La conférence tenue samedi 3 septembre sur le thème de “

« Des arcanes de l’imaginaire colonial aux chemins d’une décolonisation mentale : les enjeux possibles de l’association Tous Créoles ».”

par le Pr Jean Bernabé, à la demande de Roger de Jaham, le principal fondateur de “tous Créoles” a été un succès. Devant ue salle comprenant plus d’une centaine de personnes, le Pr Bernabé a magistralement impressionné ses auditeurs…
Notre collaborateur Mike Irasque a pu poser à Jean Bernabé quelques questions à l’issue de cette cérémonie, itw suivie de questions posées à Roger de Jaham, concernant une de ses récentes déclarations ayany fait le “buzz” sur Internet……

Le Professeur Jean Bernabé…

Le regard de Jean Bernabé sur « Tous Créoles ! »

Le 3 septembre dernier, l’association « Tous Créoles ! » a tenu son assemblée générale annuelle. Une réunion dont le moment-fort a été la communication du professeur Jean Bernabé, un exposé intitulé « Des arcanes de l’imaginaire colonial au chemin d’une décolonisation mentale : les enjeux possibles de l’association ‘Tous Créoles’. » Dans son intervention, l’universitaire argua entre autres de la nécessité pour l’association d’investir le champ politique ; « politique » au sens d’une mobilisation et implication citoyenne, martiniquaise, notamment contre des fléaux très concrets, comme celui du chômage. Un segment de sa communication qui pourrait être résumé par ce propos du linguiste : « Si ‘Tous Créoles’ arrive à privilégier le ‘tous’ sur le ‘créoles’, et bien je suis persuadé, non pas qu’il y aura des miracles, mais que son action peut, à mon avis, prendre un véritable sens. […] Faire des choses avec une énergie puisée dans une Histoire qui n’est plus négative, mais re-positivée. »

A l’issue de la conférence, nous avons échangé avec Jean Bernabé.

Pourquoi le mot « créole », dans le nom de l’association, heurte des Martiniquais selon vous ? Car le mot renvoyait à l’époque au monde du maître ? Car le président de l’association est un « Blanc créole » ?

Jean Bernabé : Originellement le mot ‘créole’ a été réservé aux békés. Dans les sociétés d’Amérique latine, les créoles sont des gens qui, ayant conquis différents territoires, ont finalement demandé l’indépendance, en tant justement que créoles. Le travail fait par Chamoiseau, Confiant et moi-même sur la créolité, tend à redonner un autre sens au mot ‘créole’, et je crains que ce sens-là ne soit souvent reçu comme essentialiste. C’est la raison pour laquelle je récuse de plus en plus la notion d’identité créole. Je ne pense pas qu’il y ait une identité créole, une sorte d’invariant qui n’évolue pas, mais qu’il y a une personnalité créole. Une personnalité liée à une série de facteurs culturels, géopolitiques, qui font par exemple qu’on voit des traits communs entre des Réunionnais, des Martiniquais, des Haïtiens etc. C’est même dangereux ; ça me fait penser à l’identité française de Besson (Eric Besson, ancien ministre de l’immigration, ndr) ou à l’« ivoirité », qui a conduit à une espèce de fermeture, de définition abstraite d’une réalité. Ce qui est important, c’est qu’un peuple se construise avec tous les apports annexes. Si je m’amuse à parler d’une identité martiniquaise, guadeloupéenne, sainte-lucienne ; je crains qu’il y ait un affrontement d’identités, alors qu’il ne faut pas penser l’identité en termes exclusifs, mais inclusifs.

S’il s’agit d’une personnalité en construction, n’est-on pas là face à un processus qui n’aura pas de fin ?

Bien-sûr, c’est un processus sans fin. Tant qu’il y aura des êtres humains, ils vivront en société et définiront des cultures en cours d’élaboration perpétuelle. Je crois qu’il faut distinguer la notion de culture et celle de civilisation. La notion de civilisation est une notion fermée, alors que la notion de culture est ouverte. Quand je parle de civilisation chinoise, j’ai un certain nombre de représentations, alors que la culture chinoise dépasse de très loin ce que peut être la civilisation chinoise.

Une vue de l'auditoire…

Dans votre communication vous avez dit que la communauté béké « devait entrer en résonance avec le peuple martiniquais. » C’est-à-dire ? Par le biais d’unions amoureuses ? De mariages ? De métissage ?

D’une part. Mais ça veut dire qu’ils arrivent petit à petit à partager la même esthétique. L’esthétique physique par exemple. Aussi faire en sorte que des Martiniquais (non-béké, ndr) puissent être invités chez eux. Mon père était inspecteur des contributions, et était très aimé par un béké dont je ne dirai pas le nom. Chaque fois qu’il venait faire une inspection, après le béké, très gentiment, lui apportait une assiette avec plein de victuailles etc. Mon père refusait. Il me disait ‘S’il est content de moi, il n’a qu’à m’inviter chez lui.’ C’est le reliquat d’une époque où le bloc béké se refermait sur lui-même, pour éviter les contacts avec la population noire. Car si contact il y a, c’est l’effondrement de la société raciale.

Vous sentez la communauté béké plus « poreuse » en 2011 ?

Je pense. Un monsieur (béké, ndr) me disait à l’instant que tous les békés invitent des gens de couleur chez eux.

Je l’ai entendu également. A tort ou à raison, je ne serai vraiment pas aussi affirmatif que ce monsieur.

Moi non plus. Mais il y a un mouvement, quelque chose qui est en train de se faire. On est dans une époque de mondialisation, qui ne peut pas ne pas avoir d’effets sur la situation martiniquaise. Je suis extérieur à « Tous créoles ! », et je n’entends pas y être car je veux garder une extériorité observatrice, mais je pense que tout dépend des enjeux qu’ils se donnent. Si ces enjeux sont véritablement sincères, avec des objectifs de reconstruire un tissu abîmé dès le départ par l’esclavage etc., et bien je crois que ça peut être une association qui fait sens.

En termes d’actions de « Tous Créoles ! » justement, je n’ai rien contre les conférences-débat et les présentations de romans, mais j’ai le sentiment qu’il n’y a quasiment que ça pour l’instant.

C’est pourquoi j’ai tenu à leur dire qu’il ne faut pas craindre d’aller sur le terrain politique. Pas pour devenir un parti politique, mais le terrain d’affirmer un certain nombre de choses. Il faut que les békés entrent en résonance avec le peuple martiniquais, et que les gens de couleur qui sont dans « Tous créoles ! » tiennent des propos qui ont une résonance martiniquaise.

Propos recueillis par Mike Irasque

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Questions à Roger de Jaham sur “ Une phrase qui dérange…”

Depuis une quinzaine de jours, Roger de Jaham est accusé par quelques personnes – notamment sur certains sites internet – d’avoir tenu des propos « abjects », « révisionnistes  voire négationnistes », etc. Rappel des faits. Le 15 août dernier, la radio France Inter a diffusé une émission, L’heure ultramarine, dont l’invité principal était Roger de Jaham, convié à parler des békés en Martinique. Evoquant son ancêtre, qui était ce qu’on appelait à l’époque un « engagé » (ou « 36 mois »), le président de « Tous Créoles ! » eut ce propos, qui lui valut les qualificatifs précités : « Voilà en gros ce qu’était un engagé, un 36 mois, c’est-à-dire un moins que rien, moins qu’un esclave. Les esclaves sont arrivés longtemps après, et eux avaient une valeur marchande que n’avait pas le Blanc engagé pour 36 mois. » Les explications de l’intéressé.

Roger de Jaham (Pho. Mike Irasque)

 

Roger de Jaham : C’était une émission d’une heure. Ils (ses accusateurs, ndr) en ont extrait une phrase, qu’ils ont montée en épingle, alors que c’est un fait historique. C’est simplement une des facettes de notre Histoire, que certains ne veulent pas connaître car ils ont une autre vision de l’Histoire. Peut-être qu’ils sont restés sur ‘nos ancêtres les Gaulois’… Quand ces personnes me font un tel procès, c’est qu’ils ne connaissent pas l’Histoire de leur pays.

Vous comprenez que vos propos aient pu choquer ?

Non je ne comprends pas. Justement je crois que c’est parce qu’on ne connaît pas notre Histoire. Dans nos statuts on a introduit la notion qu’il faut qu’on connaisse toute l’Histoire. Parce que justement ça peut faire tomber certains complexes, certains blocages. Quand on aura tous compris qu’on vient finalement du même creuset – les békés ou les autres –, je pense qu’on se portera mieux.

Hormis les conférences et les manifestations plus festives, y aura-t-il d’autres types d’actions dans le futur ?

On a deux grands projets. Le 1er s’appelle « Réflexion créole ». Quand j’ouvre un dictionnaire aujourd’hui, un créole c’est une personne de race blanche née ou vivant dans les… etc. Le créole n’est pas une race, une ethnie ou une couleur, c’est un état d’esprit. Un de nos chantiers c’est de modifier la définition du terme ‘créole’ dans les dictionnaires. Deuxième chantier, la résilience. Nous sommes en contact avec Boris Cyrulnik, qui a inventé le concept de résilience, pour amener les martiniquais à effectuer une démarche collective de résilience, comme l’Afrique du Sud ou le Japon.

Vous parlez de l’Afrique du sud, certaines voix martiniquaises plaident pour l’installation de commissions du type « Vérité et réconciliation » dans notre pays. Qu’en pensez-vous ?

Pourquoi pas ? Est-ce à nous de l’organiser ? Je ne sais pas, pourquoi pas ? Peut-être essayer de lancer une réflexion pour une meilleure connaissance des békés. Je pense que ça peut débloquer beaucoup de choses. Car il y a des békés chômeurs, et il y a Bernard Hayot. Entre les deux l’échelle est immense.

Propos recueillis par Mike Irasque


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