FIGAROVOX/TRIBUNE – Emmanuel Macron a annoncé hier soir l’extension du pass sanitaire et l’obligation pour les soignants de se faire vacciner. Si la liberté suppose une absence de coercition, chaque liberté est limitée par celle d’autrui, estime l’avocat et essayiste Jean-Philippe Delsol.

Par Jean-Philippe Delsol

Emmanuel Macron a annoncé lundi 12 juillet l’extension du pass sanitaire et l’obligation pour les soignants de se faire vacciner. AFP

Jean-Philippe Delsol est avocat et président de l’IREF, essayiste, il a publié «Éloge de l’inégalité» (Les Belles Lettres/Manitoba).

Dans un discours ferme, ce 12 juillet, Emmanuel Macron a pris le parti d’imposer la vaccination. Les mesures envisagées s’appliqueront aux soignants, au sens large, et peut-être demain à d’autres tels les enseignants, les étudiants en présentiel…. Déjà l’exigence d’un certificat de vaccination, le pass sanitaire, pour de très nombreuses activités sociales et professionnelles sera une contrainte lourde pour ceux qui n’auront pas voulu se faire vacciner.

Les antivax crient déjà au scandale et à la tyrannie. Certains invoquent des raisons religieuses qui nourrissent souvent des fake news, d’autres des incertitudes médicales, les libéraux revendiquent la totale propriété de leur corps et s’insurgent contre la violation qu’en représente l’obligation de se faire vacciner ou les contraintes imposées aux non-vaccinés. Ces récriminations, qui ont leur légitimité, justifient-elles leur fronde et leur refus ?

Les limites de la raison et de la nature humaine

Les libertariens considèrent avec Ayn Rand que l’homme a pour première vocation de déterminer par lui-même les meilleurs moyens d’assurer sa vie : « tout ce dont il a besoin et ce qu’il désire doit être appris, découvert et produit par lui, par son propre choix, son propre effort et son propre esprit » (Une philosophie pour vivre sur la Terre). On peut être en désaccord avec Ayn Rand lorsqu’elle fait une fin de la liberté qui n’est qu’un moyen, mais elle soumet la liberté à l’exercice de la raison de l’homme : « Si la vie sur terre est son but, il a le droit de vivre comme un être rationnel: la nature lui interdit l’irrationnel ».

Et il serait irrationnel aujourd’hui de ne pas se faire vacciner, sauf cas médical particulier bien sûr.

La liberté de notre vie et de l’usage de notre corps nous appartient et cette propriété légitime comme toute autre propriété doit être respectée et protégée. Mais parce que nous en sommes propriétaires, nous en sommes responsables. Ce qui vient tempérer la propriété d’une connotation éthique. Le corps n’est jamais qu’au service de la finalité de la personne qui l’habite. Certes, cette finalité est à découvrir par chacun. Elle n’est pourtant pas arbitraire ; elle repose sur quelques fondements partagés par notre humanité, notamment dans le respect de la vie considérée comme un bien qui mérite qu’on le préserve.

Le choix est entre un mal certain, grave, mortel dans un nombre de cas non négligeable, et un mal possible, non avéré, considéré comme improbable en l’état de la science

Jean-Philippe Delsol

La limite de la liberté des autres

Pour le moins, notre liberté trouve sa limite dans celle des autres. Si bien même nous serions prêts à risquer notre vie pour des raisons personnelles acceptables, le droit que nous aurions peut-être de le faire serait relativisé si son exercice mettait en péril la santé, voire la vie des autres. Telle est bien la problématique vaccinale.

Il est vrai que nous manquons de recul pour évaluer toutes les conséquences du vaccin. Nous ne pouvons pas exclure des effets indésirables à long terme même si les autorités médicales du monde entier, dans leur très grande majorité, nous rassurent à ce sujet. Mais nous savons maintenant que le vaccin sauve de la maladie très largement et qu’il en atténue l’impact lorsqu’il frappe. Les États-Unis et la Grande Bretagne en particulier en offrent l’exemple. Le choix est entre un mal certain, grave, mortel dans un nombre de cas non négligeable, et un mal possible, non avéré, considéré comme improbable en l’état de la science. Ce choix qui, parce qu’il reste encore un soupçon d’incertitude, pourrait néanmoins être celui du refus de la vaccination s’il ne s’agissait que de soi, devient presque nécessairement celui de la vaccination lorsqu’il faut prendre en compte, d’un point de vue moral et responsable, la communauté dans laquelle nous vivons.

Certes la liberté suppose une absence de coercition, mais il n’y a pas de liberté solitaire. Chaque liberté est limitée par celle d’autrui.

Celui qui veut exercer la profession de soignant a au surplus un devoir éthique de sauver la vie des autres ou d’y contribuer, en conformité avec le serment d’Hippocrate qui relève de la morale naturelle. Il a donc un devoir préventif de se faire vacciner tout en gardant la liberté d’exercer une autre profession s’il ne le souhaite pas. C’est encore plus vrai dans un système hospitalier étatique qui laisse peu d’autre choix aux individus pour se faire soigner. De même que l’entreprise demande à celui qui veut être représentant de commerce de justifier d’un permis de conduire, de même que ceux qui veulent exercer des métiers de conducteur ou pilote doivent avoir une bonne vue, il ne paraît pas anormal de demander aux soignants de se faire vacciner pour que l’hôpital sauve plutôt que de contaminer.

Le pass sanitaire permet à ceux qui ont pris le risque du vaccin d’en recevoir les bénéfices sans craindre des contre-effets propagés par les adeptes du refus qui conservent leur liberté de vivre plus confinés, comme nous le serions sans doute encore tous si le vaccin n’existait pas.

Jean-Philippe Delsol

La liberté n’est que laxisme, faiblesse ou licence quand elle n’est pas corrélée à la responsabilité. Elle « est l’essence même du progrès » disait Bastiat qui précisait que si c’est « dans la loi de la responsabilité qu’il faut chercher le moyen de réalisation de la perfectibilité humaine, […] la responsabilité ne peut se concevoir sans liberté » (Les harmonies économiques). Ainsi, le pass sanitaire permet à ceux qui ont pris le risque du vaccin d’en recevoir les bénéfices sans craindre des contre-effets propagés par les adeptes du refus qui conservent leur liberté de vivre plus confinés, comme nous le serions sans doute encore tous si le vaccin n’existait pas.

Bien sûr, il y a la liberté de conscience. Elle justifie que la vaccination ne soit pas obligatoire en soi, mais qu’elle ne le soit que pour exercer certains métiers, pratiquer certaines activités, entrer dans certains lieux… Celui qui ne veut pas se faire vacciner en assume les conséquences comme les objecteurs de conscience le faisaient. Locke observe que « si la tolérance s’étendait à tout ce en quoi les hommes prétendent qu’à cause de leur conscience il leur est impossible de se soumettre, on détruirait par-là toutes les lois civiles et tout le pouvoir du magistrat » (Essai sur la Tolérance).

L’État français a été critiquable quand il a immobilisé la France du fait de sa propre imprévision et de son incurie dans la prise en charge des patients. Il en était coupable. Et l’arrêt de l’économie aura des conséquences néfastes, voire dramatiques, qu’on ne mesurera qu’à moyen et long terme sur l’aggravation de la pauvreté, la perte du sens du travail, l’endettement de la France et sa perte de compétitivité… Mais l’organisation de la vaccination, bien que tardive, est désormais opérationnelle. Et la vaccination est salutaire. Elle est même en l’état notre seul salut pour retrouver les voies de la vie et de la prospérité

Emmanuel Macron a annoncé lundi 12 juillet l’extension du pass sanitaire et l’obligation pour les soignants de se faire vacciner. AFP

Jean-Philippe Delsol est avocat et président de l’IREF, essayiste, il a publié «Éloge de l’inégalité» (Les Belles Lettres/Manitoba).

Dans un discours ferme, ce 12 juillet, Emmanuel Macron a pris le parti d’imposer la vaccination. Les mesures envisagées s’appliqueront aux soignants, au sens large, et peut-être demain à d’autres tels les enseignants, les étudiants en présentiel…. Déjà l’exigence d’un certificat de vaccination, le pass sanitaire, pour de très nombreuses activités sociales et professionnelles sera une contrainte lourde pour ceux qui n’auront pas voulu se faire vacciner.

Les antivax crient déjà au scandale et à la tyrannie. Certains invoquent des raisons religieuses qui nourrissent souvent des fake news, d’autres des incertitudes médicales, les libéraux revendiquent la totale propriété de leur corps et s’insurgent contre la violation qu’en représente l’obligation de se faire vacciner ou les contraintes imposées aux non-vaccinés. Ces récriminations, qui ont leur légitimité, justifient-elles leur fronde et leur refus ?

Les limites de la raison et de la nature humaine

Les libertariens considèrent avec Ayn Rand que l’homme a pour première vocation de déterminer par lui-même les meilleurs moyens d’assurer sa vie : « tout ce dont il a besoin et ce qu’il désire doit être appris, découvert et produit par lui, par son propre choix, son propre effort et son propre esprit » (Une philosophie pour vivre sur la Terre). On peut être en désaccord avec Ayn Rand lorsqu’elle fait une fin de la liberté qui n’est qu’un moyen, mais elle soumet la liberté à l’exercice de la raison de l’homme : « Si la vie sur terre est son but, il a le droit de vivre comme un être rationnel: la nature lui interdit l’irrationnel ».

Et il serait irrationnel aujourd’hui de ne pas se faire vacciner, sauf cas médical particulier bien sûr.

La liberté de notre vie et de l’usage de notre corps nous appartient et cette propriété légitime comme toute autre propriété doit être respectée et protégée. Mais parce que nous en sommes propriétaires, nous en sommes responsables. Ce qui vient tempérer la propriété d’une connotation éthique. Le corps n’est jamais qu’au service de la finalité de la personne qui l’habite. Certes, cette finalité est à découvrir par chacun. Elle n’est pourtant pas arbitraire ; elle repose sur quelques fondements partagés par notre humanité, notamment dans le respect de la vie considérée comme un bien qui mérite qu’on le préserve.

Le choix est entre un mal certain, grave, mortel dans un nombre de cas non négligeable, et un mal possible, non avéré, considéré comme improbable en l’état de la science

Jean-Philippe Delsol

La limite de la liberté des autres

Pour le moins, notre liberté trouve sa limite dans celle des autres. Si bien même nous serions prêts à risquer notre vie pour des raisons personnelles acceptables, le droit que nous aurions peut-être de le faire serait relativisé si son exercice mettait en péril la santé, voire la vie des autres. Telle est bien la problématique vaccinale.

Il est vrai que nous manquons de recul pour évaluer toutes les conséquences du vaccin. Nous ne pouvons pas exclure des effets indésirables à long terme même si les autorités médicales du monde entier, dans leur très grande majorité, nous rassurent à ce sujet. Mais nous savons maintenant que le vaccin sauve de la maladie très largement et qu’il en atténue l’impact lorsqu’il frappe. Les États-Unis et la Grande Bretagne en particulier en offrent l’exemple. Le choix est entre un mal certain, grave, mortel dans un nombre de cas non négligeable, et un mal possible, non avéré, considéré comme improbable en l’état de la science. Ce choix qui, parce qu’il reste encore un soupçon d’incertitude, pourrait néanmoins être celui du refus de la vaccination s’il ne s’agissait que de soi, devient presque nécessairement celui de la vaccination lorsqu’il faut prendre en compte, d’un point de vue moral et responsable, la communauté dans laquelle nous vivons.

Certes la liberté suppose une absence de coercition, mais il n’y a pas de liberté solitaire. Chaque liberté est limitée par celle d’autrui.

Celui qui veut exercer la profession de soignant a au surplus un devoir éthique de sauver la vie des autres ou d’y contribuer, en conformité avec le serment d’Hippocrate qui relève de la morale naturelle. Il a donc un devoir préventif de se faire vacciner tout en gardant la liberté d’exercer une autre profession s’il ne le souhaite pas. C’est encore plus vrai dans un système hospitalier étatique qui laisse peu d’autre choix aux individus pour se faire soigner. De même que l’entreprise demande à celui qui veut être représentant de commerce de justifier d’un permis de conduire, de même que ceux qui veulent exercer des métiers de conducteur ou pilote doivent avoir une bonne vue, il ne paraît pas anormal de demander aux soignants de se faire vacciner pour que l’hôpital sauve plutôt que de contaminer.

Le pass sanitaire permet à ceux qui ont pris le risque du vaccin d’en recevoir les bénéfices sans craindre des contre-effets propagés par les adeptes du refus qui conservent leur liberté de vivre plus confinés, comme nous le serions sans doute encore tous si le vaccin n’existait pas.

Jean-Philippe Delsol

La liberté n’est que laxisme, faiblesse ou licence quand elle n’est pas corrélée à la responsabilité. Elle « est l’essence même du progrès » disait Bastiat qui précisait que si c’est « dans la loi de la responsabilité qu’il faut chercher le moyen de réalisation de la perfectibilité humaine, […] la responsabilité ne peut se concevoir sans liberté » (Les harmonies économiques). Ainsi, le pass sanitaire permet à ceux qui ont pris le risque du vaccin d’en recevoir les bénéfices sans craindre des contre-effets propagés par les adeptes du refus qui conservent leur liberté de vivre plus confinés, comme nous le serions sans doute encore tous si le vaccin n’existait pas.

Bien sûr, il y a la liberté de conscience. Elle justifie que la vaccination ne soit pas obligatoire en soi, mais qu’elle ne le soit que pour exercer certains métiers, pratiquer certaines activités, entrer dans certains lieux… Celui qui ne veut pas se faire vacciner en assume les conséquences comme les objecteurs de conscience le faisaient. Locke observe que « si la tolérance s’étendait à tout ce en quoi les hommes prétendent qu’à cause de leur conscience il leur est impossible de se soumettre, on détruirait par-là toutes les lois civiles et tout le pouvoir du magistrat » (Essai sur la Tolérance).

L’État français a été critiquable quand il a immobilisé la France du fait de sa propre imprévision et de son incurie dans la prise en charge des patients. Il en était coupable. Et l’arrêt de l’économie aura des conséquences néfastes, voire dramatiques, qu’on ne mesurera qu’à moyen et long terme sur l’aggravation de la pauvreté, la perte du sens du travail, l’endettement de la France et sa perte de compétitivité… Mais l’organisation de la vaccination, bien que tardive, est désormais opérationnelle. Et la vaccination est salutaire. Elle est même en l’état notre seul salut pour retrouver les voies de la vie et de la prospérité

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