Axel Kahn se souvient d’une femme très pieuse, qu’il décrit comme une “catholique très fervente”. Une foi qui l’a conduite à exprimer par le passé des convictions “extrémistes d’une certaine manière”, sur la question par exemple du génome. Il recherche dans sa mémoire et se souvient par exemple l’avoir entendue développer un concept “un peu ésotérique”, mettant en avant “l’intégralité de l’être vivant, presque avant la conception”.

Visiblement peiné par les récentes sorties de son ancienne étudiante, Axel Kahn admet aujourd’hui ne pas pouvoir “la considérer comme une chercheuse”. Son positionnement, ajoute-t-il, lui apparaît “à la limite d’un engagement religieux et sectaire”, et “l’emporte sur ce qu’est sa capacité réelle à faire de la recherche de qualité”. Un ancien collègue, qui a eu l’occasion d’échanger avec Alexandra Henrion-Caude il y a de cela plusieurs années, admet que le mot “sectaire” ne lui serait pas venu à l’esprit. Pour autant, c’était à ses yeux une chercheuse que “l’on ne comprenait plus, que l’on ne suivait plus”. 

Cet interlocuteur évoque un tournant important, mentionné également par d’autres personnes interrogées au cours de cette enquête : un séjour de plusieurs mois aux Etats-Unis en 2013 sous l’égide de la Fondation Eisenhower Fellowship et dont elle avait été l’une des 22 lauréates. Une expérience relatée à l’époque par l’Inserm et qui aurait profondément marqué la chercheuse. Lui ayant “fait tourner la tête”, nous glisse-t-on.

“Son langage n’est pas celui d’un scientifique responsable”

Médecin généticienne et épidémiologiste de formation, Ségolène Aymé est directrice de recherche émérite à l’Inserm. Il y un peu plus de 5 ans, elle a échangé à plusieurs reprises avec Alexandra Henrion-Caude en vue d’une éventuelle collaboration. Elle lui reconnaît “une liste de publications scientifiques de bonne qualité, sans plus, et en nombre relativement restreint”. Souligne aussi que ses “bons articles sont tous centrés sur une thématique unique”.

“Il est très regrettable qu’elle se soit exprimée sur des sujets aussi loin de son domaine de compétence”, déplore la chercheuse, qui redoute que tout cela ne vienne alimenter “la défiance pour la démarche scientifique”. Ségolène Aymé est catégorique : elle “ne partage aucune des thèses défendues par Alexandra Henrion-Caude”. Celles-ci sont issues à ses yeux “d’une vision religieuse, philosophique et politique habituellement soutenues par l’extrême-droite, en particulier américaine, et non construites à partir de faits établis scientifiquement”.

Il convient ici de souligner que TV Libertés, qui a diffusé le très populaire entretien avec Alexandra Henrion-Caude sur son compte YouTube, est une web-TV proche de l’extrême-droite. Lancée début 2014 par un ancien cadre du Front national, elle est aujourd’hui conduite par Philippe Milliau, un ex-dirigeant du Bloc identitaire. Sur la page qu’il consacre à la controversée généticienne, l’Observatoire du conspirationnisme souligne par ailleurs que sa parole s’avère “très largement relayée sur la complosphère”, par des sites reconnus comme des propagateurs de fake news.

Les nombreux relais dont bénéficie aujourd’hui Alexandra Henrion-Caude mettent des scientifiques comme Ségolène Aymé dans l’embarras. “Son langage n’est pas celui d’un scientifique responsable”, regrette-t-elle. Au sujet des vaccins par exemple, “ce qui est responsable c’est de discuter si l’on peut donner des autorisations de mise sur le marché de médicaments, de vaccins ou de tests, sans que toutes les évaluations soient arrivées à leur terme, au prétexte de l’urgence des besoins”.

“Ouvrir des discussions”

Aux personnes qui peuvent la mettre en cause, Alexandra Henrion-Caude rétorque qu’elle ne met en avant aucune certitude. Mais défend “qu’aucun foyer extérieur de contamination n’a été décrit ni observé depuis le déconfinement français et européen, et que les nombreuses manifestations à l’air libre sans masques durant l’été en Europe n’ont eu aucune incidence sur l’évolution des décès Covid-19”. Si la généticienne n’a pas trouvé le temps de répondre aux questions de LCI, elle a néanmoins partagé les réponses très détaillées qu’elle avait formulées à d’autres médias voilà quelques semaines. Et qui portaient, déjà, sur les interrogations liées à ses prises de positions. “Qui peut avoir la certitude d’une origine animale du virus ? Comme humaine d’ailleurs ? Aucune étude n’a pu être conclusive jusqu’à présent”, avance ainsi la chercheuse. 

Si elle réfute catégoriquement s’être opposée au masque, elle assume douter de son“influence forcément bénéfique […] dans le contexte qui est le nôtre, c’est-à-dire majoritairement un port par des personnes saines”. Ajoutant que “contrairement à beaucoup d’autres, et contrairement à ce que certains ont relayé”, elle n’affirme rien. “L’unanimité sur un point scientifique est douteuse. J’essaie de répondre au mieux et par la pluralité, au lieu d’être « certaine ».”

Alexandra Henrion-Caude explique par ailleurs avoir pris la parole à dessein durant cette crise. “En tant que généticienne” et “intéressée par les solutions simples en matière de santé, j’ai étudié le SARS-Cov2 et les différents moyens de le détecter”, souligne-t-elle. Et n’affirme avoir aujourd’hui “aucun regret” à s’être exprimée. Avouant être restée “discrète médiatiquement” durant sa carrière et qu’elle aurait “préféré le rester”, elle a néanmoins changé d’avis. “Le tsunami psychologique auquel nous assistons m’incite à partager mes connaissances afin d’ouvrir les discussions que je n’ai pas entendues”, assure-t-elle.

Alors que la chercheuse vante sa prudence et appelle à se méfier des affirmations péremptoires relatives à l’épidémie, ses positions se heurtent néanmoins à des levées de boucliers. Elles laissent pantois les spécialistes sollicités, qui appellent à l’instar de l’Inserm à se ranger derrière “un discours scientifique expert, solide et transparent”. La généticienne Ségolène Aymé, pour sa part, rappelle que “toute scientifique qu’elle soit, elle est aussi une personne humaine potentiellement sujette à des interprétations très personnelles, basées sur des croyances sans fondements factuels”. Les scientifiques, estime-t-elle, “ont autant de faiblesses et de défauts que les autres”

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