Il est possible d’agir au niveau fédéral, mais pas de prendre des mesures nationales. | Navy Medicine via Flickr

 

Théo Laubry  et Sébastien Natroll Pour Slate

 

Les autorités fédérales se reposent sur les employeurs pour faire progresser la couverture vaccinale.

 

 

Confrontés à une nouvelle vague de contamination Covid-19 à cause du variant Delta et à un ralentissement de la campagne de vaccination, les États-Unis semblent dans une impasse. Les différents dispositifs mis en place pour inciter les Américains non vaccinés à franchir le pas montrent leurs limites, et la frustration se fait sentir chez ceux ayant reçu les doses nécessaires. Comme en Europe, la pression monte et la thématique de l’obligation vaccinale commence à s’immiscer dans le débat public.

Depuis mi-juillet, plusieurs voix s’élèvent pour demander aux responsables politiques de prendre des mesures plus contraignantes afin d’accroître la couverture vaccinale aux États-Unis. Contrairement à l’exécutif français, l’administration américaine n’a pas la capacité d’imposer le pass sanitaire à l’ensemble de la population. Jen Psaki, porte-parole de la Maison-Blanche, s’est exprimée à ce sujet le 23 juillet dernier en conférence de presse: «Ce n’est pas le rôle du gouvernement fédéral mais celui des institutions, organisations privées et des collectivités locales.»

Les initiatives et les mesures se multiplient donc aux quatre coins du pays, principalement dans les zones dirigées par les Démocrates. À n’en pas douter, les débats à ce sujet vont se multiplier dans les semaines à venir. Dans un pays profondément divisé, où la désinformation sévit de plein fouet et où le refus de vaccination s’assimile parfois à un acte politique, le risque d’un nombre insuffisant de personnes vaccinées, qui mettrait en danger l’ensemble de la population, est grand.

 

Une Amérique à deux vitesses

Bien que la campagne de vaccination se soit correctement déroulée jusqu’ici, le plafond de verre s’approche et les disparités entre les territoires s’accroissent. Désormais, la carte du taux de couverture vaccinale se confond avec celle du collège électoral de 2020. L’Amérique rouge, républicaine et trumpiste, est dans l’ensemble très en retard sur l’Amérique bleue, démocrate. En Alabama, moins de 35% de la population est entièrement vaccinée, quand c’est plus de 68% au Vermont. Dans certains États comme le Nouveau-Mexique, le pourcentage de personnes vaccinées correspond presque au pourcentage de vote pour Joe Biden lors de l’élection présidentielle.

Depuis le début de la crise sanitaire, la partisanerie empoisonne la lutte contre le Covid-19 aux États-Unis. Cette situation est pourtant paradoxale en ce qui concerne la vaccination: les vaccins ont été développés durant le mandat de Donald Trump, et ce dernier, qui s’est fait vacciner en douce à la Maison-Blanche début janvier, les qualifie de «Trumpcins». Pas suffisant pour convaincre une majorité de ses supporters de passer à l’acte, et pour cause. Une récente étude de l’institut Gallup indique une chute alarmante du pourcentage des électeurs républicains ayant confiance en la science: celui-ci a chuté de 30 points entre 1975 et 2021.

«Les maladies et les décès qui surviendront dans les mois prochains risquent d’aggraver les inégalités déjà extrêmes du pays.»

David Leonhardt, journaliste au New York Times

Mais l’orientation politique n’est pas le seul critère à prendre en compte pour analyser la fracture vaccinale. Pour David Leonhardt, journaliste au New York Times, l’élément central qui détermine l’acceptation ou le refus de la vaccination est le niveau d’étude. En s’appuyant sur les données de la Kaiser Family Foundation, il met en évidence une importante corrélation entre les deux. Les pourcentages passent parfois du simple au double selon le niveau d’étude des personnes interrogées, quelle que soit leur affiliation politique ou ethnique.

En mai dernier, Leonhardt tirait la sonnette d’alarme: «Les maladies et les décès qui surviendront dans les mois prochains risquent d’aggraver les inégalités déjà extrêmes du pays.» L’urgence sanitaire ne permettant malheureusement pas de mettre en place une pédagogie au cas par cas, longue et à l’issue incertaine, la contrainte vaccinale est désormais envisagée pour sortir de l’ornière et ne pas creuser davantage les inégalités.

Mise en place locale

Quand le corps médical réclame l’obligation vaccinale pour le personnel soignant, l’imposant Département des Anciens Combattants lui emboîte le pas. D’une côte à l’autre, l’idée fait aussi son chemin: la ville de New York et l’État californien viennent d’annoncer que la vaccination contre le Covid-19 serait désormais une obligation pour l’ensemble de leurs employés. Une option également retenue par le président Biden pour l’ensemble du personnel fédéral.

 

Aux États-Unis, la question de la vaccination obligatoire est d’abord une question étatique: en 1905, alors que la variole faisait des ravages, la Cour suprême fédérale avait affirmé dans l’affaire Jacobson contre le Massachusettsque la vaccination avait une «relation réelle et substantielle avec la préservation de la santé publique», validant l’obligation de vaccination des personnes âgées de 21 ans et plus dans l’État du Massachusetts.

Dix-sept plus tard, dans l’affaire Zucht contre King, la Cour a réaffirmé l’arrêt Jacobson par la voix du juge Brandeis, confirmant une ordonnance de la ville de San Antonio (Texas) qui imposait la vaccination à tout enfant fréquentant l’école publique: «Il relève du pouvoir de police d’un État de prévoir une vaccination obligatoire. Cette affaire et d’autres ont également établi qu’un État peut, conformément à la Constitution fédérale, déléguer à une municipalité le pouvoir de déterminer dans quelles conditions les règlements sanitaires doivent entrer en vigueur.»

Rien n’interdit à un employeur d’imposer la vaccination à ses salariés.

Si, pour l’instant, aucun État n’a imposé la vaccination de sa population, les autorités fédérales se reposent sur les employeurs pour faire progresser la couverture vaccinale. En effet, l’Equal Employment Opportunity Commission (EEOC) rappelle que rien n’interdit à un employeur d’imposer la vaccination à ses salariés, en veillant toutefois à être en conformité avec les dispositions de l’Americans with Disabilities Act (une situation de handicap qui serait contre-indicative à la vaccination) et avec le titre 7 de la loi pour les droits civiques de 1964 (notamment une situation de grossesse ou une exemption religieuse).

Néanmoins, rappelle l’EEOC, ce régime d’exception ne saurait constituer une contrainte excessive pour l’employeur. De la même manière, en dépit des dispositions de l’Americans with Disabilities Act, l’employeur peut se séparer d’un ou une salariée s’il existe un risque de «menace directe», ce qui correspond, selon la définition légale, à «un risque important de préjudice substantiel pour la santé ou la sécurité de la personne ou d’autres personnes, qui ne peut être éliminé ou réduit par des aménagements raisonnables».

Ce choix de recourir au licenciement fut celui du Houston Methodist Hospital, qui avait contraint son personnel soignant à se faire vacciner: l’opposition de 117 des 26.000 salariés s’était traduite par un recours en justice, la partie plaignante estimant être l’objet d’une «expérimentation» et qu’une obligation serait «contraire au code de Nuremberg». Un recours rejeté par le juge fédéral Lynn Hughes.

 

Une obligation vaccinale généralisée est-elle envisageable?

Sur le plan fédéral, bien que l’administration Biden ait opté pour le recours à l’obligation vaccinale en ce qui concerne son personnel, elle écarte l’idée d’une obligation généralisée. Cette pusillanimité s’explique avant tout par les particularités propres au système fédéral américain. Le Congrès ne peut agir que dans le cadre des prérogatives énumérées qui sont celles prévues à l’Article I, section 8 de la Constitution. Or, en la matière, sa marge de manœuvre est pour le moins limitée.

Sur cette question, seules deux clauses semblent pouvoir lui permettre d’agir: la Spending Clause et la Commerce Clause. La première autorise le Congrès à recourir à des incitations financières. À titre d’exemple, la Cour suprême avait validé l’octroi de crédits fédéraux destinés au financement des autoroutes aux États relevant l’âge minimum requis pour la consommation d’alcool à 21 ans (affaire South Dakota contre Dole, 1987). La seconde clause, tout aussi élastique, autorise le Congrès à agir sur tout ce qui a trait au commerce inter-États.

«La Constitution demande de faire la distinction entre ce qui est véritablement national et ce qui est véritablement local.»

Le juge en chef WIlliam Rehnquist

Cependant, en dépit de son élasticité, cette clause ne saurait contraindre les individus à participer à une «activité commerciale» (en l’occurrence, dans la décision NFIB contre Sebelius de 2012, souscrire à une assurance santé). De la même manière, l’octroi de crédits fédéraux ne saurait, selon la Cour, «devenir contraignante». Une contrainte qui mettrait en péril la constitutionnalité d’une éventuelle législation en vertu du 10e amendement, lequel veille à garantir que les pouvoirs n’étant pas expressément délégués au Congrès soient exclusivement accordés aux États.

 

L’interprétation qui fut celle de la Cour suprême dans deux décisions majeures (New York contre les États-Unis en 1992 et Printz contre les États-Unis en 1997) proscrit l’usage de mesures coercitives: ainsi, dans le dossier Printz, le juge Antonin Scalia a conclu que «le gouvernement fédéral ne peut ni émettre des directives exigeant des États qu’ils s’attaquent à des problèmes particuliers, ni ordonner aux agents des États, ou à ceux de leurs subdivisions politiques, d’adopter ou d’appliquer un programme réglementaire fédéral».

En 2000, le juge en chef William Rehnquist disait que «la Constitution demande de faire la distinction entre ce qui est véritablement national et ce qui est véritablement local». Il semblerait que, même face à une pandémie mondiale, la question de la vaccination soit «véritablement locale».

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