Entretien avec le Professeur Aimé Charles-Nicolas :

Célébrer le centenaire de Frantz Fanon, c’est honorer son combat pour la justice et l’égalité dans un monde encore marqué par les discriminations” 

À l’approche du 100ème anniversaire de la naissance de Frantz Fanon, une série d’événements marquants est organisée pour honorer sa mémoire et son impact durable sur la lutte contre les discriminations et la promotion de la cohésion sociale. Le Professeur Aimé Charles-Nicolas, Président de l’Association FIRST CARAÏBES et Professeur Émérite de Psychiatrie, d’Addictologie et de Psychologie Médicale, nous éclaire sur l’importance de cet hommage et sur les divers projets prévus. Cet entretien offre une occasion unique de mieux comprendre l’héritage de Fanon et d’encourager une participation active aux événements à venir.


Professeur Aimé Charles-Nicolas, pourquoi est-il important de célébrer le centenaire de Frantz Fanon et que représente-t-il pour vous ?

Pour moi, célébrer ce centenaire représente une obligation, un devoir. C’est ainsi que Marcel Manville m’avait présenté, à Paris, sa demande en 1980, de prononcer un exposé au Mémorial International Frantz Fanon qui s’est tenu à Fort de France du 31 mars au 3 avril 1982. Sous une forme impérative. Ma contribution est publiée dans l’ouvrage éponyme. C’était la première fois que, jeune psychiatre martiniquais -la tête prise par la conception du Centre Pierre Nicole pour toxicomanes- je prenais conscience de la force de ma proximité avec Frantz Fanon, proximité qui prenait brusquement la solidité, la légitimité d’une filiation : psychiatre martiniquais, oui, en effet. Marcel Manville m’a assigné au statut de fils de Frantz Fanon !

Vous avez accepté !

J’étais piégé, car il avait un côté surhomme, je me suis senti obligé d’assumer. Je trouvais la charge écrasante. Mais, aujourd’hui, par les temps qui courent, la montée en Europe de l’extrême droite, la racialisation de la pensée en Martinique, la racialisation et la guerre colonialiste au Moyen Orient, le génocide au Darfour, la tragédie des migrants en Méditerranée et ailleurs, l’œuvre de Fanon est plus que jamais d’une actualité brûlante. Et d’une nécessité thérapeutique ! Il est une figure emblématique de la lutte contre le racisme, le colonialisme, et pour la libération des peuples opprimés. Célébrer son centenaire, c’est rendre hommage à ses combats, mais aussi rappeler les valeurs de justice et d’équité qu’il défendait.

Ce sont là des notions qui concernent en effet la Martinique…

En Martinique, il est crucial que nous nous appropriions pleinement son héritage pour continuer à avancer vers une société plus inclusive. C’est d’ailleurs la mission, depuis plus de 27 ans, de l’association First Caraïbes qu’elle a mise en actes ; rappelez-vous, récemment : « L’esclavage, quel impact sur la psychologie des populations » au retentissement international considérable, la Culture, outil de résistance et de transmission avec les œuvres exposées, les danses, la musique traditionnelle, le tout éclairé par les savants et par l’échange avec les artistes et bien sûr « 2036 Martinique 36 heures pour demain Annou fèy’ » que nous continuons…

Il y a eu aussi, me semble-t-il, la commémoration de sa mort !

Oh là là ! J’allais oublier ! Mais c’est plus vieux, c’était en 2011, cinquante ans après sa mort, j’ai organisé en 2011 avec l’association FIRST CARAIBES, un colloque international « Fanon, hier et aujourd’hui ». C’était la première fois qu’un colloque sur Frantz Fanon réunissait autant de participants puisque nous avions rempli la grande salle de l’Atrium ! De nombreux orateurs ont pris la parole : algériens, cubains, anglais, martiniquais, américains, français, Mireille Fanon-Mendès-France etc… Et puis il y a, maintenant, la recherche que nous avons terminée et que nous allons publier sur Les représentations actuelles de l’esclavage et de ses traces ! enjeu éminemment fanonien !

Quels sont les principaux événements que vous prévoyez pour cette célébration et comment contribuent-ils à la diffusion de la pensée de Fanon ?

Nous organisons une série d’événements tout au long de l’année 2025, regroupés sous l’appellation “2025 Année Frantz Fanon”. Parmi ceux-ci, le IIème Colloque Scientifique International Frantz Fanon sera un moment fort, avec la participation de chercheurs de renommée internationale et, évènement rarissime, de lycéens qui partageront leur ressenti sur tel ou tel livre de Fanon. En outre, nous avons prévu des programmes scolaires, des podcasts, des conférences, des représentations théâtrales et musicales. Je vous en dirai plus une autre fois. Ces initiatives visent à rendre la pensée de Fanon accessible à un large public, en particulier aux jeunes, de façon conviviale, festive, ludique pour les sensibiliser aux enjeux de la cohésion sociale et de la lutte contre le racisme.

“Les jeunes doivent s’approprier l’héritage de Fanon pour construire une société plus inclusive et tolérante.”

Pouvez-vous nous parler du rôle des jeunes et du grand public dans ces événements ?

First Caraïbes, jour après jour, travaille au bien-être des martiniquais. On parle beaucoup d’estime de soi, eh bien, c’est de ça qu’il s’agit. Les jeunes et le grand public sont au cœur de notre travail sur l’estime de soi des martiniquais ; tout en se rendant compte que “l’estime de soi est une arme politique” comme l’a dit un jour Gloria Steinem. Il ne faut pas opposer les positions de Fanon sur la nécessaire violence révolutionnaire et son aspiration au vivre ensemble. D’ailleurs l’un ne va pas sans l’autre. C’est quand même lui qui a écrit « Chaque fois que la liberté et la dignité de l’homme sont en question, nous sommes tous concernés, Blancs, Noirs ou Jaunes et chaque fois qu’elles seront menacées en quelque lieu que ce soit, je m’engagerai sans retour[1].

Eh bien, moi aussi, je suis en quête du commun, à la recherche de ce qui nous rassemble.

Il est essentiel de pallier ce manque de projection dans le futur de beaucoup de jeunes. Avec 2036, Martinique 36 heures pour demain Annou fèy’, les nouvelles générations réfléchissent depuis 2020 sur les séquelles, sur les préjugés inconscients et les discriminations, dans des ateliers. Et aujourd’hui dans les Cercles de Guérison Collective que nous organisons avec l’UNESCO et la Fondation Guerrand Hermès pour la Paix. Les textes de Fanon nous inspirent dans ces processus de soins psychologiques.

Les conférences et les représentations artistiques offriront des espaces d’échanges conviviaux pour mieux comprendre et intégrer la pensée de Fanon dans notre quotidien.”

Comment les intéressés peuvent-ils participer aux événements de l’Année Frantz Fanon ?

Nous invitons tous ceux qui souhaitent participer à suivre nos annonces sur les réseaux sociaux et notre site internet. Les événements sont ouverts au grand public et nous espérons une participation massive, en particulier de la part des jeunes. Les conférences, les podcasts, les colloques et les représentations théâtrales et musicales sont autant d’occasions de s’impliquer et de contribuer à cette célébration unique. Nous comptons sur la mobilisation de tous pour faire de ce centenaire, pour faire de cette année Frantz Fanon, une opportunité pour réfléchir aux défis actuels de racialisation de la pensée, du formatage des préjugés et de la nécessaire cohésion sociale en Martinique et ailleurs dans le monde.

[1] In Peau noire, masques blancs (1952), Points édit. 240 p

Philippe PIED


Pour plus d’informations, n’hésitez pas à suivre leurs pages sur les réseaux sociaux et à consulter leur site internet : 

– SITE INTERNET : martinique36h.com !

– FACEBOOK : martinique 36 heures pour demain

 

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