Quand dans une soirée on en vient à aborder l’ultime question de l’essence humaine, c’est qu’il est tard, qu’on a épuisé les autres sujets de conversation et qu’il reste encore des fonds de bouteilles à vider. Ce soir-là donc, tout était réuni pour creuser l’épineuse question métaphysique : Qui suis-je ? Que suis-je ?

Bien sûr, nous avions chacun mille réponses ontologiques à proposer. A cette heure avancée de la nuit, nous étions tous intarissables. Et la contradiction ne nous faisait pas peur. Sans jamais nous fâcher, nous opposions nos points de vue, nos convictions et nos désaccords. Nous naviguions entre des envies de cercles et des rejets d’assignation, des besoins d’appartenance et des exigences de liberté, des pulsions communautaires et des appels du tout-monde. Nous allions de contradictions en hypothèses, sans trop comprendre au fond ce que nous étions vraiment. Nous nous laissions balloter par nos propres représentations, nos croyances et nos désirs d’affranchissement. Nous parlions de nous dans le pays, de nous dans la vie. Il faut dire que la nuit était claire et que le vin était bon. On se sentait inspirés, on était bavards. C’était un de ces dîners où on refaisait le monde avec la passion des incertains, ceux qui ne savent pas ce qu’ils vont dire la seconde d’après. On improvisait nos certitudes, et on les affirmait avec d’autant plus de force qu’il fallait se laisser convaincre soi-même. On avançait ensemble en terrain intime mais inconnu. On parlait à cœur ouvert comme parlent les vrais amis. Mais bien sûr, on ne s’accordait pas. Comment s’accorder sur une question aussi ouverte, aussi complexe, aussi simple ?

Le soir en me couchant, j’avais la langue aussi pâteuse que mes idées. Je m’étais endormi dans de drôles de rêves où je me voyais traverser les époques et les endroits, Cro-Magnon ici, Corsaire là, Indien plus loin… C’est au petit matin que je me mis à écrire, et c’est en dessinant les premiers portraits de mes aïeux que je commençai à comprendre un peu qui j’étais. Il me fallut quinze jours pour aboutir ce texte et clarifier ma pensée. Je venais de tuer le concept d’identité assignée qui dormait en moi.

#Ubuntu couverture définitive BAT

Contre toute attente, dès sa sortie, « Ubuntu, ce que je suis » avait déclenché des réactions vives et passionnées. Des portes s’étaient ouvertes, d’autres s’étaient fermées. Sans m’en rendre compte, j’étais entré dans une zone de clivage avec des soutiens ardents et des opposants farouches. En me livrant ainsi, j’avais froissé la pudeur commune. J’avais choqué. Des mots tranchants autant que des silences bruyants étaient venus marquer leur désapprobation. En choisissant de préférer les personnalités aux identités, j’avais égratigné un totem Césairien. Bien malgré moi, j’avais bousculé des conventions comme on commet un sacrilège. J’avais menacé des acquis. En optant pour Homo Sapiens au lieu de ses étiquettes, j’avais heurté des sensibilités. Ce n’était pas mon intention, bien sûr.

Mais pour quelques nez tordus, combien de sourires, combien de bras ouverts, combien de « merci » ? Avec Ubuntu, j’avais frayé un chemin. J’avais franchi une ligne qui ouvrait des dialogues nouveaux et improbables. Qui m’offrait des expériences aussi fortes qu’inoubliables. Sans Ubuntu, je n’aurais pas croisé le chemin de Steve Fola-Gadet avec qui j’ai noué des liens d’une étrange solidité (Dialogue improbable entre un afro-descendant et un béké, Caraïbéditions). Sans Ubuntu, j’aurais hésité à partager aussi librement mes émotions dans des livres de confession. Sans Ubuntu, je serais passé à côté de rencontres inattendues et d’amitiés nouvelles.

Beaucoup de choses ont changé depuis ce fameux dîner : la folle parenthèse du grand confinement, l’accélération des dérèglements climatiques, les bruits de bottes en Europe, les crises du monde, les fureurs d’ici, les déboulonnages de statues, la révolution des algorithmes… et la naissance de mes petits-enfants. Ceux-là mêmes qui s’apprêtent à prolonger le fil, à me prolonger en quelque sorte. Ubuntu, c’est aussi eux dans le monde qui vient. C’est aussi ma part d’avenir qui éclot doucement et continue inlassablement son chemin d’humanité. Décidément, je n’ai pas fini d’être…

Avec cette nouvelle version d’Ubuntu, j’ai décidé d’aller plus loin sans rien retrancher de la première édition. Une fois n’est pas coutume, je reviens sur mon texte d’origine pour le compléter juste un peu.

Je suis mes aïeux, je suis mes amis, je suis mes enfants…

Alors, en route !

Ubuntu, une toute nouvelle édition enrichie chez L’Harmattan, de puis le 2 novembre 2023. Pour en savoir plus ou commander chez l’éditeur, c’est ICI. Disponible dans les librairies des Antilles-Guyane, possibilité de commander sur les plateformes en ligne comme Fnac.com, Cultura.com, placedeslibrairies.fr, decitre.fr

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