Source: Reporterre

Emmanuel Macron a déclaré vouloir instaurer des « prix planchers » pour les produits agricoles, une revendication de la Confédération paysanne. La solution reste cependant difficilement applicable sans sortir du libre-échange.

Quelques jours après l’annonce d’Emmanuel Macron sur les prix planchers le 24 février, le débat est vif dans les allées du Salon de l’agriculture. « En off, tout le monde en parle », assure Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération paysanne. Le syndicat paysan peut se targuer d’avoir mis à l’agenda un chantier qu’il défend depuis toujours. Que les prix agricoles reflètent les coûts de production. Autrement dit, qu’il y ait un prix minimum imposé pour éviter les ventes à perte. La veille de la déclaration du Président, le syndicat réclamait dans un communiqué « une loi en urgence pour établir des prix planchers garantissant la rémunération de notre travail et notre protection sociale ».

« Cette proposition est la seule vraie mesure structurelle qui n’aille pas dans le sens d’un détricotage du droit du travail ou du droit de l’environnement », se félicite l’éleveuse, qui reconnaît qu’au-delà de l’annonce, elle n’est pas sûre que le Président ait un projet précis à défendre. Un sentiment partagé par l’économiste agricole Jean-Marie Séronie pour qui tout laisse à penser que le ministre de l’Agriculture n’était pas au courant de cette mesure. « On peut même s’interroger sur un motif plus politicien : la volonté de mettre la FNSEA en porte-à-faux », souligne l’expert.

Les éleveurs plutôt pour, les grands céréaliers contre

Et pour cause. « Les discussions se polarisent, en fonction des intérêts des uns et des autres. C’est tout un chantier sur les prix rémunérateurs qui s’ouvre », confirme Laurence Marandola. « Certains représentants des grandes cultures [céréales, oléagineux] se disent farouchement opposés à une telle mesure. Dans les filières de l’élevage, l’idée séduit plus largement ; certains y sont aussi favorables dans le secteur des fruits et légumes. » À l’instar de nombreux économistes agricoles qui se sont exprimés depuis quelques jours, Jean-Marie Séronie s’étonne de la mesure, qui lui semble irréaliste en l’état.

« La puissance publique peut intervenir autrement que sur les prix grâce aux commandes publiques de la restauration collective », propose Laurence Marandola. © Antoine Bureau / AFP

Pour l’économiste, le système de prix garantis qui existait dans la Politique agricole commune (PAC) d’avant 1992 est inapplicable aujourd’hui : « Cela nécessite que la puissance publique intervienne directement sur le marché en achetant les matières premières agricoles pour relever les cours s’ils sont trop bas. » Pour Laurence Marandola, d’autres mécanismes existent pour que les agriculteurs puissent faire valoir des prix rémunérateurs : « La puissance publique peut intervenir autrement que sur les prix grâce aux commandes publiques de la restauration collective et en luttant contre les mécanismes de concurrences déloyales. »

Le libre-échange, obstacle aux prix planchers

Principale difficulté toutefois, le marché des exportations. « Avec des prix élevés au niveau national, qui va acheter les céréales françaises sur les marchés mondiaux ? Or, la France exporte la moitié de son blé. Tout dépend du modèle agricole qu’on veut ! », souligne Jean-Marie Séronie. La Confédération paysanne veut, elle, sortir du libre-échange. Les deux interlocuteurs s’accordent d’ailleurs sur des exemples intéressants outre-Atlantique. Au Canada, le marché des céréales obéit aux règles du libre-échange mais pour certaines productions animales (œufs, lait et volaille), le marché est fermé et la production régulée par des quotas avec des prix garantis pour s’adapter à la consommation nationale.

Garantir les prix pour un certain volume par ferme, c’est bien ce que réclame la Confédération paysanne avec un retour au système de quantum, un soutien au revenu qui permet de répartir l’aide entre les exploitations. « Les prix planchers garantis ne permettent pas de réduire les inégalités », pointe d’ailleurs Jean-Marie Seronie. Pour une même production, dit-il, il existe des écarts de revenus de un à quatre entre le quart le plus riche et le plus pauvre — suivant la fertilité des terres ou le niveau d’endettement, si l’agriculteur est en début ou fin de carrière, etc.

L’une des revendications de la Confédération paysanne est la sortie du libre-échange. © NnoMan Cadoret/Reporterre

Le débat sur les prix rémunérateurs devra aussi se jouer au niveau européen. Est-ce que la France va porter ce chantier pour la future réforme de la PAC en 2028 ? Laurence Marandola espère que les critiques croissantes sur les aides directes européennes vont y contribuer : « Les aides de la PAC ne fonctionnent pas comme une aide aux revenus. Il y a deux ans, les prix du blé ont atteint des sommets, à 400 euros la tonne. Et les céréaliers continuaient de toucher les mêmes primes européennes. Pour la filière fruits et légumes en revanche, il n’y a pas d’aides alors que cette filière est particulièrement touchée par les aléas climatiques et la concurrence étrangère. » Et de conclure : « On va continuer à peser pour que ce chantier se fasse. »

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