Le 13 juin 2020, deux semaines après la mort de George Floyd, une employée de supermarché de 25 ans a été tuée par un policier dans une petite ville du Missouri. Elle n’avait pas obéi aux consignes du policier qui avait stoppé son véhicule. Il a dit qu’elle l’avait menacée, mais aucune arme n’a été retrouvée sur elle. En pleine vague de manifestations Black Lives Matter, le cas d’Hannah Fizer, qui est blanche, n’a pas été très médiatisé et a été peu mentionné sur les réseaux sociaux.

Il y a eu des défilés dans sa ville, mais le policier n’a pour l’instant pas été inculpé. Dans le contexte du mouvement antiraciste actuel, les violences policières sont pensées sous un angle presque exclusivement racial, et ce sont souvent les médias de droite qui parlent des victimes blanches pour tenter de discréditer Black Lives Matter.

Différences de classes, le silence radio

Dans la revue Dissent, deux universitaires évoquaient aussi le cas de Fizer pour pointer les problèmes du discours sur le «privilège blanc» dans un contexte où la classe ouvrière dans son ensemble aux États-Unis est affectée par des «niveaux d’inégalité obscène.» L’article évoque notamment la baisse de l’espérance de vie de la population blanche non diplômée causée par les suicides, l’addiction aux opiacés et les problèmes de santé liés à l’alcoolisme (ce que deux économistes ont appelé les «morts de désespoir»). «La rhétorique du privilège blanc se moque de ce problème et aliène les personnes qui pourraient être convaincues», écrivent Barbara Fields et Adam Rothman.

Barbara Fields, historienne afro-américaine, a publié en 2012 un ouvrage qui critique la façon dont les progressistes américains ont remplacé le discours sur les inégalités de classe par un discours sur les «relations raciales».

De son côté, le politologue Cedric Johnson évoque la façon dont les grandes entreprises adhèrent au message Black Lives Matter pour se donner une image progressiste tout en évitant les questions qui fâchent, comme la syndicalisation des employé·es ou l’augmentation des salaires. Il s’agit pour lui d’une forme de «blackwashing», soit «l’adoption de slogans, mantras et de l’éthique de l’antiracisme d’une façon qui ne menace pas le système d’exploitation en place».

La classe ouvrière dans son ensemble aux États-Unis est affectée par des «niveaux d’inégalité obscène».

Le passage sous silence des différences de classe vire parfois à l’absurde, comme lorsque le PDG afro-américain de la compagnie pharmaceutique Merck, Kenneth Frazier, a publié un communiqué de soutien aux manifestations dans lequel il écrit qu’en tant que Noir, il aurait pu être George Floyd: «L’idée que cela pourrait arriver à Frazier est complètement fausse», écrit Cedric Johnson. «Sauf si vous connaissez quelqu’un qui possède 76 millions de dollars en actions qui a été étouffé à mort par la police.»

Mais dans le contexte actuel, la division entre les individus noirs et blancs est souvent présentée hors contexte social, comme si toute personne racisée était d’office opprimée, même si millionnaire.

Un prisme racial contre-productif

L‘historien Touré Reed, auteur d’un livre qui remet en question la réduction des inégalités à la question raciale, pointe les limites de ce discours:

«Le mouvement Black Lives Matter n’est pas homogène, mais il est clair qu’au sein du mouvement, beaucoup considèrent que les disparités entre Noirs et Blancs en termes de violences policières et d’incarcération prouvent que le racisme est le problème central. Du coup, ils sont nombreux à voir l’analyse de classe comme une façon d’ignorer la question du racisme, et même parfois comme un discours du style “all lives matter“.» Soit, toutes les vies sont importantes –un slogan utilisé par les pro-Trump.

 

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