Ce soir du 31 mars 2021 – le dernier avant un reconfinement généralisé –, la Maison d’Aimé Césaire s’ouvre à Haïti. Au fronton, le rouge et le bleu du drapeau de la première République noire, née en 1804 d’une lutte de près de quinze ans, au terme de laquelle une armée d’esclaves antillais mit à mal le corps expéditionnaire français dépêché par Napoléon Bonaparte pour rétablir la servitude à Saint-Domingue.

Annie CHANDEY, adjointe au maire de Fort-de-France, ouvre la soirée en rappelant l’engagement constant de la Ville envers la culture, engagement dont, dans des circonstances défavorables, l’organisation de cette manifestation, qui a mobilisé plusieurs services municipaux, offre un nouvel exemple.

Puis Adams KWATEH, avec fougue et émotion, présente l’événement, qui a lieu malgré un report dû à un fâcheux contretemps, malgré aussi des rumeurs d’annulation.

Il s’agit de la première actualisation de la nouvelle orientation proposée par le Conseil scientifique de la Fondation Aimé Césaire (FAC), qui associera désormais systématiquement, dans chacune de ses productions, les dimensions artistique, scientifique et pédagogique.

Aujourd’hui, comme l’indique Adams, au moment où le peuple haïtien traverse les épreuves les plus tragiques, mais dans l’instant aussi où, ici, à la Martinique, se fait jour, à l’encontre du peuple frère, une xénophobie nauséeuse, véhiculant des préjugés, des mensonges, des diffamations, et des insultes qu’on croyait réservés à un BOLSONARO, à un TRUMP, ou aux dirigeants français du Rassemblement national, bref, à l’heure où, jusque chez nous, s’observe, sur fond d’inégalités croissantes, une recrudescence du racisme et de la haine de l’autre, il importait non seulement de rappeler, textes à l’appui, et l’importance majeure prise par Haïti dans l’affirmation césairienne de la dignité de l’humanité afro-caribéenne, et la fonction de laboratoire historique occupée par l’île pionnière dans les études et les réflexions de Suzanne comme d’Aimé CESAIRE, mais encore de marquer notre solidarité agissante, présente, immédiate, avec un peuple dont la résilience, tout autant que les capacités, force l’admiration.

D’où la mise en voix d’un choix de textes césairiens, d’inspiration haïtienne, sobrement annoncés par la projection de portraits photographiques de leur auteur(e).

Colette CESAIRE, seule en scène avec ses colliers – véritables partenaires plus que simples accessoires −, servie par une diction, un phrasé et une gestuelle impeccables, en symbiose avec la musique originale – ni pesante ni envahissante, mais subtilement prenante – composée par Alex BERNARD, installa d’emblée une émotion bientôt muée en envoûtement.

Ainsi entendit-on publiquement, pour la première fois, de larges extraits du Grand camouflage, le dernier écrit – et le plus abouti – dû à Suzanne CESAIRE.Texte magnifique, alliant virtuosité rythmique et variété des tons, des registres, des images, qui requiert une étude rigoureuse et précise au lieu des paresseuses généralités ou des approximations, voire des contresens, dont il a jusqu’à présent fait l’objet.

Et l’on revécut aussi, aux accents obsessionnels du Cahier, le martyre de Toussaint LOUVERTURE, le libérateur primordial, dont l’œuvre fut ensuite magistralement synthétisée par l’interprétation d’un passage emprunté à l’étude historique qu’Aimé CESAIRE lui a consacrée.

Après quoi, devant un auditoire pénétré, vint le moment le plus contemporain, le plus actuel, avec la présentation d’un moyen métrage réalisé par Arnold ANTONIN, cinéaste haïtien plusieurs fois internationalement primé, intellectuel polyvalent, fondateur et directeur du Centre Pétion-Bolivar, qui, en Haïti, est ce qui s’apparente de plus près à notre SERMAC.

Son film, Ainsi parla la mer (Men sa lanmè di), d’une profonde richesse sociologique et fort d’un commentaire poétique autant que didactique, donne à voir Haïti comme une terre superbe mais maltraitée, habitée par un peuple talentueux et créatif, mais entravé, brimé, réduit à l’impuissance, abandonné par des dirigeants corrompus et incapables, auxquels est étrangère la notion de bien public.

A une projection qui ne manqua pas de susciter un parallèle avec notre situation martiniquaise – où la question de l’utilisation de la ressource marine se pose avec acuité −, succéda la diffusion d’un message vidéo du réalisateur. Nous remerciant pour notre solidarité, cet homme admirable, âgé de soixante-dix-neuf ans, nous annonça que, quitte à risquer sa vie, il allait manifester aux côtés de son peuple pour empêcher la destruction de la démocratie haïtienne et l’installation d’un néo-duvaliérisme.

Dans l’intervention qui suivit, l’éminent représentant de la communauté haïtienne qu’est le docteur Max CASIMIR ne se borna pas à restituer avec chaleur la dimension historique du séjour haïtien, en 1944, des époux CESAIRE. Il rappela également la tradition d’accueil de la première République noire, qui reçut et protégea esclaves caribéens en fuite, insurgés défaits (notamment ceux de l’insurrection du Sud de 1870), révolutionnaires d’Amérique latine (tels MIRANDA, BOLIVAR) et même de France (ainsi BILLAUD-VARENNE).

Il rappela encore – cinglante leçon – que sa grand-mère martiniquaise, arrivée en Haïti à l’âge de quatre ans, y avait vécu en citoyenne à part entière jusqu’à sa mort, nonagénaire, sans que jamais fût mise en cause son origine.

La projection du bref court-métrage de la réalisatrice martiniquaise MAHARAKI clôtura la soirée. Projet H (H comme Haïti) propose une fiction insolite et pleine d’humour, mais qui donne à penser et suscite de multiples interprétations.

MAHARAKI en fit l’historique à l’intention d’un public curieux, mais la contrainte du couvre-feu mit un terme prématuré à un débat qui s’annonçait fructueux.

Suivirent les remerciements d’usage, adressés par Colette CESAIRE, puis par le vice-président de la FAC à toutes celles et à tous ceux qui avaient voulu et permis, contre vents et marées, qu’une création culturelle novatrice et de qualité, fidèle à l’exigence esthétique comme à la volonté d’intervention pratique caractéristiques de l’engagement césairien, soit proposée à un public qui, espérons-le, en verra d’autres.

En attendant, référons-nous à la déclaration d’intentions – consultable sur les réseaux sociaux publiée par la nouvelle équipe animant les activités de la FAC : « A une époque marquée par les deux phénomènes que sont la recrudescence des migrations contraintes − guère moins massives et périlleuses que celles qu’entraînèrent les traites négrières − et le regain d’un racisme plus virulent que jamais, l’œuvre et la pensée d’Aimé CESAIRE apparaissent − à côté de quelques autres − précieuses pour aborder et traiter tant les questions du multiculturalisme, de la rencontre et de l’hybridation des cultures, que celles des politiques à élaborer et à mettre en œuvre pour faire vivre ensemble, à égale dignité, des identités ni closes ni figées, en dégageant l’horizon commun de la discrimination et de l’exclusion raciales.

Dans le cadre ainsi tracé, la Fondation Aimé Césaire (FAC) s’emploiera à proposer des activités denses et frappantes, associant savoir et plaisir, réflexions et performances artistiques. Elle privilégiera l’interdisciplinarité, mais aussi l’intersectionnalité dans le choix de ses thèmes comme de ses intervenant(e)s. Elle s’ouvrira aux courants les plus novateurs de la pensée critique comme de l’art émancipateur, et favorisera le travail des créateurs/créatrices, notamment caribéen(ne)s, afro-américain(e)s, africain(e)s.

Elle espère ainsi, en interrogeant, en travaillant, en diffusant les mots et les concepts d’Aimé CESAIRE, contribuer à stimuler le potentiel libérateur comme l’énergie constructive des peuples. »

Le Groupe Vertières.

(Pour le rayonnement de la Fondation Aimé Césaire)

Le 4 avril 2021.

Pièces jointes :

2 photos [Crédits photos : Cécile SAINT-MARC] ;
1 affiche de l’événement.
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