ReporterreDe la FIFA au PSG, en passant par le richissime championnat anglais, le monde du ballon rond se présente comme soucieux d’environnement. Mais pour l’instant, la réalité sur le terrain est loin des proclamations des dirigeants.

Dimanche 18 avril, douze clubs parmi les plus riches de la planète officialisaient la création de leur propre compétition, la SuperLeague. Mais en moins 48 heures, la tentative tournait au fiasco, et ses instigateurs se sont retrouvés accusés par leurs supporters de n’être que des entreprises aveuglées par la recherche du profit. Le football professionnel est un business qu’il s’agit de faire fleurir, peu importent les moyens. La vie et la mort de la SuperLeague auront agi comme une piqûre de rappel au sujet des intentions des acteurs du ballon rond, qui tentaient ces derniers mois de se donner le beau rôle sur les réseaux sociaux.

Instances internationales, clubs et joueurs n’ont eu de cesse de diffuser une image positive depuis le début de la crise sanitaire, entre prises de position contre le racisme, lutte contre la précarité, mais également volonté d’agir en faveur de l’environnement. Si l’engagement du monde sportif pour ces deux premières causes n’est pas nouveau, sa promotion de l’écologie a, elle, émergé ces dernières années, jusqu’à prendre de plus en plus de place dans cette communication.

Un verdissement… de la communication

Les organisateurs des grandes compétitions internationales se saisissent, ainsi, de la question de la neutralité carbone, tandis que certains clubs professionnels affichent leurs ambitions en matière de respect de la planète sur les réseaux sociaux.

En France, les clubs de Lille et du Paris-Saint-Germain ont, par exemple, rejoint des programmes verts de l’ONU en 2021. En Angleterre, la question est même devenue un enjeu de publicité pour les équipes professionnelles avec un classement écologique annuel« Les clubs ont une nécessité, notamment pour des raisons d’image, de s’engager en faveur de l’écologie, explique Mathieu Djaballah, maître de conférences à l’université de Paris-Saclay, spécialiste de la responsabilité sociale du sport. Mais cette volonté de faire des efforts a une limite : la remise en cause du modèle économique du sport professionnel. » Vendre des maillots fantaisistes tous les ans tout en disant qu’on respecte l’environnement… le sport roi n’est pas encore prêt à la sobriété.

« Certains acteurs font preuve d’une sincère volonté de réduire leur empreinte écologique », pense tout de même Tiberio Daddi, de l’université de Pise. À la tête de l’organisation Tackle, l’Italien travaille au quotidien avec plusieurs clubs et fédérations pour les aider dans leur transition verte. « Il y a des choses très simples à mettre en place, notamment au niveau du stade : éclairages LED, système pour éviter de gaspiller l’eau, installation de panneaux solaires… Si tous les clubs se tournaient vers des circuits courts, des produits durables et des repas végétariens pour les joueurs et les supporters, cela aurait un effet fort et rapide. » Ces solutions commencent à être adoptées dans les championnats européens, et de plus en plus de clubs se fixent pour but à court ou moyen terme d’atteindre la neutralité carbone.

Le chantier de construction du Lusail Stadium, à une vingtaine de kilomètres de Doha, la capitale du Qatar, fin décembre 2019.

Dans le foot, ce principe du zéro émission a d’abord été porté par la Fédération internationale de football association (FIFA). « La neutralité carbone est le meilleur moyen de montrer que l’on se saisit des enjeux environnementaux, rappelle Mathieu Djaballah. Le problème est qu’on ne peut pas organiser un événement sportif sans émettre de CO₂. » De la construction des stades et autres infrastructures (hôtels, lignes de métro) à l’accueil de millions de fans dans les aéroports, les Coupes du monde et les Euros ont une empreinte carbone qui se chiffre à chaque fois en millions de tonnes — ce qui n’empêche pas leurs organisateurs de s’enorgueillir, compétition après compétition, d’atteindre la neutralité. Un tour de passe-passe possible grâce au mécanisme de compensation carbone« On va calculer son empreinte et puis on va acheter des crédits pour replanter des arbres en Afrique, résume Mathieu Djaballah. On arrive à un zéro, mais c’est un faux zéro. »

Car si la compensation permet aux clubs et institutions occidentales de s’afficher en défenseurs du climat et de l’environnement, ses bénéfices sont loin d’être prouvés par la science, tandis que ses conséquences sur les populations locales sont décriées. « Cette méthode est un scandale, une escroquerie, dénonce Andrew Simms, de l’ONG Rapid Transition Alliance, qui a réalisé plusieurs rapports sur les conséquences environnementales du sport. C’est une sorte de blanchiment d’argent. » Cette solution est pourtant mise en avant et généralisée, servant d’alibi à une industrie qui n’a pas encore fait le pari des mobilités douces. En 2020, Le Parisiencomptabilisait que, chaque weekend, 82 % des clubs de Ligue 1 se déplaçaient en avion, et parfois pour des voyages absurdes.

En janvier dernier, par exemple, le PSG s’est ainsi fait épingler pour s’être rendu de Paris à Lens par les airs, deux villes séparées par seulement 1 h 15 de TGV. En Angleterre, les Londoniens d’Arsenal, pourtant club pro le plus écolo du royaume, ont été pris en flagrant délit de rallier Norwich en avion. Durée du vol : un quart d’heure.

Des compétitions réparties sur une douzaine pays

« Sans doute, les clubs sont-ils au courant que la compensation carbone n’est pas la panacée, mais si l’alternative est de ne pas pouvoir compter sur ses supporters à l’extérieur lors d’un match couperet de Ligue des Champions, le calcul est vite fait », dit Tiberio Daddi. Un réflexe loin d’être découragé par les fédérations. L’Union des associations européennes de football (UEFA), l’instance du foot en Europe, symbolise le tout avion. En 2019, par exemple, la finale de la Ligue des Champions opposant les deux clubs anglais de Tottenham et de Liverpool s’est déroulée à Madrid. Celle de la Ligue Europa, entre deux équipes de Londres, Chelsea et Arsenal, a eu lieu dans le stade olympique de Bakou. La capitale d’Azerbaïdjan fait également partie de la vingtaine de villes hôtes du prochain Euro, qui doit se tenir au mois de juin. L’événement est organisé dans une douzaine de pays, ce qui va contraindre les équipes à encombrer le ciel du continent, mais, garantit la fédération, il sera neutre en carbone.

Le choix de Bakou n’est pas un hasard. Pour le foot business, les sponsors sont une source de revenus cruciale. Or, une étude, publiée fin mars par trois cercles de réflexion anglais, montre que les entreprises qui extraient et/ou utilisent massivement des énergies fossiles trustent les places de choix en matière de sponsor. À l’UEFA, par exemple, on reçoit de l’argent de la part de Socar, la compagnie pétrolière d’État azérie, mais aussi de Gazprom, sa concurrente russe, « fier partenaire » de la Ligue des Champions. Pour ces entreprises controversées, le sport est devenu vecteur privilégié de l’écoblanchiment ou greenwashing« Cela leur permet de développer une bonne image auprès du grand public, de se normaliser », explique Andrew Simms, qui a travaillé sur le rapport.

Des projections prévoient que le stade de Chelsea, Stamford Bridge, risque d’être victime d’innondations annuelles avant 2050.

Rien qu’en France, le PSG est détenu par le fonds souverain du Qatar, l’un des premiers producteurs mondiaux de gaz. Ineos, propriétaire de l’OGC Nice depuis 2019, s’est fait connaître du grand public grâce à la victoire du Tour de France de son coureur cycliste Egan Bernal. Mais avant d’être une entreprise qui soutient le sport, Ineos est le cinquième groupe chimique mondial, en pointe dans l’extraction de gaz de schiste.

De l’autre côté du Rhin, Wolfsburg, le club le plus en avance sur les questions d’écologie, appartient à Volkswagen, constructeur automobile au cœur du Dieselgate… Le milieu du foot regorge d’exemples de ce type. « Le plus triste là-dedans, conclut Andrew Simms, c’est que le monde du ballon rond va souffrir du changement climatique et de la détérioration de la qualité de l’air, tous deux causés par la combustion d’énergie fossile. » Membre des douze fondateurs de feu la SuperLeague, Chelsea devrait ainsi voir son stade devenir une zone régulièrement inondée d’ici 2050.

 

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