Poudre aux yeux ou vraie conversion?
Repéré par Céline Deluzarche sur The Sunday Telegraph
C’est un peu comme si Nutella demandait l’interdiction des produits gras et sucrés. Le PDG de Philip Morris, Jacek Olczak, a appelé le 24 juillet le gouvernement britannique à interdire la vente de tabac d’ici dix ans.
«Nous pouvons désormais envisager un monde sans cigarettes», a-t-il expliqué au Sunday Telegraph. «Et plus tôt cela se produira, mieux ce sera pour tout le monde», a-t-il ajouté, prenant pour comparaison l’interdiction des ventes de voitures thermiques décidée par le gouvernement britannique pour 2030.
Selon Jacek Olczak, une proscription générale mettrait fin à la confusion qui règne encore chez les fumeurs, qui pensent que les alternatives au tabac sont encore plus mauvaises pour l’organisme.
«Le premier choix est évidemment celui de s’arrêter de fumer. Mais, si ce n’est pas le cas, il faut leur permettre de s’orienter vers des alternatives meilleures pour la santé», a précisé la vice-présidente de la communication scientifique de Philip Morris, Moira Gilchrist.
Une allusion non voilée à son produit phare IQOS, un dispositif qui utilise du tabac chauffé et permet de s’affranchir, selon son concepteur, des écueils de la combustion.
Un monde sans fumée
«Depuis 2008, Philip Morris a investi 8,1 milliards dans la recherche pour développer des alternatives au tabac à fumer», avance la compagnie sur son site Internet. Le géant du tabac a aussi récemment investi le secteur médical, avec le rachat en juillet dernier, pour 1,17 milliard d’euros, de Vectura, une biotech pharmaceutique spécialisée dans les médicaments contre les maladies respiratoires.
En juin, Philip Morris avait également racheté le fabricant de gommes à la nicotine Fertin Pharma. L’entreprise prévoit ainsi de réaliser 50% de ses bénéfices avec des produits sans fumée et sans nicotine d’ici 2025.
Les déclarations de Jacek Olczak n’ont pourtant pas manqué de susciter l’ironie. «Comment de telles allégations peuvent-elles être prises au sérieux de la part d’une entreprise qui vend plus d’une cigarette fumée sur dix dans le monde?», s’offusque ainsi Deborah Arnott,directrice générale de la campagne d’Action on Smoking and Health (ASH), une ONG qui milite contre le tabac.
L’annonce a également fait réagir l’association de fumeurs Forest, qui a dénoncé une «course à l’imbécilité», affirmant qu’une telle interdiction ne ferait que pousser les fumeurs vers des produits de contrebande et alimenterait des «gangs criminels».
La transition vers un modèle plus vertueux n’est décidément pas simple pour les géants du «vice». Lorsque Total a annoncé le 28 mai dernier son changement de nom par TotalEnergies et son objectif de neutralité carbone d’ici 2050, la compagnie s’est immédiatement fait taxer de greenwashing, quand bien même elle avance des objectifs chiffrés.
Emmanuel Fabert, l’ex-directeur général de Danone qui, ces dernières années, avait tenté de repositionner le groupe sur des produits sains et la nutrition médicale, a été débarqué sans ménagement mi-mars par son conseil d’administration. À se demander s’il ne fait pas mieux perdurer dans l’amoralité.