne qui en héritait, vu que son groupe portait le même nom que le mien… Une attitude que je trouvais totalement puérile, vu qu’elle n’avait rien à voir avec le combat que je menais.

Comment s’est déroulée la remise en question des productions qui rabaissaient l’image de la personne noire, à l’époque ?

 Bien entendu, ce n’était pas une partie de plaisir. Cela a mis du temps pour que ces sociétés de production comprennent l’intérêt de ne plus montrer une image caricaturale de la personne noire. A l’exception de quelques rares cas, on ne voyait quasiment pas de personne noire remporter une récompense pour son travail artistique, tels qu’un César ou un Oscar. Évidemment, ce n’était pas une surprise, s’ils ne pouvaient pas avoir accès à des rôles importants. Heureusement, ce combat n’a plus lieu d’être à présent.

Selon vous, le jeu d’acteur des noirs a-t-il pu bien évolué ?

 Maintenant, le noir joue comme tout le monde. Petit à petit, le monde a évolué de façon positive. En regardant la télévision, je constate quelque chose qui me satisfait beaucoup : il n’y a presque plus une seule publicité, sans qu’il y ait  un acteur noir dedans. Avant, vu qu’il n’y avait que des publicités où on ne mettait que des blancs, cela signifiait que pour être bien, il fallait être comme le blanc. Ça me fait chaud au cœur de pouvoir voir que les mentalités ont enfin changé. Aujourd’hui, le monde est enfin représenté comme il a toujours été. Il est composé de noirs, de blancs et d’autres ethnies. Les sociétés de production en ont enfin conscience, elles ne représentent plus la vie, comme elles le veulent. Nous pouvons vivre dans un monde où la réalité peut enfin être représentée comme elle est.

Thibaut Charles

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