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En dehors du préservatif, les méthodes de contraception masculine sont encore confidentielles en France. (PIERRE-ALBERT JOSSERAND / FRANCEINFO)

Alors que la contraception est désormais gratuite en France pour les femmes jusqu’à 25 ans, les méthodes destinées aux hommes restent méconnues ou balbutiantes, victimes du poids des mentalités et d’un manque d’investissements dans la recherche.

“C’est un peu comme les femmes qui portent leur soutien-gorge. On l’oublie la journée et le soir, quand on l’enlève, on se sent libéré.” Tous les matins, Guillaume, 29 ans, plonge les deux pieds dans son slip contraceptif sans se poser de question. Depuis huit mois, cet habitant de Toulouse porte, quinze heures par jour, un de ses cinq “slips chauffants”, bien qu’ils ne produisent pas de chaleur. Composé d’un anneau rattaché à un baudrier, ce dispositif neutralise la production de spermatozoïdes en remontant temporairement les testicules vers l’abdomen, ce qui les réchauffe d’environ deux degrés. A 37,5 °C, difficile d’espérer procréer.

Avec ses sous-vêtements inhabituels, ce presque trentenaire fait figure d’exception. Car en France, la contraception n’est pas vraiment une affaire de testicules. La pratique reste très majoritairement féminine : alors que la gratuité de certains contraceptifs est étendue aux femmes de 18 à 25 ans depuis le 1er janvier, pour les hommes, point d’annonce officielle. Il existe pourtant quelques techniques qui trouvent un écho favorable au sein de la génération de Guillaume, marquée par la polémique sur les pilules de troisième et quatrième générations en 2012 et plus réceptive au partage dans le couple de la contraception.

Des méthodes confidentielles

Autant le dire d’emblée, la pilule masculine est loin d’arriver en pharmacie. Une méthode hormonale existe bien en France, depuis quarante ans, sous la forme d’une injection hebdomadaire d’énanthate de testostérone dans les muscles. Mais très peu de médecins la prescrivent. Le modèle de “slip chauffant” utilisé par Guillaume n’est quant à lui pas reconnu par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ni par le ministère de la Santé. Même sort pour l’andro-switch, un anneau en silicone dans lequel on introduit sa verge et son scrotum. Mécaniquement, les testicules remontent et sont à température corporelle, ce qui bloque la production de spermatozoïdes.

Reste l’usage du préservatif et la vasectomie. Cette dernière consiste à couper ou obturer les deux canaux déférents lors d’une opération chirurgicale, ce qui empêche le passage des spermatozoïdes vers le pénis. Un délai de réflexion de quatre mois est exigé entre la demande initiale et la stérilisation, précise la Haute Autorité de santé (HAS). Elle est considérée comme “peu réversible” car une opération restauratrice reste “possible” mais son résultat est “aléatoire“, selon la HAS.

Le poids des traditions

Alors pourquoi, malgré ces possibilités, la contraception n’excite-t-elle pas les hommes ? D’abord, le poids des traditions semble encore faire peser cette charge sur les femmes. Si Guillaume, “militant et féministe“, voit dans sa démarche “un partage de la charge contraceptive” au sein de son couple, la contraception masculine n’intéresse que “15% des hommes en France”, rapporte l’Ined dans un article traitant de la contraception légale en France, publié en 2017.

Pour les autrices, chercheuses en santé publique à l’Inserm, ce déséquilibre trouve notamment ses racines dans la politique nataliste de la France, qui a connu son apogée en 1920 avec l’interdiction de la vente et de la promotion des contraceptifs. Or, malgré la loi Neuwirth autorisant la contraception, votée en 1967, et la loi Veil sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG) en 1975, des stigmates de cette politique demeurent.

D’autre part, avec la pilule et le stérilet, vendus en pharmacie et sur ordonnance, la relation patiente-médecin a pris le pas sur la discussion entre partenaires, déresponsabilisant ainsi les hommes. Conséquence : aujourd’hui, dans les cours d’éducation à la sexualité, “les jeunes femmes sont sensibilisées sur la contraception et les risques de grossesse et les jeunes hommes sur les infections sexuellement transmissibles (IST)”, déplore Erwan Taverne, cofondateur de l’association Garcon (Groupe d’action et de recherche pour la contraception) et défenseur de la méthode du “slip chauffant”.

Des réticences côté hommes… et côté médecins

Résultat, la contraception masculine reste méconnue. Selon une étude publiée dans la revue PLOS One (en anglais) en mai 2018, “seuls 10% des nouveaux pères connaissent la contraception masculine hormonale et 3% seulement la méthode thermique”. D’après les estimations de l’Association pour la recherche et le développement de la contraception masculine (Ardecom) et du site vasectomy-information.com, environ 10% des hommes ont recours à la vasectomie en Europe et aux Etats-Unis, et près de 20% au Royaume-Uni. En France, le nombre d’opérations est néanmoins passé de “1 500 en 2010 à 7 500 en 2018”, observe la docteure Jeanne Perrin, professeure de biologie à l’université Aix-Marseille et coautrice d’une étude sur le sujet publiée dans la revue Human Reproduction en 2021 (en anglais).

Les méthodes sont encore “taboues” et “très mal connues”, confirme Marianne Niosi, directrice du Planning familial, dans une interview accordée à franceinfo. “Quand on regarde médiatiquement ou même en termes de campagnes de santé publique, en fait, il existe très peu d’informations dessus”, argumente-t-elle.

Même le corps médical pèche sur le sujet. Lorsqu’il a décidé d’assurer sa contraception, Guillaume a eu du mal à trouver un médecin qui le suive dans sa démarche. “J’ai rencontré un andrologue [spécialiste des pathologies de l’appareil génital masculin], qui n’avait jamais entendu parler de ce type de contraception”, se désole le jeune homme. “Seulement 23% des gynécologues et des médecins généralistes que nous avons interrogés connaissent la contraception thermique masculine et ce taux tombe à 10% avec la contraception hormonale, souligne Jeanne Perrin. Plus de la moitié d’entre eux n’ont jamais proposé de contraception masculine et, quand il y a proposition, elle émane majoritairement des femmes praticiennes”, détaille-t-elle.

Par ailleurs, même quand elle est connue, cette pratique reste bridée par certaines idées reçues. L’angoisse de l’opération, perçue comme une expérience castratrice, plane sur la vasectomie, alors que celle-ci est réalisée en ambulatoire et généralement sous anesthésie locale.

“Les hommes ont peur de perdre leur virilité, de ne plus avoir d’érection, alors que la vasectomie ne change rien de tout cela.”

Pierre Colin, cofondateur de l’Ardecom

à franceinfo

“Nous avons une culture, chez les médecins, d’une vasectomie vue comme une mutilation. Nos pères urologues ne nous l’ont jamais enseignée. C’était interdit !”constatait en 2017 pour franceinfo Didier Legeais, président du syndicat des chirurgiens urologues français.

Parfois, les médecins sont aussi réticents à pratiquer sur de jeunes hommes une technique chirurgicale quasi irréversible, comme le docteur Antoine Faix, chirurgien urologue à Montpellier et membre de l’Association française d’urologie (AFU). “Ces hommes se présentent comme étant écoresponsables, ne voulant pas d’enfants et arguent de leur droit à bénéficier d’une vasectomie, relate le spécialiste. Je leur réponds clairement ‘non’, car ils sont jeunes et les chances de retour de leur fertilité sont faibles.” Ce refus médical peut être émis sans aucune justification lors de la première consultation, selon l’article L.2123-1 du Code de la santé publique.

Une recherche sans le sou

Si les alternatives au préservatif ne sont pas popularisées, c’est aussi parce que la recherche reste atone sur le sujet depuis un demi-siècle. La contraception masculine médicamenteuse n’existe nulle part dans le monde, il n’y a que des essais en phase un ou deux”, constate le docteur Antoine Faix.

“En termes de recherche, nous avons cinquante ans de retard, la société est plus avancée que le monde scientifique sur le sujet de la contraception masculine.”

Antoine Faix, chirurgien urologue

à franceinfo

L’une des pistes les plus avancées concerne le Vasalgel. Il s’agit d’un gel sans hormones injecté dans les canaux déférents, et qui bloque le passage des spermatozoïdes. Cette méthode ne nécessite pas d’incision et est présentée comme “moins irréversible” que la vasectomie, selon la fondation américaine Parsemus, à l’origine du projet. D’autres équipes de chercheurs planchent depuis des décennies sur des pilules masculines, sans succès pour le moment.

Or, pour développer ces projets à travers des essais cliniques, les fonds viennent à manquer. D’une part, “la recherche est de plus en plus difficile quand les enjeux ne relèvent pas de la santé publique”, remarque Antoine Faix. D’autre part, les standards de sécurité sont “bien supérieurs” à ceux des années 1970. “Aujourd’hui, les essais sont arrêtés dès que des effets secondaires tels que des troubles de l’humeur, de l’acné, une baisse de la libido apparaissent, explique la docteure Jeanne Perrin. Et puis, les laboratoires considèrent qu’il n’y a pas de marché, car il n’y a pas de demande.”

Du côté de la recherche sur les méthodes thermiques, les écueils sont les mêmes, regrette la spécialiste. Avec l’équipe du docteur Roger Mieusset, andrologue au CHU de Toulouse et père du “slip chauffant”, elle a réclamé à plusieurs reprises des financements pour tester à grande échelle ce contraceptif. “Mais à chaque fois, la réponse est la même : ‘Ce n’est pas prioritaire’.” D’où l’absence de certification et de reconnaissance par les autorités sanitaires du “slip chauffant” ou de l’andro-switch. Avec sa routine matinale, Guillaume risque bien de rester une exception.

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