La banane française, autrefois favorite, est aujourd’hui plongée dans une crise économique et commerciale sans précédent. Confrontée aux défis de la mondialisation, des normes strictes et de la concurrence étrangère, cette filière essentielle des Antilles traverse des temps difficiles. Face à des conséquences potentiellement graves, les producteurs de Martinique et de Guadeloupe engagent des débats avec l’Etat pour trouver des solutions.

La banane occupe une place de choix dans l’alimentation quotidienne des français. Avec une consommation atteignant environ 11 kilogrammes par habitant, et par an. Il s’agit du deuxième fruit le plus apprécié en France, derrière la pomme. Mais alors que les consommateurs voient cet aliment comme une source de bien-être, pour ceux qui le produisent, c’est une autre histoire. Derrière cette peau jaune se cache en réalité des défis majeurs auxquels les agriculteurs français de la filière font face.

Pendant des décennies, le commerce de la banane en France a prospéré sous l’ombre de la “Préférence nationale”. Ce principe accordait des avantages significatifs aux producteurs locaux en favorisant les produits nationaux sur le marché. Ce fruit exotique, cultivé principalement aux Antilles, sur les îles de Martinique et de la Guadeloupe, bénéficiait ainsi d’une position privilégiée. Cependant, l’essor de la mondialisation et les changements dans les politiques commerciales ont marqué la fin de cette ère.

C’est à partir des années 2000 que le marché de la banane connaît une première chute. La préférence nationale disparaît, mettant la filière à mal. À cette époque, les producteurs commençaient également à faire face à des problèmes structurels, créant ainsi un environnement extrêmement instable pour cette filière antillaise. Pour répondre à cette situation, des groupes de planteurs décident de créer, en 2003, l’UGPBAN (Union des groupements de producteurs de banane) afin de consolider leurs forces, mutualiser les coûts de production et défendre collectivement les intérêts de la filière, particulièrement vulnérable à la concurrence étrangère. En 2006, ils bénéficient d’une aide de l’Etat appelée le POSEI (Programme d’Options Spécifiques à l’Eloignement et à l’Insularité) visant à atténuer plusieurs de leurs contraintes.

Malheureusement, tous ces efforts et initiatives n’auront pas empêché les producteurs d’être confrontés à une série de difficultés sans fin. Entre les problèmes liés aux conditions climatiques, les coûts de productions trop élevés ou encore les réglementations françaises et européennes, les planteurs sont sur le point de craquer. Les autres filières de l’agriculture française étaient déjà à bout de souffle depuis plusieurs années et la banane n’y échappera pas.

Une Filière Antillaise en Péril

Aujourd’hui, nous ne sommes plus en mesure de pouvoir produire comme il y a 20 ans,” indique Francis Emonides, propriétaire d’une plantation de 10 employés, en Martinique. “Pour nous adapter nous avons été contraints de changer nos méthodes de production. Certains pesticides nous ont été retirés. Par rapport aux réglementations européennes, nous sommes donc obligés de nous débrouiller par nos propres moyens.”

Concernant les réglementations françaises et européennes, la filière bananière est sous contrôle de normes strictes en matière de production agricole. Ces mesures visent à assurer la sécurité alimentaire et à minimiser l’impact environnemental en imposant des restrictions sur l’utilisation de certains produits chimiques et à définir des pratiques agroécologiques. “Nous sommes parvenus à ce résultat, principalement par nos propres moyens, reprend le producteur martiniquais. Cependant, il y a des conséquences : nos coûts de production ont fortement augmenté.

Aujourd’hui dans une position délicate, plusieurs d’entre eux sont sans défense face à plusieurs défis naturels. Cette vulnérabilité se manifeste sur le plan financier, où les producteurs, malgré leurs efforts pour s’adapter, se trouvent souvent contraints de prendre des mesures drastiques. Pour répondre aux difficultés économiques, certains, comme Francis Emonides, sont contraints de diversifier leurs cultures pour assurer une source de revenus alternative, bien que cette stratégie nécessite tout de même de lourds investissements.

“Il est crucial que les autorités comprennent que la filière de production de bananes des Antilles est l’une des plus vertueuses de France, malgré le fait qu’elle soit confrontée à de nombreux problèmes”.

Alexis Gouyé

Plusieurs de ces cultivateurs confient se sentir abandonnés par l’État français ainsi que l’Union Européenne, à cause de la stagnation de leur situation. A plusieurs reprises les planteurs ont fait part de leur détresse ce à quoi les autorités ont promis des changements. Ces engagements ne se sont pas toujours traduits en actions concrètes sur le terrain. “Nous avons ce sentiment d’être des Français, non pas à part entière, mais entièrement à part, “ confie Alexis Gouyer, président de Banamart, l’un des leaders du marché de la banane en Martinique. “Le plus souvent, nos relations avec l’Etat étaient exécrables, bien qu’il faut reconnaître qu’à présent elle commence à s’améliorer.  Il est crucial que les autorités comprennent que la filière de production de bananes des Antilles est l’une des plus vertueuses de France, malgré le fait qu’elle soit confrontée à de nombreux problèmes”.

Les Producteurs Face à l’Impasse Économique

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Avant les annonces du CIOM (Conseil Interministériel de l’Outre-Mer) du 18 juillet dernier, les planteurs espéraient trouver des solutions pour leur situation. Une promesse d’aides agricoles d’une valeur de 10 millions d’euros avait été formulée, offrant un nouvel espoir à cette filière. Pourtant, ils ne toucheront jamais cette aide. “Pour ce gouvernement, les aides telles que le POSEI et le FEADER (Fonds européen agricole pour le développement rural) sont suffisantes pour subvenir à nos besoins, or, ce n’est pas le cas,” réagit Ulysse Mudard, producteur et ancien président de la FDSEA de Martinique. “Certes, il aide à payer des charges, mais ce n’est pas assez. Nous refuser une telle aide, c’est considérer que la banane ne fait pas partie de l’agriculture.

Si certains exploitants affirment croire en un avenir avec des solutions durables, d’autres, tels que Ulysse Mudard, expriment des doutes quant à la possibilité de préserver convenablement l’avenir de la banane française. “Si d’ici décembre on ne trouve pas de solution, je pense qu’il risque d’y avoir des surprises, reprend-t-il. Beaucoup d’exploitations commenceront à fermer. Des gens seront donc au chômage mais il y a aura surtout des terres vides, vu qu’elles ne seront pas utilisées. Cela arrangera les projets de certains élus qui mènent depuis des années des politiques anti-bananes. Étant donné que ces hectares de terre seront vides, ils pourront facilement les reprendre pour par exemple entreprendre des projets tels que des constructions de logements. 

LA BANANE DOLLAR

Tous ces changements arrangent les affaires de la concurrence étrangère. En plus de devoir faire face à ses propres difficultés, la banane française doit faire face à un adversaire, déjà très présent sur son territoire, depuis des années : la banane dollar. Produites en Amérique latine, ces bananes sont souvent vendues à des prix compétitifs, créant ainsi des défis économiques pour les producteurs locaux qui doivent rivaliser en termes de coût et de qualité sur le marché mondial. En plus de posséder déjà plusieurs avantages, la vente de ce produit américain est favorisée par la politique européenne. Ses tarifs douaniers ont été allégés par Bruxelles, facilitant ainsi son accès sur notre territoire.

Pouvoir comprendre la raison d’une décision telle que celle-ci, c’est quelque chose qui me dépasse”, s’exaspère Jean Claude Marraud des Grottes, administrateur de Banamart et d’UGPBAN.

Cette faveur que l’Europe fait à la banane dollar crée une véritable distorsion économique et commerciale sur le marché. En temps normal, il y a ce qu’on appelle “la clause miroir” afin de pouvoir faire en sorte que tout le monde ait les mêmes règles. Or, dans notre cas, le miroir est cassé.” Aujourd’hui, en France, la banane dollar représente déjà près de 35% des parts de marché.

À cette asymétrie économique et commerciale s’ajoute un déséquilibre  dans les modes de production. Alors que notre produit antillais, est cultivée avec soin sur des terres locales et est récoltée à dos d’homme, la banane dollar, elle, est répandue massivement par avion pour répondre à la demande mondiale. “Voici un autre type de distorsion dont nous pouvons parler : le manque d’équilibre au niveau sanitaire, renchérit  Jean Claude Marraud des Grottes. Dans les pays où la banane dollar est produite, les autorités n’ont aucun mal à favoriser l’utilisation de certaines molécules aux méthodes que nous pratiquons en Europe. C’est désormais l’équivalence qui dicte les règles.”

Les tarifs de transport maritime sont équilibrés grâce à l’exportation de bananes”

Si la perte de la valeur de ce fruit peut-être une mauvaise nouvelle pour la France, les conséquences peuvent devenir beaucoup plus graves pour les départements où il est produit. Il représente l’un des principaux piliers de l’économie martiniquaise et guadeloupéenne. “Les tarifs de transport maritime sont équilibrés grâce à l’exportation de bananes, explique Michel Branchi, économiste et ancien commissaire de la concurrence et des prix. Lorsque nous expédions des bananes, le concept de “fret retour” entre en jeu. Si la valeur des bananes diminue, cela entraînerait une augmentation des tarifs de fret pour d’autres marchandises ordinaires.”

A la recherche de solution

Face aux multiples défis, les producteurs ont manifesté à maintes reprises pour attirer l’attention sur leur situation précaire et réclamer des solutions. À travers ces mouvements, ils ont appelé les pouvoirs publics à prendre des mesures concrètes pour sauvegarder leur activité et assurer la pérennité de la filière. Les solutions recherchées couvrent un large éventail de préoccupations, allant de l’obtention d’aides d’urgence au renfort de l’exportation locale de bananes.

Parmi les solutions qui sont le plus souvent citées, on retrouve celle de la modernisation de l’agriculture française. L’usage de drones offre la possibilité d’appliquer des traitements ciblés et efficaces, notamment contre des maladies telles que la cercosporiose noire de la banane. Cela peut contribuer à optimiser les pratiques culturales, réduire l’usage des produits phytosanitaires, et ainsi améliorer la durabilité de la production de bananes.

Malgré les nombreuses solutions proposées, la réalité sur le terrain demeure complexe. Les producteurs, confrontés à des contraintes administratives, peinent à mettre en œuvre ces initiatives. De plus, les autorisations nécessaires à l’utilisation de certaines technologies peuvent être difficiles à obtenir, entravant ainsi la mise en place rapide de solutions novatrices. “Nous inciter à faire en sorte de ne plus utiliser les mêmes méthodes qu’avant, c’est bien, nous accompagner convenablement dans cette transition, c’est mieux, exprime Francis Lignières, planteur à la retraite et président du groupement bananier de Guadeloupe. C’est assez malheureux de pouvoir se dire que le marché français ne peut même pas bénéficier d’un développement commercial correct. Aujourd’hui les bananes latino américaines sont très présentes dans les super-marchés et personne ne dit rien !

Parmi les propositions fréquemment avancées figure celle de la revalorisation des aides existantes, notamment du POSEI. De nombreux planteurs convergent sur l’idée que sans une révision à la hausse de ces aides, peu de progrès concrets peuvent être réalisés. Cependant, les propositions telles que celle-ci sont souvent refusées, voire ignorées par l’Etat français ou même l’Europe.

Il n’y a pas 36 solutions pour espérer voir un jour les aides de ces producteurs revaloriser”, explique Denis Loeillet, agro économiste du CIRAD (Centre de coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement) spécialisé en Banane. “Soit l’Europe assume son choix d’avoir poussé les planteurs à produire une agriculture agroécologique et leur donne ce qu’il faut, soit c’est au marché de procurer ce surplus de valeur ajouté.” Ainsi, la voie vers une revalorisation des aides aux producteurs de bananes semble étroitement liée à une décision claire de l’Europe quant à son engagement en faveur de l’agriculture agroécologique. Cela nécessiterait un soutien financier et logistique significatif pour permettre aux planteurs de faire la transition vers des pratiques plus durables.

Dans l’ombre des incertitudes qui planent sur cette filière tropical, l’avenir de la banane dépendra largement des choix politiques et des engagements concrets en faveur d’une agriculture durable. Sans un soutien substantiel et des actions immédiates, ce fruit risque de perdre son éclat, laissant derrière lui une filière en péril et des terres qui résonnent du désarroi des producteurs.

Thibaud Charles

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