Par GUILLAUME TION 

Le 1er janvier, le trompettiste Ibrahim Maalouf regrettait sur Twitter que l’Orchestre philharmonique de Vienne, qui venait de donner son sempiternel concert du Nouvel An, ne soit pas plus ouvert à la diversité. S’ensuivit un déferlement de réponses et d’attaques virant à l’insulte et à la polémique. Mais ainsi émerge en creux via les réseaux une question lancinante: que veut-on pour les orchestres classiques? Qu’ils reflètent la société ou qu’ils ne comptent que des premiers prix de conservatoire? Pour pallier les dérives à la papa des chefs d’orchestre omnipotents qui faisaient entrer dans les ensembles des camarades n’ayant pas forcément le niveau, les grandes formations jouent depuis plusieurs décennies la carte de la transparence, c’est-à-dire de l’ignorance. Les auditions des candidats s’effectuent derrière un paravent, premier tour, second tour, le souhait de ne pas distinguer les postulants allant jusqu’à poser au sol un tapis pour que l’on ne puisse deviner si la personne qui va jouer porte des talons, sous-entendant que ce serait une femme. Seuls l’assise technique et le talent interprétatif sont pris en compte par les juges, c’est-à-dire les représentants des musiciens et de l’encadrement, et aucun d’eux ne connaît le nom, l’origine, la formation du musicien qu’ils écoutent et évaluent.

Faut-il alors penser que les musiciens racisés n’ont pas le niveau pour intégrer les grands orchestres? Absolument pas, les racines de leur non-représentation sont plus profondes. Seul un très faible pourcentage des postulants aux pupitres est issu de la diversité. Par exemple, un musicien de l’Orchestre de l’Opéra de Paris évoque un petit pour cent d’entre eux ayant candidaté aux dernières auditions. Ce qui induit qu’ils sont sous-représentés parmi l’ensemble des musiciens classiques, qu’ils fassent ou non partie d’un orchestre. Dès les années de formation, qui se déroulent dans des conservatoires dont tous les musiciens classiques sortent, le hiatus est présent. Et s’ils n’entrent pas dans ces institutions, c’est que le lien avec l’instrument ou la musique classique n’a pu s’établir avant, généralement à l’école, où par exemple des formateurs regrettent que certains enfants doués abandonnent parce qu’ils sont moqués, comme si jouer du hautbois à 8 ans était ringard.

Pourtant, jamais autant d’initiatives de démocratisation de la musique classique ne s’opèrent, que ce soit via de l’action culturelle dans les quartiers ou dans des structures établies comme à la Philharmonie avec les orchestres Demos ou à l’Opéra de Paris avec Dix Mois d’école et d’opéra. Même la télé commerciale, avec ses Prodiges, s’y met. Plutôt que de pratiquer une discrimination positive dans les orchestres, qui reviendrait à fausser l’égalité des chances musicales, ce sont les plus jeunes sans distinction culturelle ou sociale que les institutions tentent de pousser dans quelques années derrière le paravent. On peut considérer que la photo all white des membres de l’orchestre de Vienne, au clinquant par ailleurs assez moisi, représente un déni d’ascenseur social. Mais pour qu’un musicien racisé ou non en fasse partie, il faut déjà qu’il aime Strauss II, qu’il le connaisse et l’écoute. Osons des heures de valses dans les écoles.

Partager.

Comments are closed.

Exit mobile version