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France Télévisions

Cet appareil électronique permet de mesurer le taux d’oxygène dans le sang, à condition de respecter des consignes précises. Mais le port du masque, même prolongé et bien qu’inconfortable, n’entraîne pas de variation significative de l’oxygénation.

En pleine pandémie de Covid-19, un petit appareil connaît une soudaine popularité chez les opposants au port du masque : l’oxymètre. Cette “pince à linge” électronique se fixe sur le bout du doigt et permet de mesurer en quelques secondes le taux d’oxygène dans le sang (sa saturation).

Le médecin Louis Fouché et l’avocat Carlo Alberto Brusa, qui bataillent contre les mesures sanitaires, en font la promotion sur les réseaux sociaux. Ils incitent leurs abonnés à acheter un oxymètre, à se tester, eux et leurs enfants, avant, pendant ou après le port du masque, à l’école comme au travail, et à partager le résultat, photo à l’appui. Selon ces anti-masques, le port de celui-ci peut entraîner une moins bonne oxygénation dangereuse pour la santé et provoquer une hypoxie (une diminution de la quantité d’oxygène dans le sang). L’oxymètre permettrait de le prouver.

“Je croise les doigts pour qu’il n’y ait pas de variation d’oxygénation, parce que dans ce cas, c’est très grave : ça veut dire que les cellules souffrent de ne pas avoir assez d’oxygène de manière chronique”, lance ainsi le docteur Fouché, évoquant la “journée de maltraitance” des enfants “passée derrière des masques” à l’école. Mais les arguments avancés par le médecin et l’avocat sont-ils crédibles ?

 

Les oxymètres sont parfois des outils capricieux

Le fonctionnement d’un oxymètre est simple. “L’hémoglobine change de couleur et varie du rouge au bleu, selon qu’elle est plus ou moins chargée en oxygène. L’appareil mesure cette variation colorimétrique”, explique Camille Taillé, pneumologue à l’hôpital Bichat-Claude-Bernard à Paris. Mais tous les oxymètres ne se valent pas. “Parmi les appareils sur le marché, il y a un peu tout et n’importe quoi”, note-t-elle. “Moins l’appareil est cher, moins les valeurs sont fiables”, résume Ralph Epaud, pneumo-pédiatre au Centre hospitalier intercommunal de Créteil (Val-de-Marne).

Même quand il est de bonne qualité, l’oxymètre reste un appareil très sensible. “Si la pince est mal mise au bout du doigt, on peut avoir un mauvais signal. Il faut aussi vérifier que l’appareil soit adapté à la taille du petit doigt de l’enfant”, note Camille Taillé. La mesure doit également être prise sur un sujet immobile. “Si l’enfant bouge, la saturation n’est pas bien prise”, poursuit Ralph Epaud. L’oxymètre peut aussi mal fonctionner si le doigt sur lequel on l’applique est trop froid.

 

“Quand on a les mains froides, les vaisseaux sont ‘vasoconstrictés’, c’est-à-dire resserrés. Le sang circule moins bien. Dans ce cas, il faut se réchauffer les mains pour prendre la saturation.”

Thomas Gille, pneumologue à l’hôpital Avicenne de Bobigny

à franceinfo

 

La pince électronique ne fait pas non plus bon ménage avec le vernis à ongles, qui altère son signal. Ne pas respecter ces consignes d’utilisation fausse à coup sûr les mesures.

Il ne faut enfin pas trop attendre de ce petit appareil. “C’est une mesure non-invasive. Cela veut dire que ce n’est qu’un reflet de ce qui se passe dans l’organisme”, souligne Ralph Epaud. Pour avoir une mesure exacte, “il faut prélever du sang artériel avec une seringue, dans une artère du poignet le plus souvent, et faire une analyse de gaz de sang”, ajoute Thomas Gille.

Sur les réseaux sociaux, les exemples d’oxymètres mal utilisés ou défectueux ne manquent pas. Dans celui trouvé par le pneumologue Thomas Gille (dans le tweet ci-dessous), plusieurs éléments sont révélateurs. D’abord, la courbe en bas de l’écran“n’est pas pulsatile”. Elle devrait être plus régulière. Selon le médecin, c’est le signe d’une mesure mal prise. “L’autre signal qui indique une mauvaise mesure est la normalité et l’absence de variation de la fréquence cardiaque”, observe l’expert. D’un côté, 65 battements par minute, de l’autre 68. Une valeur trop constante, incohérente avec les taux de saturation mesurés.

En l’espace de “cinq minutes”, la saturation passe de 75% à 95%, d’après les photos de l’internaute. “On ne passe pas, même en quelques heures, d’une saturation normale à une saturation très diminuée sans avoir des signes physiques”, souligne le médecin.

 

L’hypoxie commence “en dessous de 90%” d’oxygène dans le sang

Dans leurs vidéos, Louis Fouché et Carlo Alberto Brusa insistent sur les taux qui devraient pousser les parents à s’inquiéter du manque d’oxygène de leurs enfants, à cause du port du masque. “De 100 à 95”, explique le second, c’est “un taux d’oxygénation qu’on peut considérer comme normal”. Mais “en dessous de 95”“nous sommes en hypoxie, ça veut dire en déficit d’oxygène dans le corps, avec toutes les conséquences qui en découlent”, avertit l’avocat. Et de lister les “nausées, céphalées, hyperventilation, tachycardie, fatigue, troubles cognitifs, désorientation, cyanose…”

Le juriste évoque même un “danger” pour le “métabolisme” de l’enfant, son“cerveau” et ses “parties génitales”“Si vous avez moins de 95, vous devez alerter votre employeur (..) vous oxygéner et (…) enlever votre masque, parce que vous êtes en hypoxie. Vous appelez l’inspection du travail et la médecine du travail”, martèle-t-il, partageant ses recommandations sur Twitter.

 

Le tableau clinique dépeint par l’avocat est non seulement alarmiste, mais faux, selon les pneumologues. Il est normal que la saturation varie un peu au quotidien. Elle n’est pas la même au cours d’un exercice physique ou au repos, par exemple. Ces légères fluctuations sont sans gravité. “Vous pouvez avoir une saturation à 90% ou à 100%, ça ne change quasiment rien. Les variations de la pression en oxygène sont faibles”, fait valoir Ralph Epaud.

Ce n’est que si la saturation plafonne à certains niveaux que les pneumologues s’inquiètent d’une maladie respiratoire, voire d’une pathologie chronique aiguë. “Quand vous n’avez pas de maladie respiratoire, vous avez une saturation comprise entre 97 et 100%. C’est la valeur physiologique normale”, indique Camille Taillé. “Entre 92 et 97%, il faudrait consulter pour voir ce qui se passe. Mais la vie n’est pas en danger. Ces taux d’oxygène permettent aux organes de fonctionner normalement, poursuit la spécialiste. En dessous de 92%, on entre dans une zone plus malade.”

 

 

“Une hypoxie devient réelle avec une saturation en oxygène en dessous de 90%, car à partir de là, la pression en oxygène chute brutalement.”

Ralph Epaud, pneumo-pédiatre

à franceinfo

Plutôt que d’hypoxie (la diminution de la quantité d’oxygène que le sang distribue aux tissus), les pneumologues parlent d’hypoxémie (la diminution de la quantité d’oxygène transportée par le sang). Si le port du masque, toute une journée ou durant un effort physique, était susceptible de la provoquer, les symptômes seraient criants. “L’hypoxémie est d’autant moins bien tolérée qu’elle s’installe rapidement, objecte Thomas Gille. Si un enfant avait une saturation normale le matin et anormale le soir, il ne serait pas en train de gambader dans la cour de récréation. Il aurait des signes de mauvaise tolérance, comme une fatigue aiguë qui ferait qu’on arriverait difficilement à le maintenir sur un brancard.”

Il ne faut pas confondre l’inconfort du masque et le manque d’oxygène

Pour appuyer ses actions contre le port du masque, l’avocat Carlo Alberto Brusa a créé un formulaire. Il invite ses abonnés à le remplir et à l’accompagner d’une photo de leur oxymètre, afin d’attester que le port du masque a bien entraîné une baisse d’oxygénation de leur sang. Sauf qu’il n’y a rien à prouver, comme franceinfo l’a déjà expliqué.

“Un masque chirurgical, ce n’est pas du cellophane qu’on plaquerait sur les voies respiratoires. Ce n’est pas capable de bloquer les molécules d’oxygène, qui sont minuscules, bien plus petites qu’un virus”, rétorque Thomas Gille. Les porteurs de lunettes en ont la preuve. “Si on a de la buée sur les lunettes, c’est bien qu’il y a de l’air qui passe à travers le masque et sur les côtés”, relève le pneumologue.

Comment expliquer alors cette impression de mal respirer à travers un masque ? “Ce que les gens assimilent à une baisse en oxygène, c’est une gêne, répond Ralph Epaud. Un masque filtre l’air. Comme vous avez un filtre sur les voies respiratoires, vous aspirez l’air sous résistance. Le masque se colle au nez, à la bouche. C’est quelque chose qui peut gêner”, reconnaît-il. “Le masque est inconfortable. Mais il ne faut pas confondre l’inconfort respiratoire avec le fait d’avoir un taux d’oxygène modifié. Ce sont deux choses différentes qui ne sont pas corrélées”, poursuit Camille Taillé.

“C’est étudié pour, glisse Pascal Chanez, pneumologue à l’hôpital Nord de Marseille. Depuis le temps que les gens se servent de masques chirurgicaux voire de FFP2 toute la journée dans les services de réanimation.” La généralisation du port du masque avec la pandémie a été l’occasion de le confirmer. “Il y a eu des études chez des sujets sains, des sujets âgés, des enfants, montrant l’absence de retentissement du port du masque sur l’oxygénation, au repos et lors de tests d’exercices”, confirme Nicolas Roche, pneumologue à l’hôpital Cochin à Paris. S’appuyant sur ces travaux, l’Organisation mondiale de la santé a conclu que “l’utilisation prolongée de masques médicaux peut être inconfortable, mais elle n’entraîne ni intoxication au CO2 ni manque d’oxygène”.

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