Alors qu’une dizaine de pays africains s’apprêtent à entrer dans le club des pays exportateurs de pétrole et de gaz, le continent peut-il dès lors espérer sortir de la pauvreté ? S’il est difficile pour l’Occident d’interdire à l’Afrique d’exploiter ces ressources fossiles, de nombreux obstacles doivent être levés pour s’assurer que l’argent du pétrole (et du gaz) bénéficie bien aux populations locales.

SOURCE : www.novethic.fr. Légende photo : Une dizaine de pays africains s’apprêtent ou viennent de rejoindre le club des exportateurs de pétrole et gaz. @Flickr / Photo de Michael Gwyther-Jones

Ouganda, Tanzanie, Kenya, Mozambique, Namibie, Sénégal, Mauritanie, Côte d’Ivoire … Une dizaine de pays africains s’apprêtent ou viennent de rejoindre le club des exportateurs de pétrole et gaz. Début mars, le Sénégal, où un important gisement de gaz a été découvert ces dernières années à la frontière avec la Mauritanie, est ainsi devenu membre observateur du Forum des pays exportateurs de gaz (Gas Exporting Countries Forum/GECF), une organisation intergouvernementale visant à défendre les intérêts des principaux pays exportateurs de gaz naturel. “Le Sénégal franchit une nouvelle étape vers une exploitation responsable de ses ressources naturelles au profit des populations”, a souligné le ministère sénégalais du Pétrole dans un communiqué.

Au sud du continent, en Namibie, pays qui n’a jamais produit de pétrole ou de gaz, un gisement de 10 milliards de barils de pétrole a été mis au jour il y a peu. Cette découverte pourrait faire de la nation l’un des 15 plus grands producteurs de pétrole d’ici 2035 et le 4ème le plus important en Afrique. De quoi susciter les convoitises de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep). Parmi les autres projets d’hydrocarbures qui se développent en Afrique, on peut également citer Eacop/Tilenga en Ouganda et en Tanzanie, un mégaprojet d’extraction de pétrole et d’oléoduc géant porté par TotalEnergies et qui suscite la polémique. Il y a aussi le controversé Mozambique LNG, également porté par la major française, stoppé en 2021 à cause d’une attaque jihadiste, mais qui devrait redémarrer cette année. Il faut dire que le pays, qui détient les neuvièmes réserves mondiales de gaz, pourrait produire chaque année les 3/4 de la production du Qatar.

Des fossiles pour se développer ?

Alors que la crise climatique impose de ne plus ouvrir de nouveaux champs pétro-gaziers – l’Agence internationale de l’énergie l’affirme clairement depuis 2021 – le fait que l’Afrique devienne le nouvel eldorado des énergies fossiles n’est pas forcément une bonne nouvelle de ce point de vue là. Mais il reste difficile de convaincre les pays de ne pas y aller. Pour de nombreux dirigeants africains, l’argent des fossiles va en effet permettre au continent de se développer, de sortir de la pauvreté, mais aussi de brancher les 600 millions d’Africains qui n’ont toujours pas accès à l’électricité, et enfin de financer la transition vers des énergies propres, alors que les ressources promises par le Nord tardent à se concrétiser.

Représentant la voix du secteur africain de l’énergie, l’African Energy Chamber (AEC) prône ainsi une “approche pragmatique qui englobe toutes les formes d’énergie, y compris le charbon, le gaz naturel, les énergies renouvelables et le pétrole”. “Nous devons continuer à exiger une transition énergétique juste pour l’Afrique – nous devons produire chaque goutte d’hydrocarbures afin de passer à des énergies propres”, a déclaré son président, l’emblématique NJ Ayuk, l’un des lobbystes les plus connues du secteur de l’énergie en Afrique, lors de l’Invest in African Energy, qui a tenu sa seconde édition à Paris en mai. “Si le gaz naturel est une bonne option pour les pays riches comme l’Amérique, pourquoi les pays en développement ne pourraient pas bénéficier des mêmes avantages ?”, fustige-t-il.

Au Sénégal, la Banque mondiale estimait en 2022 que l’entrée en production des gisements d’hydrocarbures devrait quasiment doubler la croissance de l’économie. Mêmes perspectives pour la Namibie, où le PIB pourrait presque doubler en dix ans. Au Mozambique, depuis le début de la production du projet FLNG Coral Sul mené par Eni, le PIB du pays a augmenté de 6% en un an seulement. Reste à faire en sorte que les retombées mirobolantes de ces projets, portés par des majors occidentales et voués à l’exportation, profitent bien aux populations africaines. Ce qui n’est pas une mince affaire.

La gouvernance, un enjeu majeur

“Quand on regarde les différents cas, on s’aperçoit que lorsqu’un pays est peu structuré, pas industrialisé, avec une gouvernance faible, le pétrole ne fait que déstructurer encore plus le fonctionnement de l’Etat. C’est le cas du Tchad, de la Guinée équatoriale, du Congo ou encore du Nigeria. Il est probable aussi que le Mozambique tombera dans ce piège, où le gaz ne sera utilisé que pour enrichir une classe dirigeante au pouvoir depuis l’indépendance en 1975”, explique Benjamin Augé, chercheur associé à l’Ifri, spécialiste des questions énergétiques en Afrique, interrogé par Novethic. Mais on ne peut pas mettre tous les pays dans le même panier. “Le contre-exemple peut venir de la Namibie. Le niveau des fonctionnaires y est bon, la fonction publique fonctionne convenablement. Le pétrole peut être un facteur de développement et permettre au pays d’investir dans des infrastructures publiques de santé et d’éducation”, estime-t-il.

L’AFD, qui publie depuis cinq ans un état des lieux de l’économie africaine, met quant à elle l’accent sur l’importance de diversifier ses ressources. “Les économies africaines les plus dynamiques ne sont pas celles qui dépendent exclusivement des ressources naturelles, en particulier du pétrole. Au contraire, ce sont les économies les plus diversifiées qui s’en tirent le mieux, même en temps de crise. Il se trouve qu’elles exploitent parfois des énergies fossiles, mais souvent pour une part limitée de leur produit intérieur brut, a expliqué Rémy Rioux, le président de l’AFD devant la commission d’enquête sénatoriale sur TotalEnergies. D’ailleurs, la région d’Afrique qui présente la plus forte croissance depuis une dizaine d’années est le Sahel, et cette croissance n’est pas liée aux énergies fossiles.”

“Concernant les pays trop dépendants aux hydrocarbures, ils peuvent développer ce qu’on appellent le syndrome hollandais, nous explique Amaury Mulliez, directeur adjoint du département Diagnostics Economiques et Politiques Publiques de l’AFD. L’exploitation de ces ressources va capter l’essentiel des ressources humaines (la main d’œuvre et le savoir-faire) et du capital financier au détriment d’autres filières. Le troisième effet, avec les exportations, c’est que la valeur de la monnaie du pays augmente, rendant ses autres exportations moins compétitives.”

Les populations locales veulent un “développement soutenable”

Contacté par Novethic, TotalEnergies, qui détient plusieurs projets sur le continent, met pour sa part en avant la création de valeur locale. Ainsi, en Angola, le projet Kaminho impliquera 10 millions d’heures effectuées par des entreprises locales, essentiellement pour les opérations offshore et la construction sur les chantiers locaux. Au Nigeria, sur le projet Ikike, 95% des heures travaillées l’ont été localement. Et sur le projet Eacop/Tilenga, on compte à fin 2023, plus de 1 200 Ougandais et 3  200 Tanzaniens, et 92 % des heures travaillées depuis le début du projet correspondent à des emplois de nationaux. “On est loin des 80 000 emplois promis, réagit auprès de Novethic Juliette Renaud des Amis de la Terre France. Ce sont aussi des emplois très précaires (contrats à la journée), peu qualifiés et risqués. En outre, ces projets fossiles détruisent les économies locales basées sur l’agriculture ou le tourisme.”

Les Amis de la Terre, qui ont infiltré en mai le sommet “Invest in African Energy”, dénoncent ainsi l’expansion des énergies fossiles en Afrique qui ne profite qu’aux “puissances impériales et élites africaines et mondiales” tout en “aggravant la crise climatique”. “Le Mozambique est un exemple clair de cette illusion. Malgré l’exploitation du charbon et du gaz, seulement 40% de la population a accès à l’énergie. Les autres effets de ces projets ont été le malheur, la perte de terres, la pollution, l’augmentation de la corruption, les violations des droits de l’homme, l’instabilité, la guerre/insurrection et le rétrécissement constant de l’espace de la société civile”, expliquent Friends of the Earth Africa.

Au Nigeria, des agriculteurs dont les terres avaient été souillées par des fuites de pétrole, ont porté plainte contre Shell et emporté une victoire puisque la major a été reconnue coupable de la pollution. En Ouganda et en Tanzanie, les communautés affectées par Tilenga et Eacop demandent quant à elles réparation à TotalEnergies pour les violations des droits humains commises sur place. “Les populations en Afrique ne veulent pas de pétrole et de gaz mais d’un développement soutenable qui n’affecte pas leur santé et leurs activités”, précise Juliette Renaud. “Je n’ai pas vu pour l’instant de pays où le pétrole est utilisé pour le développement”, a résumé Maxwell Atuhura, l’un des principaux opposants au projet Eacop/Tilenga, devant la commission d’enquête sénatoriale sur TotalEnergies.

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