Nathalie De Pompignan est présidente de l’association Martinique Réserve de Biosphère, expert auprès de l’UNESCO depuis 25 ans, et Maître de conférence à Sciences Po Paris. Femme très engagée dans l’environnement, elle a travaillé plusieurs années avec le commandant Cousteau et a été responsable d’un réseau d’éducation universitaire mis en place avec l’Unesco. Nous l’avons rencontrée afin d’en savoir plus sur ce titre obtenu récemment et sur les futurs impacts positifs pour notre Pays.

Que représente le programme Homme et Biosphère de l’UNESCO ?

Il rassemble les territoires engagés dans une démarche de développement économique et social soutenable, tout en préservant leurs richesses naturelles et culturelles : ce sont les Réserves de Biosphère. Il est l’un des plus anciens de l’UNESCO et constitue depuis 1971 un réseau de coopération mondiale, régionale et nationale, avec plus de 700 territoires Réserves de Biosphère dans 131 pays.

Qu’est-ce qu’une Réserve de Biosphère ? 

Tout d’abord, le mot Réserve est à interpréter dans un sens positif. Il désigne les éléments fondamentaux d’un territoire, les ressources et les atouts que l’on souhaite préserver et valoriser.

En ce sens, les Réserves de Biosphères concourent à la mise en oeuvre des Objectifs de Développement Durable sur lesquels les Nations Unies se sont engagées pour 2030.

Une Réserve de Biosphère émane d’une volonté locale, elle n’impose aucune réglementation et ne s’appuie sur aucun pouvoir réglementaire. Elle vise à renforcer l’implication de la population dans la préservation et la valorisation de son territoire. Elle est vecteur de liens, sur le plan local mais aussi national, régional et international grâce aux différents réseaux de coopération qu’elle intègre.

Quel est la genèse de Martinique Biosphère ?

Je suis rentrée en Martinique en 2016 après 30 ans d’absence, à l’occasion d’une conférence que j’ai animée pour Contact Entreprises sur le thème « Océans, alerte rouge ». J’ai eu un formidable coup de cœur, comme tout revenant après une si longue absence. J’ai redécouvert notre pays et vraiment été émerveillée. Cela fait plus de trente ans que je suis engagée dans le développement soutenable des territoires et la préservation de l’environnement, via le Programme Homme et Biosphère de l’UNESCO. J’ai vécu près de quinze ans au Brésil où j’ai travaillé sur ces sujets, ce qui permet d’aiguiser le regard sur différents points. En arrivant à la Martinique je me suis dit : que ce pays est vraiment beau ! J’ai vu aussi ses difficultés qui sont visibles sur le terrain et c’est là que s’est imposée une évidence : « que puis-je faire pour mon pays ? ».

D’où l’idée de la création de Martinique Réserve de Biosphère, une façon d’apporter sa « petite » pierre. Je crois que c’est le propre de l’engagement qui fait que lorsqu’on est engagé au service d’une cause on a envie de contribuer. Mon interrogation principale était alors de me dire « pourquoi la Martinique ne deviendrait-elle pas Réserve de biosphère ? »

L’UNESCO a des titres mondiaux notamment celui de réserve de biosphère et celui de patrimoine mondial que l’Organisation accorde aux territoires afin de les aider à valoriser le pays et résoudre un certain nombre de défis, sur les plans économiques, sociaux, environnementaux. Lorsqu’on valorise un pays, on valorise surtout sa population. Une telle entreprise était vraiment un engagement collectif. L’association est constituée de dix-sept autres membres fondateurs à mes côtés. Ce qui est très intéressant c’est que ces acteurs sont issus de tous horizons et tous secteurs : le Coderum, le Carbet des Sciences, Contact-Entreprises, Tropiques-Atrium, l’Association des Maires de Martinique , et treize personnalités physiques qui sont : Mgr MACAIRE, Michel FAYAD, Karine ROY-CAMILLE NICOLAS ETIENNE, Jean-Paul JOUANELLE, Emmanuel NOSSIN, Coralie BALMY, Jean-Raphaël GROS-DESORMEAUX, Mireille JARDIN, Emmanuel LISE, Emmanuel de REYNAL, Dr Ruddy VALENTINO, Christophe YVON et moi-même.

Nous nous sommes alors engagés dans ce projet, au sein de cette association complètement apolitique, sans subventions publiques. Il nous a fallu procéder à des levées de fonds en provenance d’acteurs privés et nous avons démarré.

Rocher du Diamant©MarionRous

Le 15 septembre 2021 cette reconnaissance – Martinique Réserve de Biosphère – a été attribuée pour l’ensemble du territoire terrestre et marin de la Martinique »

Quand avez-vous déposé le dossier de candidature pour que la Martinique soit « Réserve Biosphère » ?

En premier lieu, la démarche a commencé par un travail d’information auprès de la population puis de construction du dossier de candidature par elle. Des réunions publiques en présence des maires et des élus municipaux ont eu lieu dans les 34 communes de Martinique, de septembre 2018 à octobre 2019 : 13 mois de travail acharné au cours desquels tous les habitants qui souhaitaient participer et s’exprimer ont été invités à le faire. En décembre 2019, nous avons organisé au siège du Crédit Agricole une réunion de synthèse afin de présenter aux acteurs publics et privés du territoire les résultats obtenus, c’est-à-dire les propositions formulées par les habitants. Plus d’une centaine de personnes étaient présentes. Le dossier a été constitué très rapidement en 5 mois. Au mois de mai 2020, il était déposé auprès du Comité France du programme de biosphère, un mois après j’étais auditionnée plusieurs heures par ce même comité. Le dossier a été transmis en septembre-octobre à l’UNESCO auprès des experts internationaux chargés de l’analyser. Au mois de juin nous savions que ce comité avait demandé l’approbation de la reconnaissance mondiale et le 15 septembre 2021 cette reconnaissance a été attribuée pour l’ensemble du territoire terrestre et marin de la Martinique ; cette décision a été annoncée, devant une cinquantaine de pays, lors de la 33ème session du Conseil International de Coordination du Programme Homme et Biosphère, qui s’est tenue au Nigeria. C’était extrêmement émouvant, beaucoup de fierté, une vraie conquête pour le territoire. Et une date historique : c’est la première fois que la Martinique dans son ensemble se trouve doté d’un titre mondial destiné à valoriser les Femmes et les Hommes du territoire et le territoire lui-même.

C’est aussi la première fois que la société civile, par le biais d’une association, réussit un tel coup d’éclat. Les candidatures sont en général portées par les structures publiques et territoriales…

La yole aussi était une initiative civile, c’était même le premier titre mondial pour la Martinique en 2020, nous en 2021 et souhaitons qu’en 2022 il y ait la Montagne Pelée et les pitons du nord.

Quelle est la plus grande difficulté rencontrée ?

Nous avons été très rapides, nous avons mené à bien cette procédure en 2 ans, de septembre 2018 lors de la première réunion au Diamant, jusqu’à septembre 2020 où le dossier a été transmis par le Comité français à l’Unesco. Il n’y a pas eu de principale difficulté dans la mesure où nous étions d’une détermination et d’un engagement total, comme les participants, eux aussi, engagés de façon active et fortement qualitative.

C’est maintenant que tout commence »

Colibri à tête bleue, espèce endémique ©Pascale Mariotte

Qu’est-ce que cela va apporter, selon vous, à la Martinique ?

Nous avons tous énormément travaillé pour obtenir ce titre mondial et c’est maintenant que tout commence. Un titre c’est magnifique, c’est une conquête, c’est une reconnaissance mais il faut le faire vivre sur le territoire et surtout que les habitants, les acteurs se l’approprient, avec sa signification et la communication à laquelle il donne accès. Cette reconnaissance par l’UNESCO est un outil très puissant de communication pour le territoire, ses atouts naturels et culturels, ses savoir-faire, ses produits locaux et le tourisme. Il faut bien en avoir conscience.

Il nous permet d’accéder au Monde et constitue :

  • un levier de développement économique et social en donnant accès à des réseaux de coopération mondiale, caribéenne et nationale
  • un instrument fort d’attractivité, de reconnaissance et de valorisation de nos atouts à l’échelle du monde
  • un outil de communication exceptionnel pour la Martinique.

Ce titre permet d’avoir accès à un réseau de coopération mondiale au sein d’un réseau de 727 territoires Réserves de Biosphère dans 131 pays, et de 15 Réserves de Biosphère dans 8 pays de la Caraïbe. Ces réseaux permettent le partage et les échanges d’expériences, de bonnes pratiques, d’initiatives dans le sens d’une dynamique vertueuse pour le territoire, de valorisation des savoir-faire et des produits. Tout ceci pourra être communiqué au monde qu’il soit caribéen, national ou international.

Tous les secteurs sont concernés, particulièrement le tourisme car beaucoup de touristes voyagent uniquement dans les réserves de biosphère. Une visibilité phénoménale pour la Martinique. C’est pour cela qu’il est important que les acteurs se saisissent de ce titre et du logo pour pouvoir afficher leur engagement.

Vous avez construit le haut de l’iceberg …et maintenant que se passera-t-il, quel sera votre plan d’actions ?

Maintenant il faut poser les bases de la gouvernance et de la gestion de ce titre mondial.

L’efficacité de l’organisation associative a été saluée sur le territoire. Il nous faut désormais travailler ensemble pour saisir cette belle dynamique et mettre en œuvre les propositions formulées par les participants. Nous avons souhaité qu’aux côtés de l’association Martinique Biosphère, la Collectivité Territoriale de Martinique préside le Comité de gestion de la Réserve mondiale de Biosphère. De nombreuses institutions et associations y seront représentées.

Son rôle sera de suivre la bonne exécution des propositions émises par les habitants. Il sera assisté d’un Conseil scientifique – une structure déjà existante : le conseil scientifique des contrats de milieux –  et d’un Collège des gestionnaires des aires protégées formé du Parc Naturel Régional, du Parc Naturel Marin et de l’Office National des Forêts.

Conformément aux propositions des habitants, 5 axes de travail ont été définis et donc 5 Commissions seront constituées, composées d’acteurs concernés par la thématique, et initieront des actions concrètes destinées à répondre aux attentes :

  1. Préservation, protection, et valorisation de la biodiversité et des ressources naturelles
  2. Réappropriation de l’identité culturelle du territoire
  3. Promotion d’activités durables : production et consommation locales et responsables / tourisme responsable / énergies renouvelables et transports collectifs
  4. Éducation à l’environnement
  5. Recherche, avec 3 thématiques : chlordécone, sargasses et changement climatique
Mangrove rose©Fabien Lefebvre

…Et l’avenir ?

L’association telle qu’elle, avec son objet qui était de porter la candidature du territoire, a rempli sa mission. Elle a désormais un nouvel objet : mettre en place la gouvernance et la gestion de la Réserve de Biosphère et établir un comité de gestion. Nous travaillons pour répondre aux propositions des habitants sur l’ensemble du territoire, nous irons de nouveau à la rencontre des acteurs, ce que nous avons déjà commencé à faire (publics, institutionnels, privés) pour renforcer les liens de coopération notamment d’interaction et d’appui. En ce sens, nous partageons des valeurs communes avec notre partenaire.

Nous allons également mettre en place deux projets de lancement qui nous tiennent beaucoup à cœur :

  • Le forum des jeunes (de 18 à 35 ans) des Réserves de Biosphère de la Caraïbe. Il aura lieu en août 2022, et mettra en réseau de jeunes adultes engagés dans les Réserves de Biosphère. Il est important de donner la parole à la jeunesse, connaitre ses attentes, ses propositions. Les jeunes sont des partenaires cruciaux et des acteurs clés du développement.
  • Un réseau territorial des acteurs engagés. Les acteurs qui s’engageront dans la démarche de ce titre mondial constitueront – à travers un réseau, un site internet, un livret – un collectif d’acteurs engagés sur le territoire. Les avantages pour eux en sont multiples : visibilité, reconnaissance, réseau. C’est très important de faire connaitre les actions concrètes de ces acteurs et de suivre l’évolution des engagements qu’ils soient publics ou privés.

Que signifie ce logo et comment doit-il être perçu ?

Ce logo signifie que les acteurs s’engagent dans une démarche de développement durable et de valorisation et de promotion de nos atouts culturels, naturels et de nos savoir-faire.

Il concerne tout le monde : les acteurs publics et privés, les entreprises, les associations, les écoles. Tous les acteurs du territoire peuvent se saisir de ce logo pour se l’approprier, montrer leur engagement dans cette démarche, c’est comme cela que se crée une dynamique vertueuse et que les choses changent petit à petit. Avec l’envie d’agir ensemble, de construire ensemble et de renforcer les liens. Nous détenons ce titre Mondial pour 10 ans, il n’est pas acquis jusqu’à la fin de nos jours ! On devra faire nos preuves.

Au bout de dix ans on devra s’interroger : qu’est-ce que le territoire a fait de ce titre ? S’il en a profité pour faire évoluer les mentalités, la sensibilité, impliquer les acteurs dans une dynamique différente, et permettre à tous d’avancer pour le bien commun, ce serait quelque chose de formidable.

Pourquoi avoir choisi le siège du Crédit Agricole pour cette réunion ?

Le Crédit Agricole est notre partenaire depuis le début de la démarche de candidature et s’est toujours engagé à nos côtés. Nous avons souhaité tenir notre Assemblée générale auprès d’eux.

Propos recueillis par Philippe Pied


UN TERRITOIRE SOUS LES PROJECTEURS DE L’UNESCO 

La Martinique détient désormais deux titres UNESCO : Le titre de Réserve de Biosphère pour l’ensemble du territoire martiniquais, terrestre et marin , un titre de Patrimoine Mondial Culturel Immatériel pour la Yole.

Et elle est engagée dans une candidature au titre de Patrimoine Mondial Naturel, pour 2 sites de son territoire : les volcans et forêts de la Montagne Pelée et des Pitons du Nord, portée par le Parc Naturel Régional.

Trois titres qui s’enrichissent, se complètent et se renforcent mutuellement pour servir le développement et l’attractivité de notre île.


 

 

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