Une production légale devenue… une source du marché illégal
Au Canada, aux États-Unis ou en Thaïlande, la libéralisation du cannabis s’est accompagnée d’une hausse spectaculaire de la production. Officiellement destinée au marché intérieur, cette offre légale a rapidement dépassé la demande. Les surplus, mal contrôlés ou insuffisamment tracés, ont alors basculé vers les réseaux criminels internationaux.
La France en subit aujourd’hui directement les conséquences. L’OFAST souligne un phénomène particulièrement préoccupant pour l’Europe : la montée en puissance de filières d’exportation illégales depuis les pays légalement producteurs. En 2024, les douanes françaises ont ainsi intercepté 1,3 tonne de cannabis en provenance de Thaïlande, volume presque identique sur les seuls huit premiers mois de 2025.
La “fausse évidence” d’un marché noir en recul
Les enseignements tirés de ces expériences étrangères vont à rebours d’un argument central des partisans de la légalisation : la disparition progressive des trafics grâce à l’ouverture d’un marché régulé.
Or les tendances observées montrent l’inverse. Les réseaux illégaux continuent de prospérer, profitant des écarts de prix, de taxation ou de qualité entre le marché légal et les circuits parallèles. Dans certaines zones du Canada, les organisations criminelles ont même regagné des parts de marché en proposant des produits moins chers que ceux vendus légalement, mais toujours très lucratifs.
L’OFAST note également que la légalisation n’a pas entraîné de baisse significative des violences liées aux trafics, un argument souvent mis en avant dans les débats publics.
Un enjeu géopolitique et douanier sous-estimé
L’un des apports majeurs du rapport réside dans sa dimension internationale. Les flux liés au cannabis circulent désormais à grande échelle entre pays ayant légalisé et États prohibant toujours l’usage. Les excédents produits légalement s’insèrent dans des routes criminelles bien établies, souvent par conteneurs ou colis express, opérés par des groupes transnationaux.
Pour la France, cette réalité implique une adaptation profonde des stratégies de contrôle douanier, notamment dans les zones les plus exposées aux trafics internationaux : ports, plateformes logistiques et territoires ultramarins.
Les Outre-mer en première ligne
La Martinique, la Guadeloupe ou encore la Guyane, situées au croisement des routes américaines et européennes, constituent des points de passage privilégiés. Ces territoires déjà fragilisés par les trafics de cocaïne en provenance d’Amérique du Sud pourraient devenir des hubs secondaires pour la redistribution de cannabis issu de pays légalement producteurs.
Le rapport souligne la nécessité de renforcer la coopération régionale avec les autorités caribéennes, de resserrer le maillage douanier et d’adapter les politiques de prévention, les consommations y étant souvent plus élevées chez les jeunes que dans l’Hexagone.
Un avertissement plus qu’un verdict
L’OFAST ne tranche pas la question de la légalisation en France. Mais son rapport met en garde contre toute vision naïve d’une réforme qui, si elle n’est pas préparée en tenant compte des dynamiques internationales, pourrait produire des effets inverses à ceux recherchés.
L’étude rappelle que la légalisation n’assèche pas mécaniquement les trafics. Seule une architecture de contrôle extrêmement robuste – traçabilité stricte, certification, coopération internationale, contrôle des surplus, police des frontières modernisée – peut limiter les dérives.
La France, écrit l’OFAST, ne pourra faire l’économie d’une réflexion globale, articulant santé publique, sécurité, diplomatie et fiscalité. Une conclusion qui, à elle seule, rappelle que la question du cannabis dépasse largement le débat moral ou culturel : elle est devenue un enjeu stratégique mondial.



