La violente destruction des statues de Victor Schœlcher à Fort-de-France et à Schœlcher, par un groupe de jeunes, a soulevé l’indignation. La Martinique a déjà connu ce type d’acte. Mais ces actes étaient anonymes ou identifiés à des slogans que l’on peinait à rattacher à un groupe.

 Ce 22 mai 2020, les actes sont filmés, postés sur les réseaux sociaux, revendiqués ; les jeunes activistes ne craignent pas d’être identifiés. La Martinique franchit une étape qui oblige à dépasser l’indignation pour identifier le problème posé. N’est-il pas celui des inégalités sociales ?

Pour les jeunes activistes, ces actes traduisent l’idée que ce sont les esclaves par leur révolte qui ont permis l’abolition de ce système ignoble et inhumain ; Victor Schœlcher n’ayant en rien contribué à l’abolition de l’esclavage. Des écrits existent tant sur la révolte des esclaves que sur la démarche de Victor Schœlcher. Il appartient donc aux historiens de procéder à une réappropriation, une clarification de cette étape très controversée de notre histoire en posant les faits, rien que les faits pour aider chacun à construire une pensée martiniquaise pour aujourd’hui et demain.

Deux faits « Révolte des esclaves : démarche endogène » et « Action de Schœlcher : démarche exogène » marquent la dualité qui construit la société martiniquaise. Que privilégie-t-on : « endogène ou exogène ou les deux ? »

La Martinique s’inscrit dans le difficile exercice de la complexité car l’important, comme dit Edgar Morin, consiste à dépasser les alternatives « ou bien ou bien ». L’enjeu réside pour la Martinique dans la complémentarité des antagonismes.

Ces actes de destruction sont un langage que nous devons décrypter pour dépasser l’indignation, la dénonciation. Car, procéder à de tels actes à visages découverts permet de penser aisément que ces jeunes activistes n’ont plus rien à perdre et ne veulent plus que l’histoire s’incruste dans le paysage (à travers ces symboles dans des lieux stratégiques), donc dans les mémoires, à l’encre d’une seule couleur, celle de la démarche exogène. Doit-on pour autant développer cette violence lorsque l’on condamne unanimement l’esclavage ? Et puis le 22 mai, jour férié en Martinique, n’est-il pas le marqueur de la démarche endogène ?

Il nous appartient de poser clairement les termes de la question de la décolonisation. Car 1848 n’a libéré que les femmes et les hommes de l’esclavage. Se pose l’épineuse question du capital.

  

1848 est en quelque part une « révolution » inachevée.

Chaque génération doit poser des actes pour décoloniser la Martinique. Mais avant, il convient de savoir où l’on veut aller, comment, avec qui et avec quels moyens. Aimé Césaire a vu en la départementalisation une première piste pour sortir les Martiniquais.e.s de la pauvreté, de l’insalubrité suite à ces années d’esclavage et d’assujettissement. C’est donc sur une base sociale que s’est construite la nécessité de la départementalisation qui n’est pas, pour Aimé Césaire, une départementalisation- assimilation. Il s’agit pour lui de tenter d’inverser les termes de l’échange social avec la France qui reposent sur deux couples antagonistes : « département contre colonie » et « droits pour tous contre privilèges ». La départementalisation est le compromis trouvé, à ce moment de l’histoire de la Martinique, pour sortir du « vide social » afin de poser les jalons du « passage » à une autre étape.

Le Parti Progressiste Martiniquais est clair sur cette autre étape à travers l’autonomie (du grec « autos : soi-même » et « nomos : loi, règle ») qui consiste à faire sa loi soi-même. L’autonomie n’est pas une mesure administrative à l’instar de la décentralisation, c’est une démarche politique qui permettra de construire une société martiniquaise multiculturelle, loin de l’unicité et de la recherche d’un consensus culturel, dépassant ainsi la simple approche binaire des choses.

Aussi, l’heure est-elle plus que jamais au débat sur le choix de société que nous voulons, singulièrement dans ce contexte de crise sanitaire. Il ne s’agit pas d’aligner une liste de propositions par secteur comme à l’accoutumée. Il s’agit de débattre de la dorsale et des principes structurants sur lesquels s’organiseront les différents secteurs d’activité. Mais ce débat ne se fera que sur la base de connaissances partagées largement débattues loin des dogmes et des faits historiques reconstruits ou tronqués pour les besoins d’une argumentation, d’une idée. Car le passé ne doit pas constituer un conditionnement qui empêche d’agir, qui reproduit un système injuste, qui favorise l’immobilisme ou la haine. Le passé doit permettre d’inventer des stratégies, de développer des logiques d’action pour changer la société et favoriser l’équité.

Danielle LAPORT ( in Le Progressiste).

Partager.

Laissez votre commentaireAnnuler la réponse.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Exit mobile version