Repéré sur Reporterre.
D’après le rapport annuel de Global Witness, l’année 2020 établit un nouveau record de défenseurs et défenseuses de l’environnement assassinés. La Colombie arrive en tête des pays les plus dangereux et les autochtones ont été les plus ciblés par ces attaques liées à l’exploitation des ressources.
C’est le plus lourd bilan jamais enregistré : 227 activistes de l’environnement, dont 23 femmes, ont été tués en 2020, a révélé le 13 septembre 2021 le rapport annuel de Global Witness, une ONG londonienne comptabilisant depuis 2012 les assassinats de ces militants. Comme les années précédentes, l’Amérique du Sud et l’Amérique centrale, qui abritent la biodiversité la plus riche et des forêts encore intactes, ont été les régions les plus meurtrières. Pourtant, même après des décennies de violences, des femmes et des hommes courageux continuent de se battre au péril de leur vie, pour leur terre et notre planète. Bien que les autochtones ne représentent que 5 % de la population mondiale, ils ont été visés par plus de 30 % de toutes les attaques mortelles en 2020.
Ces meurtres et autres harcèlements, intimidations, surveillance ou encore violences sexuelles sont liés aux industries à l’origine de la crise climatique. Au moins 30 % des attaques enregistrées sont liées à l’exploitation des ressources, qu’il s’agisse d’exploitation forestière, de barrages hydroélectriques, de l’exploitation minière ou de l’agro-industrie à grande échelle, polluante et grande consommatrice d’eau. L’exploitation forestière est le secteur lié au plus grand nombre de meurtres (23 cas), avec des attaques au Brésil, au Nicaragua, au Pérou et aux Philippines.
Les populations autochtones ont été particulièrement touchées, et la pandémie de Covid-19 n’a fait qu’aggraver la situation : avec les confinements, les défenseurs ont été pris pour cible chez eux et les mesures de protection gouvernementales ont été réduites dans 158 pays, d’après un rapport de l’ONG Freedom House.
Colombie, Mexique et Philippines : un trio mortel
C’est en Colombie, avec 65 défenseurs tués, que le bilan a été le plus lourd. Celui-ci s’inscrit dans un contexte d’attaques généralisées dans tout le pays contre les activistes des droits humains et les dirigeants communautaires, malgré les espoirs de l’accord de paix de 2016.
Puis au Mexique, avec 30 meurtres, soit une augmentation de 67 % par rapport à 2019. La moitié des attaques dans le pays ont été dirigées contre des communautés indigènes. Plus de la moitié des attaques mortelles ont été directement liées à l’opposition des défenseurs aux projets d’exploitation minière, d’abattage et de construction de barrages. Et l’impunité reste élevée : jusqu’à 95 % des meurtres n’ont donné lieu à aucune poursuite.
En troisième position arrivent les Philippines, avec 29 meurtres en 2020. Depuis 2016, année de l’élection du président Rodrigo Roa Duterte, 166 défenseurs ont été tués, une augmentation d’ampleur dans un pays où il était déjà dangereux de défendre l’environnement. L’opposition aux industries nuisibles fait face à de violentes répressions de la part de la police et de l’armée. D’après Global Witness, plus de la moitié des attaques mortelles étaient directement liées au fait de s’opposer à des projets d’exploitation minière, d’abattage de forêt ou de construction de barrages.
Óscar Eyraud Adams, Fikile Ntshangase, Regan Russell…
Parmi les activistes tués, l’on trouve Óscar Eyraud Adams, un défenseur de l’eau de la tribu Kumiai, dans la Basse-Californie mexicaine, abattu chez lui le 25 septembre 2020. Il s’opposait aux industries contribuant à la pénurie d’eau en Basse-Californie, notamment Heineken. Il est l’un des nombreux autochtones tués en 2020, alors qu’ils affirmaient leur droit à l’autodétermination et protégeaient leurs terres ancestrales contre l’exploitation de leurs ressources naturelles.
Fikile Ntshangase fait également partie des activistes assassinés en 2020. Tuée à bout portant chez elle devant son petit fils de 11 ans, le 22 octobre 2020, elle était la porte-parole de l’Organisation communautaire pour une justice environnementale de la communauté Mfolozi (MCEJO), qui lutte contre l’extension d’une mine à ciel ouvert près de Somkhele, à proximité du parc Hluhluwe-Imfolozi, en Afrique du Sud, la plus ancienne réserve naturelle du continent. La mine a réduit les pâturages des chèvres et du bétail et le parc, qui attire les touristes dans la région et fournit des emplois, est affecté aussi par le niveau élevé de poussière et de bruit. Les experts soulignent aussi la diminution de la population de rhinocéros blancs certainement liée à l’augmentation du réseau routier pour la mine, la zone adjacente étant décrite comme un « point chaud du braconnage ». Et finalement, en mars 2021, le propriétaire de la mine a reconnu devant un juge de la Haute Cour de Gauteng que la plainte déposée contre lui par la MCEJO était valide.
Regan Russell figure également sur la liste des activistes tués. La militante des droits des animaux a été tuée le 19 juin 2020 à Hamilton, dans l’Ontario (Canada), renversée par un camion alors qu’elle tentait de donner de l’eau à des cochons enfermés devant un abattoir. Elle manifestait contre la nouvelle loi 156 sur la sécurité contre les intrusions et la protection de la sécurité alimentaire. Celle-ci crée des « zones de protection des animaux », interdisant aux défenseurs des droits des animaux « d’interférer ou d’interagir avec les animaux d’élevage dans un véhicule à moteur », pour leur donner de l’eau par exemple.
Une impunité encore élevée
Dans de trop nombreux pays, riches en ressources naturelles et en biodiversité essentielle à la vie et au climat, les entreprises opèrent dans une impunité presque totale avec le soutien des autorités locales et des gouvernements. Il est rare que des personnes soient arrêtées ou traduites en justice pour avoir tué un défenseur et, lorsque c’est le cas, il s’agit généralement d’exécutants — les tireurs — et non les personnes impliquées directement ou indirectement.
Au Honduras toutefois, la justice vient d’avancer d’une case. Le 5 juillet 2021, plus de cinq ans après le meurtre de Berta Cáceres, une leader autochtone lenca abattue en 2016 pour l’empêcher de militer contre un barrage hydroélectrique, Roberto David Castillo Mejía, officier des renseignements militaires et ancien directeur général et président de la société hydroélectrique Desarrollos Energéticos (Desa) qui projetait de construire ce barrage, a été condamné en tant que coauteur du crime. En 2018, un tribunal avait déjà reconnu la culpabilité des quatre tireurs et des trois hommes chargés de la surveillance, de la planification et de la logistique du meurtre. Reste encore à atteindre les personnes à l’origine des ordres.
Global Witness note tout de même quelques victoires pour les défenseurs en 2020. L’Association zimbabwéenne du droit de l’environnement (Zela) et des groupes de défense de l’environnement ont stoppé le projet de deux entreprises chinoises de construire une mine de charbon dans le Parc national de Hwange. Des militants étasuniens et canadiens ont ralenti l’extraction des sables bitumineux et fait pression sur les banques pour qu’elles cessent de financer l’exploration dans l’Arctique. En Afrique du Sud, une Haute Cour a annulé l’approbation d’une centrale électrique au charbon dans la province de Limpopo. Au Brésil, la communauté indigène Asháninka a obtenu une compensation pour la déforestation illégale de son territoire par une société d’exploitation forestière.
Et les actions des défenseurs ont des conséquences importantes sur le climat : la résistance autochtone aux projets de développement des énergies fossiles aux États-Unis et au Canada a permis de stopper ou de retarder près d’un quart des émissions de gaz à effet de serre annuelles de ces pays, selon un rapport publié en août dernier. De quoi pousser les gouvernements à prendre au sérieux la protection des défenseurs ?