Comme nos lecteurs pourront le constater, la réaction à cet article se distingue par sa mesure et sa pondération. C’est avec plaisir que notre rédaction engage un débat avec les membres de cette communauté religieuse.
Gérard Dorwling-Carter
Exercice du droit de réponse de l’Église protestante :
Le 29 mai 2025, votre site a publié un article intitulé « Martinique : le protestantisme luthéro-réformé à l’ombre d’un évangélisme proactif », accessible à l’adresse suivante : https://antilla-martinique.com/martinique-le-protestantisme-luthero-reforme-a-lombre-dun-evangelisme-proactif/. En tant que membres du conseil presbytéral de l’Église protestante réformée de Martinique, c’est-à-dire le conseil d’administration de l’association cultuelle de notre Église, nous sommes interpellés à plusieurs titres par cet article.
Tout d’abord, dans la miniature illustrant l’article sur votre page d’accueil, ainsi que dans l’illustration en haut de page, vous utilisez notre logo sans créditer les détenteurs du droit moral et sans avoir demandé l’autorisation de reproduction, contrevenant ainsi à l’article L111-1 du Code de la propriété intellectuelle.
Par ailleurs, plusieurs affirmations nous paraissent inexactes :
1. « Introduit au XIXe siècle, le protestantisme luthéro-réformé s’est implanté difficilement dans une société marquée par l’hégémonie catholique et les séquelles de l’esclavage. »
À notre connaissance, après la révocation de l’Édit de Nantes en 1685, il n’y a plus eu de présence protestante organisée jusqu’aux missions menées par des Églises évangéliques pentecôtistes, notamment Miss Mary Jameson, quelques années avant 1902 à Saint-Pierre. Notre Église a été fondée en 2002, à la suite de la suppression du poste d’aumônier militaire protestant aux Antilles, qui assurait jusque-là un culte hebdomadaire au Fort Desaix. Les fidèles se sont alors constitués en Église autonome, membre de la Fédération protestante de France par l’intermédiaire de la Communauté d’Églises protestantes francophones, appelée CEEEFE à l’époque.
2. « Quelques paroisses, issues de la tradition réformée française et des missions britanniques, subsistent aujourd’hui, rassemblant une poignée de fidèles attachés à une liturgie sobre et à un héritage théologique exigeant. Leur visibilité reste faible, leur influence sociale marginale. »
Il n’existe actuellement qu’une seule paroisse regroupant Réformés, Luthériens et Anglicans, située au 102 rue Victor-Sévère à Fort-de-France.
3. « Selon l’enquête INSEE « Pratiques religieuses en Martinique » (2011), moins de 1 % de la population se déclare protestante historique, soit environ 3 000 à 4 000 personnes sur une population totale de près de 370 000 habitants. L’Église protestante unie de France (EPUdF), présente sur l’île, ne compte aujourd’hui qu’une poignée de paroisses actives, dont les effectifs sont en déclin constant. L’âge médian des membres dépasse 55 ans, selon une enquête interne menée en 2020 par l’EPUdF locale. »
Après recherches sur le site officiel de l’INSEE, nous n’avons pas trouvé trace d’une enquête de 2011 intitulée « Pratiques religieuses en Martinique ». Nous serions heureux d’en obtenir la référence exacte. Nous serions ravis de compter entre 3 000 et 4 000 membres, mais ce n’est malheureusement pas le cas. Comme nous l’avons indiqué, il n’existe qu’une seule paroisse relevant de la tradition luthéro-réformée en Martinique. Par ailleurs, aucune enquête interne n’a été menée sur nos membres en 2020 ; nous aimerions donc connaître la source de cette information.
4. « Nos églises vieillissent, nos bancs se vident, et la relève tarde à venir », confie à Le Monde (sic) un responsable d’une paroisse protestante historique de Fort-de-France. Les jeunes générations, peu présentes, semblent préférer d’autres formes de spiritualité. »
À notre connaissance, aucun membre, et a fortiori aucun responsable, n’a accordé d’entretien ni évoqué la situation de notre Église avec un journaliste du Monde. D’ailleurs, ni le journal ni son site internet n’ont, semble-t-il, publié d’article sur la situation des protestants luthéro-réformés en Martinique au cours des cinq dernières années. Pourriez-vous nous indiquer la référence précise de l’article du Monde dont est tirée cette affirmation ?
D’autres qualificatifs employés dans l’article à propos de notre théologie et de notre liturgie, telles que « figés », « prisonnier d’une image élitiste » ou « tradition peu adaptée aux attentes contemporaines », relèvent de la liberté d’opinion, mais nous aurions apprécié que vous nous rencontriez avant de les publier.
Nous vous proposons donc de venir à notre rencontre afin que vous puissiez présenter à vos lecteurs une vision plus précise et fidèle de la réalité de notre communauté. À défaut, nous vous demandons de publier cette lettre au titre du droit de réponse.
Veuillez recevoir nos salutations cordiales et l’assurance de notre estime.
Pour le conseil presbytéral de l’EPRM,
Frédéric Vigouroux, Secrétaire
Réponse de la rédaction:
L’article propose un état des lieux du protestantisme en Martinique, en opposant la vitalité des Églises évangéliques à la marginalisation du courant luthéro-réformé, également appelé protestantisme historique. Le protestantisme luthéro-réformé, introduit au XIXe siècle, est aujourd’hui devenu minoritaire avec une présence discrète. Selon une opinion répandue, ce courant représenterait moins de un pour cent de la population, soit entre trois mille et quatre mille personnes, ne compterait qu’une poignée de paroisses, verrait ses effectifs diminuer et son âge médian augmenter. À l’inverse, les Églises évangéliques, pentecôtistes et adventistes rassembleraient entre trente-cinq mille et cinquante mille fidèles, soit dix à treize pour cent de la population, avec une forte proportion de jeunes, un dynamisme liturgique et une présence sociale importante.
Sur le plan critique, concernant le protestantisme réformé, l’article situe son introduction au XIXe siècle, ce qui correspond à l’arrivée de missions protestantes après l’abolition de l’esclavage, mais il omet la quasi-absence de structures organisées entre la révocation de l’Édit de Nantes en 1685 et le XXe siècle. Nous en prenons acte.
Pour les effectifs, l’article évoque une enquête INSEE intitulée « Pratiques religieuses en Martinique » de 2011, mais il n’existe pas de publication officielle sous ce titre. Les chiffres avancés de moins de un pour cent, soit trois mille à quatre mille personnes, sont des estimations secondaires, reprises notamment par Jean-Pierre Sainton, mais ne proviennent pas d’une enquête INSEE spécifique. Nous reconnaissons donc le caractère approximatif de cette affirmation. Concernant le déclin et l’âge médian, l’article cite une enquête interne de l’Église protestante unie de France locale en 2020, mais il n’y a pas de trace publique de cette enquête. L’affirmation sur l’âge médian élevé est plausible, mais non vérifiable sans source directe ; il s’agit donc d’une information de seconde main. Enfin, l’article attribue à un responsable local une citation publiée dans Le Monde, alors qu’aucune publication récente de ce journal ne mentionne la situation des protestants réformés en Martinique ni ne reprend cette citation. Sur ce point, nous avons manqué de vigilance.
En ce qui concerne les Églises évangéliques, les effectifs avancés de trente-cinq mille à cinquante mille fidèles, soit dix à treize pour cent de la population, s’appuient sur l’Observatoire du religieux aux Antilles (2019), une source universitaire crédible, même si la fourchette est large et dépend des critères d’appartenance. Les données sur la proportion de jeunes, quarante-deux pour cent de moins de trente-cinq ans, sont cohérentes avec les tendances observées dans le protestantisme évangélique mondial. Le nombre de lieux de culte, plus de trois cent cinquante pour les évangéliques et moins de dix pour les protestants, paraît crédible même si la source (Direction des affaires culturelles, 2022) n’est pas directement accessible en ligne. Il s’agit effectivement d’une information dont la source n’est pas publiée. Enfin, l’étude de l’INED (2020) sur la participation sociale n’est pas précisément référencée, mais l’idée que les évangéliques sont plus actifs socialement est largement confirmée par la littérature spécialisée.
Nous reconnaissons que l’article adopte un ton critique envers le protestantisme historique, en le qualifiant de figé, élitiste ou peu adapté aux attentes contemporaines. Cela ne signifie pas pour autant une adhésion aveugle ni une promotion des Églises évangéliques.
L’article met en avant le contraste avec le dynamisme évangélique sans donner la parole aux représentants du courant protestant, ni nuancer les causes du déclin. Nous le reconnaissons, mais nous soulignons également que la parole n’a pas été donnée non plus au courant évangélique. Certaines affirmations relèvent de l’opinion ou de la généralisation journalistique, ce qui participe à l’avancée du débat. L’intention est de montrer qu’au-delà des préoccupations matérielles des Martiniquais et des discours complotistes relayés par les réseaux sociaux, il existe en Martinique des dynamiques religieuses de qualité.
Par la mise en perspective historique et sociologique d’un aspect du fait religieux, et par l’utilisation de chiffres et de sources universitaires pour le courant évangélique, nous avons souhaité ouvrir le débat. Nous admettons volontiers que certaines de nos sources manquent de précision, comme l’INSEE 2011, l’enquête interne de l’Église protestante unie de France ou la citation du Monde, que l’article ne donne pas la parole au courant luthéro-réformé local et qu’il comporte des généralisations et jugements de valeur qui peuvent être contestés.
Ce sont précisément ces aspects qui appellent à la discussion et à l’approfondissement. Notre journal demeure entièrement ouvert à ce dialogue.



