Face aux tensions croissantes dans le secteur agricole martiniquais, exacerbées par des débats récents relayés par la Chambre d’agriculture, la filière canne-sucre-rhum a pris la parole lors d’une conférence de presse tenue le mardi 25 juin à Fort-de-France. Cette rencontre visait à clarifier plusieurs points de contention, notamment l’usage inapproprié du terme “exportation” pour décrire l’activité de la filière, les défis majeurs de la filière tels par exemple le réchauffement climatique, l’instabilité politique en France, et le POSEI (Programme d’Options Spécifiques à l’Éloignement et à l’Insularité).
« Il y a des propos qui se tiennent actuellement qui mettent en confrontation les différentes filières du monde agricole, nous avons opté pour une conférence de presse pour donner les bonnes informations »,
expliqua Justin Céraline, président de la SICA Canne Union.
Plusieurs éléments ont été abordés comme l’utilisation inappropriée du terme « exportation » quand il s’agit de parler de l’activité canne-sucre-rhum ou la fragilité de cette filière face aux crises globales issues du réchauffement climatique ou de l’instabilité politique que connaît actuellement la France avec la dissolution de l’Assemblée nationale. Mais le sujet central de cette conférence de presse a été le Programme d’Options spécifiques à l’Éloignement et à l’insularité (POSEI) dont les aides financières nationales et européennes, bien qu’importantes, restent insuffisantes pour le développement agricole de la Martinique, notamment pour atteindre la souveraineté alimentaire.
La filière canne-sucre-rhum n’est pas une filière d’exportation
Le président du Coderum, Charles Larcher, a mis en exergue la tendance équivoque à définir la filière canne-sucre-rhum comme une filière d’exportation : « La canne à sucre est transformée 100% en Martinique. Aujourd’hui on ne comprend pas cette volonté de dire qu’il y a des cultures pour la consommation locale et des cultures pour l’exportation. Nous sommes tous des producteurs, on veut tous développer la production locale, créer des emplois, des compétences, du savoir-faire, créer de la richesse sur l’île et on se bat tous contre l’importation ». Grâce à l’obtention de l’Appellation d’Origine Contrôlée (AOC) en 1996, érigeant le rhum agricole martiniquais comme un alcool exceptionnel, la filière canne-sucre-rhum demeure le deuxième secteur agricole le plus important après la banane. Actuellement, la filière canne-sucre-rhum représente environ 4033 hectares plantés de cannes, soit 19 % des terres cultivées, des milliers d’emplois directs et indirects ainsi que seize millions de litres de rhum blanc produit chaque année. Par ailleurs, le spiritourisme autour de nombreuses distilleries répandues harmonieusement sur l’île est un secteur florissant qui traduit aussi la synergie économique et culturelle qui émane du savoir-faire ancestral de la fabrication du sucre et de la distillation du rhum.
Réchauffement climatique, dissolution de l’Assemblée nationale, aides insuffisantes
Malgré cette embellie, la filière est aussi confrontée à plusieurs problématiques comme l’intense sècheresse résultant du réchauffement climatique qui impacte dramatiquement la production de la canne à sucre, matière première pour la fabrication du sucre et du rhum. Aujourd’hui l’emblématique sucrerie du Galion, acteur majeur de la filière, n’est pas en mesure de fournir suffisamment de cannes entraînant des problèmes financiers dans le secteur. Cela explique, entre autres, l’absence du sucre local dans les rayons des petites et grandes surfaces remplacé depuis quelque temps par celui de la Barbade. Il y a également la persistance de l’enherbement dans les plantations. « Pourquoi on n’a pas de sucre, pourquoi on a du sucre d’ailleurs ? De la Barbade ? Voilà notre réalité ! nous sommes quelque part victimes de la transition écologique, nous n’avons plus que nos ongles et nos dents pour nous battre contre l’infestation des mauvaises herbes », expliquait Justin Céraline.
Mais c’est bien autour de la répartition des aides financières du POSEI que réside la polémique qui divise aujourd’hui le monde agricole insulaire. En effet, qu’il s’agisse des filières de diversification (élevage, maraîchage, production bio, etc.) ou des filières traditionnelles comme la banane et la canne, le POSEI est aujourd’hui un programme essentiel qui à travers l’attribution d’importantes sommes d’argent, vise à améliorer la compétitivité économique et technique des filières agricoles. Cette année, l’enveloppe du POSEI pour la Martinique a été divisée entre la diversification qui a touché 23,8 millions d’euros, la canne avec 5,3 millions d’euros et la banane qui a récupéré la plus grande partie, soit 92,2 millions. Ces chiffres mettent en évidence que le POSEI bénéficie majoritairement la filière de la banane représentant environ ¾ de l’enveloppe et que les deux autres secteurs agricoles, à savoir la diversification et la canne, n’arrivent que très loin derrière. Même si cela n’a pas été évoqué lors de la conférence de presse et que l’acteur de la banane est resté fantomatique, une question logique s’impose : cette répartition est-elle juste ?
En ce qui concerne la filière canne-sucre-rhum, Charles Larcher, demande non pas une redéfinition de la répartition, mais une augmentation des sommes allouées à chaque filière. Il a souligné l’insuffisance de l’aide financière POSEI pour son secteur, représentant 5% de l’enveloppe, ce qui est largement inférieur à la surface cultivée de canne sur le territoire, à savoir 19%.
« Cette démarche d’opposition est pour nous stérile, on perd beaucoup de temps et d’énergie. Au lieu de se battre entre nous pour définir qui doit avoir le plus de POSEI, unissons-nous, ayant un avis commun et définissons ensemble ce dont nous avons besoin pour le territoire. Aujourd’hui il y a un nouveau gouvernement qui va se mettre en place et il est important que ce gouvernement sache ce que la Martinique veut. Alors, allons à Bruxelles et à Paris avec nos élus, pour demander plus de POSEI pour l’ensemble de l’agriculture martiniquaise. »
Non à la gestion locale du POSEI
Un autre point abordé est la possibilité de la territorialisation du POSEI à laquelle la filière canne-sucre-rhum n’est pas favorable. En effet, depuis que la CTM a récupéré les fonds européens FEADER attribués aux Producteurs en Région Ultra-marine (PRU) les délais d’instruction et de paiement semblent s’être dégradés pouvant atteindre parfois jusqu’à 4 ans d’attente.
« Quels acteurs économiques accepteraient de se retrouver avec des aides différées de 3 à 4 ans pour son développement ? Notre position sur la territorialisation est très claire. On ne veut pas de gestion locale du POSEI car cela entraînerait des financements qui arriveraient beaucoup trop tard et qui paralyseraient les entreprises »,
déclara Charles Larcher.
Pour clôturer cette conférence de presse, en tant qu’agriculteur de canne, également impliqué dans l’agriculture de diversification, Justin Céraline a appelé à la sagesse collective des agriculteurs et agricultrices martiniquais.e.s :
« Essayons de réunir l’ensemble des profils pour avoir une ambiance saine, une ambiance d’avenir et de production. Une entraide. Voilà une philosophie que nous avons dans la filière canne-sucre-rhum et que nous souhaiterions que les autres filières agricoles adoptent. Je souhaite dans ce sens insister à travers de cette conférence de presse sur l’importance de l’unité des agriculteurs martiniquais ».
Sara Candela