Les données et analyses qui suivent, issues des derniers chiffres de l’INSEE, dressent un portrait préoccupant de la situation démographique en Martinique. Pour la quatrième année consécutive, l’île enregistre un recul de sa population, marqué par des soldes naturel et migratoire négatifs. Ce constat soulève de nouveau les défis liés à l’exode des jeunes, au vieillissement de la population, et à la capacité d’attraction de la Martinique. Comment retenir nos forces vives et inciter les diplômés formés à l’extérieur à revenir contribuer au développement local ? Les chiffres, tableaux et tendances exposés ici offrent des éléments de réflexion cruciaux pour l’avenir du territoire.
En 2023, la Martinique reste la région où la part de seniors est la plus élevée.
Par Gwenaëlle Taupe, Bénédicte Chanteur (Insee)
En 2023, en Martinique, le recul démographique se poursuit et la population diminue avec des soldes naturel et migratoire négatifs pour la 4e année consécutive. Les naissances reculent et la fécondité est inférieure à celle de la France métropolitaine. Le nombre de décès baisse et l’espérance de vie augmente après la surmortalité observée en 2021 et 2022 en lien avec la crise sanitaire de Covid-19. L’exode des jeunes continue et la Martinique reste la région où la part des personnes de 60 ans et plus est la plus élevée. Le nombre de mariages baisse encore, confirmant une tendance observée depuis vingt ans.
Le recul démographique continue
Au 1er janvier 2024, la population martiniquaise est estimée à 349 900 habitants, soit 3 500 habitants de moins que l’année précédente. Le recul démographique se poursuit et sur la dernière décennie la région perd 0,9 % de sa population en moyenne par an. Depuis 2014, l’île a en effet perdu 34 000 habitants soit l’équivalent des communes de Schoelcher et de Sainte-Marie réunies. Sur les dix dernières années, le recul de la population est plus prononcé qu’en Guadeloupe (-0,6 % en moyenne par an) tandis qu’en Guyane la population augmente sans discontinuer (+1,6 % en moyenne par an). Sur la même période, la population de la France hexagonale augmente en moyenne de 0,3 % par an. La conjonction d’un solde naturel négatif et d’un solde migratoire déficitaire explique la baisse de la population de la Martinique.
Les naissances sont toujours moins nombreuses
En 2023, 3 340 enfants sont nés en Martinique, soit 160 de moins qu’en 2022. Après une année de regain en 2021, le recul des naissances se poursuit. Dans un contexte où toutes les régions françaises enregistrent une baisse des naissances entre 2022 et 2023, en Martinique celle-ci est moins forte que dans l’hexagone (-4,5 % contre -6,9 %). Le taux de natalité diminue de 0,3 point pour atteindre 9,5 naissances pour mille habitants. Ce taux, inférieur à celui de France métropolitaine (9,7 ‰), est le plus faible des départements et régions d’outre-mer (Drom).
Sur la dernière décennie, le taux de fécondité des femmes de 15 à 44 ans reste stable en Martinique (5,8 enfants pour 100 femmes). Toutefois, il évolue différemment selon l’âge, traduisant le recul de l’âge de la maternité. En effet, le taux de fécondité des femmes les plus jeunes recule, passant de 4,9 enfants pour 100 femmes de 15 à 24 ans en 2013, à 4,0 en 2023. Il diminue aussi pour les femmes de 25 à 34 ans (10,0 en 2013 contre 9,2 en 2023). À l’inverse, celui des plus âgées augmente : en 2013, 3,5 enfants naissaient pour 100 femmes âgées de 35 à 44 ans contre 4,4 en 2023. Les femmes en Martinique ont moins d’enfant que par le passé. Ainsi, l’indicateur conjoncturel de fécondité est en baisse (figure 1). Il n’atteint plus que à 1,66 enfants par femme en 2023, alors qu’il était de 1,91 en 2013. Il reste légèrement supérieur à celui de l’Hexagone (1,64). Au niveau régional, comme au niveau national, il s’éloigne néanmoins de plus en plus du seuil de renouvellement des générations, estimé à 2,1 enfants dans les pays développés.
Parallèlement, le nombre de femmes âgées de 15 à 44 ans décroît comme le reste de la population martiniquaise. Elles étaient 71 000 en 2013, elles ne sont plus que 57 300 dix ans plus tard. Il en résulte une baisse du nombre de naissances de 19,2 % entre 2013 et 2023. Il recule davantage pour les femmes de moins de 30 ans, en particulier pour celles de moins de 20 ans (-57,9 %). Les naissances issues de mères de moins de 30 ans contribuent ainsi à hauteur de 85,4 % à la baisse globale des naissances sur la décennie.
Pour les femmes plus âgées, la baisse est plus modérée : -5,0 % pour celles de 30 à 34 ans, -9,3 % pour les femmes de 40 ans et plus.
L’âge moyen des mères martiniquaises à la naissance est de 30,3 ans en 2023, proche de celui des Guadeloupéennes (30,5 ans). Les femmes accouchent en moyenne plus tôt en Guyane (29,1 ans) et plus tard en France (31,1 ans).
En 2023, 30 bébés sont nés de mères mineures en Martinique contre 37 en 2022, soit 0,9 % des naissances. En 2013 elles représentaient 2 % des naissances. Les naissances issues de mères mineures sont plus fréquentes en Guyane (5,0 %) mais moins en France métropolitaine (0,3 %).
En 2023, 2 300 interruptions volontaires de grossesse (IVG) ont été réalisées en Martinique, c’est 120 de plus qu’en 2022 [Drees, 2024 ; pour en savoir plus (6)]. Avec 33,1 interruptions pour 1000 femmes âgées de 15 à 49 ans, le taux de recours à l’IVG progresse légèrement par rapport à 2022 (31,3 ‰). En France métropolitaine, ce taux est deux fois plus faible (16,3 ‰). Le taux varie beaucoup selon les départements et régions d’outre-mer. En Guadeloupe et en Guyane il y est plus élevé avec respectivement 41,5 ‰ et 48,9 ‰.

Le nombre de décès diminue sur un an mais reste à un niveau élevé

En 2023, 3 820 personnes sont décédées en Martinique, soit 370 de moins que l’année précédente. Les années 2021 et 2022 avaient en effet été marquées par une surmortalité liée à l’épidémie de Covid-19. Le taux de mortalité s’élève à 10,9 ‰ en 2023, soit 0,9 point de moins que l’année précédente. Il est cependant supérieur de 1,0 point par rapport à l’année 2020, avant que la crise sanitaire n’affecte fortement le nombre de décès dans la région. Dans l’Hexagone, où les effets de la pandémie sur le nombre de décès ont été plus précoces, le taux de mortalité diminue aussi en 2023 (9,4 ‰) par rapport à 2022 (10,0 ‰) mais reste légèrement au-dessus du taux de 2019 (9,2 ‰). En dépit de la baisse du nombre de décès en 2023, la tendance sur les trois dernières décennies reste orientée à la hausse en Martinique. Le rythme s’accélère même entre 2013 et 2023 avec la poursuite du vieillissement de la population. Le taux de mortalité s’établissait à 7,5 ‰ en 2013, soit 3,4 points de moins que dix ans plus tard.
Le nombre élevé de décès et la diminution des naissances depuis 2008 conduisent à un solde naturel négatif (-480) pour la quatrième année consécutive (figure 2). La Martinique est le seul Drom avec un solde naturel déficitaire en 2023, la Guadeloupe ayant enregistré un nombre de naissances légèrement supérieur à celui des décès (+200). Le déficit naturel en Martinique est toutefois moins accentué que les deux années précédentes (-1 020 en 2021, -700 en 2022).
L’espérance de vie à la naissance augmente à nouveau en Martinique. En 2023, elle s’établit à 78,2 ans chez les hommes (+1,1 an par rapport à 2022) et 83,8 ans chez les femmes (+0,9 an). Cet allongement de l’espérance de vie, combiné à celui de l’année précédente, permet de compenser chez les hommes la réduction en lien avec la pandémie observée en 2021. Pour les femmes, l’espérance de vie reste encore en retrait par rapport à 2020 (84,4 ans). En France métropolitaine, l’espérance de vie des hommes comme celle des femmes, après avoir chuté en 2020, a de nouveau dépassé le niveau d’avant crise. Elle s’établit à 80,1 ans chez les hommes et 85,8 ans chez les femmes en 2023.
Par ailleurs, la mortalité infantile reste élevée : en 2023, 30 nourrissons sont décédés avant leur premier anniversaire en Martinique soit 7,5 décès pour 1000 enfants nés vivants. Celui de la France métropolitaine s’établit à 3,7 ‰.
Le déficit migratoire s’ajoute au déficit naturel
La deuxième composante de l’évolution démographique est le solde migratoire, c’est-à-dire la différence entre le nombre d’arrivées et le nombre de départs du territoire. Il reste fortement déficitaire en Martinique en 2023 (-3 040 habitants), comme il l’est depuis 2006. Il vient s’ajouter au déficit naturel plus récent. Le déficit migratoire contribue à faire diminuer la population de la Martinique de 0,9 % entre 2022 et 2023 et pèse davantage que le déficit naturel (-0,1 %). Les départs du territoire des jeunes adultes à la recherche d’un emploi ou pour continuer leurs études restent importants, et leur part dans la population poursuit ainsi sa diminution. La Martinique se classe de nouveau au premier rang des régions françaises avec la plus faible part de jeunes de moins de 25 ans (25 %), au même niveau que la Corse. Ils représentaient 30 % de la population martiniquaise en 2013.
À l’inverse, les seniors sont de plus en plus nombreux (figure 3). En 2023, la Martinique reste pour la deuxième année consécutive, la région française avec la part la plus élevée de personnes de 60 ans et plus (33 %), devant la Nouvelle-Aquitaine, la Corse et la Bourgogne Franche-Comté (32 %). En 2013, les seniors représentaient 24 % de la population. Ainsi le vieillissement de la population se poursuit, à un rythme plus marqué qu’en France hexagonale. L’indice de vieillissement en Martinique est passé de 0,71 (71 personnes âgées de 65 ans ou plus pour 100 jeunes de moins de 20 ans) à 1,18 entre 2013 et 2023, tandis que l’indice métropolitain progressait de 0,75 à 0,95.
En Martinique, 900 mariages ont été célébrés en 2023 (estimation réalisée fin novembre 2023), soit 90 mariages de moins qu’en 2022. Hors effet directement lié à la crise sanitaire du Covid-19, cette baisse confirme la tendance observée depuis vingt ans.
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