En refusant de reprendre leur match de Ligue des champions, les joueurs ont fait basculer la compétition dans un scandale à résonance mondiale.

Par Clément Martel

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Au Parc des Princes, les joueurs du PSG et de Basaksehir ont quitté la pelouse pour ne plus revenir, dénonçant une expression jugée raciste du quatrième arbitre, le 8 décembre. CHARLES PLATIAU / REUTERS

Le jeu s’est arrêté. Sur l’écran géant du Parc des Princes, l’horloge indique vingt-deux minutes et vingt-trois secondes. Bloquée. Mardi 8 décembre, la dernière rencontre de la phase de groupe de la Ligue des champions de football opposant le Paris-Saint-Germain à l’Istanbul Basaksehir n’a pas dépassé ce temps de jeu.

A 21 h 22 et 23 secondes, les vingt-deux joueurs ont quitté la pelouse pour ne plus revenir. Une décision inédite dans la compétition, à l’instigation des footballeurs, reprenant à leur compte le slogan de l’UEFA « Say no to racism » (« Dites non au racisme »).

Après un début de partie haché, la soirée a basculé au quart d’heure de jeu. Sur le banc turc, le staff s’agace des nombreuses fautes sifflées contre ses joueurs. Trouvant Pierre Achille Webo, entraîneur adjoint du champion de Turquie, trop véhément, le quatrième arbitre, Sebastian Coltescu, s’adresse à l’arbitre de champ, Ovidiu Hategan, roumain comme lui, pour l’inciter à intervenir : « C’est le Noir [negru, en roumain] ici. Va voir et identifie-le. Ce gars, le Noir », déclare-t-il, selon une traduction de l’Agence France-Presse (AFP).

Dans le stade à huis clos, le mot résonne et déclenche la colère de Webo. « Why you said “negro” ? » (« Pourquoi avez-vous dit “negro” ? »), répète l’ex-international camerounais au quatrième arbitre, alors que les joueurs s’attroupent sur le bord du terrain. Son expulsion par l’arbitre principal n’apaise en rien les tensions.

“Pourquoi il a dit “négro” ? Pourquoi ?

– Venez on sort !”

Agglutinés autour de l’arbitre, Stambouliotes et Parisiens reprochent à son assistant l’emploi d’un terme raciste. L’attaquant remplaçant de Basaksehir Demba Ba mène la charge. « Quand vous parlez d’un homme blanc, vous dites “cet homme”, pas “cet homme blanc”. Pourquoi le faites-vous avec un homme noir ? », assène le natif de la région parisienne à l’arbitre. Si ce dernier explique qu’en roumain negru n’a pas de connotation négative, ni les joueurs ni les officiels, qui ont rejoint le bord du terrain, ne sont convaincus.

En 2020, le ras-le-bol s’exprime

Le racisme dans les stades n’est pas un phénomène récent. De nombreux joueurs ont été la cible d’insultes liées à leur couleur de peau. Lassés, sans doute, de voir que les propos et insultes racistes sont encore chose commune dans certains stades sans que les instances prennent de décisions radicales, les joueurs semblent avoir conclu qu’ils devaient eux-mêmes agir. En 2020, année marquée par l’engagement de nombreux sportifs, notamment aux Etats-Unis, contre l’injustice raciale, le ras-le-bol s’exprime.

Indépendamment des intentions de Sebastian Coltescu, Demba Ba a incité ses partenaires à regagner les vestiaires et joint le geste à la parole. « En tant que sportifs, nous avons un pouvoir que nous ne connaissons même pas. Si on se réunit et qu’on parle, les choses changent », exprimait il y a quelques mois le joueur. Engagé contre le racisme, l’international sénégalais plaidait déjà pour une solution radicale.

Première star qui tenta d’arrêter un match, à Saragosse, en 2006 – il avait été convaincu de rester par son entraîneur –, le Camerounais Samuel Eto’o avait balisé la marche à suivre. « Bien sûr qu’il faut quitter le terrain. Le football déplace beaucoup d’argent, mais la plupart des acteurs qui l’engendrent sont noirs, soulignait l’ex-attaquant camerounais en 2019 dans La Gazzetta dello Sport. Si un jour, avec l’appui des joueurs blancs, ils décidaient de ne pas jouer, je pense que tout changerait rapidement. »

A la différence d’innombrables cas précédents, mardi, personne n’est venu calmer la colère de Demba Ba, aucun partenaire ne l’a poussé à mettre son ressenti dans sa poche pour que le jeu reprenne. Au contraire. « Pourquoi il dit “negro” le quatrième arbitre ? Venez, on sort ! », a lancé le défenseur parisien Presnel Kimpembe, suivi par les autres joueurs, et l’encadrement des équipes. « On ne peut pas jouer avec ce type », a rétorqué Kylian Mbappé à l’arbitre central, désignant le quatrième arbitre.

Comme Neymar, à la suite de Demba Ba, la star parisienne a poussé partenaires et adversaires à regagner les vestiaires. « Parfois tu décides par toi-même de changer le monde, parfois ça te tombe dessus », professait, début novembre, à l’égard du champion du monde français la footballeuse américaine engagée Megan Rapinoe, l’incitant à prendre position davantage.

Scandale à résonance mondiale

En refusant de reprendre la partie, et en obligeant les organisateurs à reprogrammer « à titre exceptionnel » la rencontre mercredi « avec une nouvelle équipe d’officiels », les joueurs ont fait basculer la prestigieuse Ligue des champions dans un scandale à résonance mondiale.

Outre les nombreux messages de soutien de footballeurs, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, proche du Basaksehir, s’est emparé de l’affaire pour « condamner fermement les propos racistes tenus à l’encontre de Pierre Webo ». La ministre déléguée aux sports française, Roxana Maracineanu, a salué « une décision historique face à une attitude que [les joueurs] ont jugée inacceptable. Une expression de racisme ordinaire ».

Il appartiendra à l’Union des associations européennes de football (UEFA) – qui a d’abord cherché, vainement, à faire reprendre la partie en exfiltrant le quatrième arbitre dans le camion occupé par l’arbitre chargé de l’assistance vidéo –, de tirer au clair le déroulé des événements. Et de combler l’angle mort de son règlement, qui n’envisage pas d’éventuels comportements racistes de la part du corps arbitral. Dans la soirée, l’instance a annoncé l’ouverture d’une « enquête approfondie ». Le silence de cathédrale de l’enceinte parisienne à huis clos rend l’analyse des extraits sonores plus aisée que si 47 000 supporteurs avaient entretenu un boucan d’enfer.

A la faveur de la victoire du RB Leipzig face à Manchester United (3-2), le PSG a appris sa qualification pour les huitièmes de finale de la Ligue des champions. L’objectif initial de cette « finale », fixé par Thomas Tuchel, l’entraîneur parisien, a été rempli. Comme une incursion du sport dans une soirée où l’essentiel était ailleurs. Mardi, à Paris, le jeu s’est arrêté. A leur manière, les footballeurs se sont réemparés de leur sport.

Un ministre roumain condamne « fermement » les propos « racistes »

« Je condamne fermement tout propos qui peut être interprété comme raciste, xénophobe ou discriminatoire », a déclaré le ministre des sports roumain, Ionut-Marian Stroe, mercredi 9 décembre à la chaîne Digi TV. « Je présente mes excuses au nom du sport roumain pour cet incident malheureux, qui ne nous représente pas », a-t-il ajouté. La Fédération roumaine de football (FRF) a, de son côté, déclaré, dans un communiqué, se « distancier fermement de toute action ou déclaration à connotation raciste ou xénophobe ». « Ce sont des propos racistes, sans aucun doute (…), cet arbitre ignore complètement les valeurs et les règles de la FRF, de l’UEFA et de la FIFA, a également déclaré le président du Conseil national antidiscrimination, Csaba Asztalos. C’est une énorme tache sur la Roumanie et sur l’arbitrage roumain, un incident d’une gravité extrême. »

Clément Martel

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