Ils ont 38 et 41 ans. Ce ne sont ni des débutants, ni des pros de la voile : L’un est mécanicien naval dans le civil, l’autre ingénieur logisticien. Hervé et Jean-Yves n’ont pas pris de billet retour, ni retenu de cargo pour ramener leur Class40, et pour cause. Premier équipage 100% martiniquais de l’histoire de la course, les deux copains rentrent à la maison à bord de leur Martinique Tchalian, le vieux mais solide plan Manuard n°104 qu’ils ont loué et pris en main en septembre.

Récit d’une belle aventure qui ne fait peut-être que commencer.

L’histoire démarre à l’arrivée de la dernière Route du café. Gilles Lamiré a laissé son Ocean Fifty à Fort-de-France mais c’est à son retour qu’il rencontre à Cancale Hervé Jean-Marie, venu passer des vacances en métropole. Hervé fait du Formule 18 en Martinique, la course au large l’attire… Ça tombe bien, Gilles a besoin d’équipiers cet hiver pour promener des partenaires dans les îles et courir la RORC Caribbean 600. « Il m’a invité à naviguer à bord et m’a demandé de monter une petite équipe martiniquaise pour lui apporter un soutien logistique. J’ai embarqué dans l’histoire mon équipier  de F18 et j’ai aussi fait signe à Jean-Yves qui est spécialiste de voile traditionnelle et navigue sur des Yoles, Gommiers ou Bébé-yoles en compétition » raconte Hervé.

Préparation du trimaran, sorties partenaires, entraînements,… Vient le convoyage vers Antigua avec une nouvelle rencontre, celle de Maxime Sorel venu faire une pige pour Gilles Lamiré « En dix jours d’aventure, nous avons construit une amitié avec Max. Il nous a invité à naviguer sur l’IMOCA qu’il lançait à Concarneau. Avec le recul, le projet s’est construit comme ça, en prenant des petites briques à droite à gauche, en croisant des gars qui nous disaient que c’était possible aussi pour nous » se souvient Jean-Yves.

UN HORIZON LOINTAIN

Qu’est ce qui empêcherait d’ailleurs les deux compères à se lancer ? Ils sont tous les deux titulaires du capitaine 200 et skippent des bateaux de temps en temps, pratiquent le trail pour « s’éprouver mentalement et physiquement »… Mais la gamberge s’installe, les aller-retours entre le rêve et la réalité insulaire, le quotidien du travail et cette ritournelle des rencontres où tout semble facile pour ceux qui l’ont fait et vous encouragent à faire pareil. « Le plus dur, c’est de sauter » dit sobrement Hervé. La course au large serait-elle juste une affaire de métropolitains ou de guadeloupéens biberonnés à la Route du Rhum depuis 1978 ? « C’était juste lointain, car aucune grande course n’est arrivée à la Martinique avant la Route du café 2021. Et puis à l’arrivée, l’intérêt pour la course se dilue rapidement. Ça n’a pas la force d’un départ, de ces dix jours de village au Havre où la pression monte, où l’histoire se fabrique » dit Jean-Yves au milieu du bassin Paul Vatine.

La preuve, lorsqu’ils montent leur association et commencent à démarcher les entreprises locales, le pitch d’un équipage 100% martiniquais sur une course qui arrive à la maison, ne fait pas mouche. Les sponsors sont hermétiques « car il n’y a aucun équivalent en terme d’analyse de coût et d’avantage » croit Jean-Yves. « Chez nous, la voile traditionnelle fait l’objet d’un énorme engouement. C’est l’identité de l’île et tu peux avoir jusqu’à 100 000 personnes de toutes conditions et tous âges qui viennent assister à une arrivée de championnat sur la plage. La course au large c’est une autre histoire, pas encore notre histoire… »

LE GRAND SAUT

Viennent tout de même les premiers partenaires début 2023, le Comité du Tourisme Martiniquais vote une subvention au printemps et le budget se construit entre petites touches et promesses de dons. Si la location d’un scow leur parait exclue, Hervé et Jean-Yves se tournent vers les Class40 d’ancienne génération. Ils font la connaissance de Florian Guéguen qui dispose d’un plan Manuard de 2011 et les embarque sur le Défi Atlantique, nouvelle course au calendrier de la classe entre La Rochelle et les Açores. L’arrivée d’un véritable sponsor, l’entreprise Tchalian, spécialisée dans la quincaillerie inox en Martinique fait le reste en juin. In extrémis, Hervé et Jean-Yves signent la location du bateau. Ils ont fait leur stage ISAF juste avant l’été mais il ne leur reste qu’un mois pour assurer leur parcours de qualification début septembre lorsqu’ils récupèrent le bateau. « Nous avons pas mal navigué au départ de Saint-Malo. Tout était nouveau pour nous, les marées, le courant, les écluses, il a fallu apprivoiser ça …»

Aujourd’hui, Martinique Tchalian tire sur ses aussières au Havre comme les 43 autres Class40 qui piaffent d’ici le départ dimanche. Un départ tonique visiblement, qui incite à la prudence les deux bizuths de la transat : « On ne s’est fixé aucun objectif de résultat. C’est une aventure et la mise en route sera sans doute progressive. On fera très attention au matériel parce qu’on veut absolument arriver. Le gros dossier, c’est la Manche et le golfe de Gascogne. Il faudra serrer les ceintures, les fesses et les dents ! » dit Jean-Yves.

Sans doute que les deux camarades qui se voient bien former des jeunes sur le bateau après l’arrivée se rendent compte qu’ils portent une vraie responsabilité dans l’aventure. « Je ne sais pas combien de gens rêvent de course au large en Martinique, mais ça traverse les générations pense Hervé. J’ai souvent entendu autour de moi sur les pontons des gens dire qu’ils auraient voulu franchir le pas mais n’ont pas osé… »

Une chose est sûre : lorsque Martinique Tchalian s’annoncera à la VHF pour son passage au rocher du Diamant, pile devant le village de Sainte Luce où réside Jean-Yves, le rêve deviendra réalité et la fête pourra commencer. « Mais il faut s’inscrire dans la durée. Lorient ne s’est pas fait en deux ans et il faudra bien d’autres Routes du café en Martinique pour que la roue tourne ».

L’histoire retiendra en tous cas qu’Hervé Jean-Marie et Jean-Yves Aglae ont amorcé le mouvement.

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