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La Fondation pour la mémoire de l’esclavage fête son premier anniversaire ce week-end. Pour Serge Romana, professeur en génétique et membre fondateur de la Fondation Esclavage et Réconciliation, la structure a déjà atteint ses limites.

On est quand même un peu déçu !” Un an après sa création, la Fondation pour la mémoire de l’esclavage (FME) ne convainc pas le génétitien Serge Romana. Présidée par l’ancien Premier ministre Jean-Marc Ayrault, la FME est une instance créée officiellement le 12 novembre 2019 qui succède au Comité nationale pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage. Elle a pour mission de diffuser et de promouvoir l’histoire et la mémoire de l’esclavage sur le territoire national et d’apporter un soutien financier au domaine de la recherche. 

Elle a le mérite d’exister”, reconnaît Serge Romana. “Ça n’a pas été facile. Tout le mérite revient à Pierre-Yves Bocquet, ancienne plume de François Hollande, qui s’est démené comme un beau diable pour qu’elle existe”. Mais pour le membre fondateur de la Fondation Esclavage et Réconciliation et ex-président du CM98, la fondation n’est pas en mesure de remplir l’intégralité de ses missions.

 

 

Jean-Marc Ayrault “n’est pas le plus légitime”

Le problème de cette fondation, c’est qu’elle n’a pas pu intervenir par rapport au problème que pose la mémoire de l’esclavage véritablement. On l’a vu et on le voit toujours avec la Martinique, la situation est très tendue. La Fondation Ayrault n’est pas capable d’intervenir là-dessus”, estime Serge Romana. Et pour le généticien, le problème est structurel : la fondation n’est pas dirigée par des descendants d’esclaves ou des personnes issues des territoires concernés. 

 

Une fondation pour la mémoire de la Shoah ne pourrait  être dirigée par une personne qui n’a pas de rapport avec cette histoire … Il y a peut-être une sorte de paternalisme là-dessus. Je pense que sur cette question de la mémoire de l’esclavage, ce n’est pas Jean-Marc Ayrault le plus légitime.

Distinction entre histoire et mémoire

Pour Serge Romana, si la fondation peut intervenir sur le champ de l’histoire, agir sur un certain nombre de sujet comme l’éducation, “ce qui est très bien”, elle ne peut pas mener des actions sur le champ mémoriel. 

 

Jean-Marc Ayrault et Pierre-Yves Bocquet (NDLR : directeur adjoint de la FME) n’y connaissent rien. Et c’est normal qu’ils n’y connaissent rien. Pourtant ce sont des actions dans ces territoires (Matinique, Guyane, La Réunion, Guadeloupe) qui sont à mon avis les plus importantes concernant la mémoire de l’esclavage. Or, cette fondation ne peut pas agir sur la mémoire de l’esclavage parce que la honte liée à l’esclavage, la question de la rupture d’affiliation, ils ne la vivent pas. Ce n’est pas dans l’ADN de la fondation. Je pense qu’il faut qu’elle se remette en question.

 

“Association concurrente”

Autre limite relevée par le généticien : la FME ne s’appuie pas assez sur les associations, les fondations déjà présentes. “C’est un problème, note Serge Romana. Elle ne prolonge pas l’action de ces associations. De ce fait elle est vécue par les entrepreneurs de mémoire comme une association concurrente.

Malgré ses critiques, Serge Romana laisse, explique-t-il, le “bénéfice du doute” à cette nouvelle fondation. “Elle va faire des choses, reconnaît-t-il. Par exemple sur la question du mémorial aux Tuileries, elle a joué un rôle très important en le faisant accepter comme un projet d’Etat.

Porté par le CM98, le projet d’édification d’un mémorial à Paris, en hommage aux victimes de l’esclavage, devrait aboutir fin 2021. 200 000 noms d’esclaves affranchis devraient ainsi être inscrits et répartis sur 200 plaques de verres dans le jardin des Tuileries. 

 

“Un outil important”

Et à la différence de son prédécesseur, le Comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage, la Fondation pour la mémoire de l’esclavage est dôtée de moyens importants : son budget annuel s’élève à 2 millions d’euros. 

Elle est importante cette fondation, elle peut financer des projets, développe Serge Romana. Il y a tellement de choses à faire… Par exemple, le projet du mémorial aux Tuileries. Les bénévoles qui ont fait un travail colossal de recherche pour trouver les noms ont fait ça sur des bouts de tables, sur des petits ordis. Or c’est une oeuvre d’intérêt public. Ils auraient besoin de grandes pièces avec des ordinateurs grand écran, un vrai serveur informatique et pas des clés usb ou des petits tableaux Excel”

C’est un outil important, cette fondation. Elle est repérée par les médias, elle peut être repérée à l’international. Elle a des moyens. Je remercie Pierre-Yves Bocquet d’avoir fait tout ce travail, conclut Serge Romana. “J’ai envie de lui dire ‘tu as accompli ton travail, maintenant il faut passer la main’.

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