par Frédéric Farah

Le mois de juin depuis des décennies est marqué par le rituel du bac. Nous gardons tous en mémoire les images de ces candidats quelque peu angoissés par les épreuves de fin d’année, qui sanctionnent leur passage vers les études supérieures.

Depuis la réforme Blanquer du lycée menée au pas de charge et faisant fi des contestations et des avis académiques défavorables, le bac comme on l’a connu appartient au passé. Il est devenu un cocktail assez indigeste et difficile à mettre en œuvre d’épreuves en contrôle continu et finales.

Cette malheureuse réforme a trouvé moyen de s’appliquer au cœur de la pandémie et des confinements successifs, rendant le travail des professeurs et des élèves presque impossible. La machine éducative a été soumise à des embardées régulières, tant la politique du ministère a brillé par sa confusion et ses approximations.

Les épreuves dites de spécialité ont été ramenées à du contrôle continu hormis pour une catégorie de candidats dits libres. Parmi les spécialités se trouvent les Sciences économiques et sociales. La matière a fait l’objet d’une réforme de ses programmes et de ses volumes horaires, dix ans après la réforme Chatel. Au fil du temps, l’instabilité éducative est ainsi devenue la règle du collège au lycée.

Le sujet retenu «Vous montrerez que des politiques de flexibilisation du marché du travail permettent de lutter contre le chômage structurel » a suscité l’émoi de l’association des professeurs de sciences économiques et sociales (APSES). La sénatrice M-N Lienemann a même interpellé le ministre de l’Éducation sur cette question.

Le sujet pose un double problème. Le premier est lié à sa formulation qui ne se prête pas au débat comme celle d’autrefois lorsqu’il était énoncé « Dans quelle mesure peut-on affirmer » ou encore « Peut-on dire que ». Ici l’argumentation devait être unilatérale sinon le hors sujet était inévitable.

Pour s’assurer d’une caporalisation réussie, les documents qui accompagnaient le sujet, car la dissertation dans le secondaire s’appuie sur un corpus documentaire, étaient à charge, hormis l’un d’entre eux plus nuancé relatif au SMIC.

En somme, ce qui était attendu du candidat était assez simple : il leur fallait écrire que le salaire minimum était source de chômage structurel autrement dit insensible à la conjoncture, et que le marché du travail était rigide et qu’il ne permettait pas un ajustement satisfaisant par les prix. En somme, le Code du travail comme ennemi de l’emploi était tout désigné sans hésitation. Il n’y avait donc pas de place au débat.

Et quand bien même le sujet du lendemain «vous montrerez que les politiques de soutien de la demande globale peuvent permettre de lutter contre le chômage » semblait faire contrepoids, le même vice pouvait apparaître à nouveau puisqu’aucun contrepoint n’est possible.

Ce biais est inhérent à la réforme des programmes de Sciences économiques et sociales de mettre fin au débat dans le sujet, rendant dès lors la confrontation des thèses impossible.

Ce choix ne peut surprendre si l’on connaît les vicissitudes que cette matière rencontre depuis presque quarante ans. Le patronat conduit par des figures importantes comme M. Pebereau, appuyé par des relais universitaires n’a eu de cesse de critiquer cette discipline en lui intentant le procès de ne pas faire aimer l’entreprise aux élèves, de livrer un point de vue critique sur le capitalisme. Les réformes Chatel, puis Blanquer ont rendu possible la modification des programmes et de l’esprit même de la discipline. Selon nous, une véritable mise au pas de celle-ci a été organisée[1]. Désormais règnent très largement sur la discipline un encyclopédisme inutile et une orientation très largement orthodoxe en matière économique.

Le second problème que pose le sujet est d’induire un biais épistémologique fort. Entendre comme une évidence que la flexibilité du marché du travail conduirait à une réduction du chômage structurel est plus que contestable.

La science économique n’a établi aucun consensus sur le sujet et même la très libérale OCDE qui recommandait à l’ensemble des nations la mise en œuvre de la flexibilité comme réponse au chômage en 1994 est revenue sur ses préconisations en 2004 en se montrant moins certaine sur le sujet. La flexibilité peut faciliter l’ajustement entre l’offre et la demande, mais n’est pas le principal levier de création d’emplois et de réduction du chômage, ce qui paraît plus robuste comme facteur positif pour l’emploi reste la croissance économique.

D’autre part la séparation entre chômage conjoncturel et structurel est sujette à caution. En effet lors d’une crise, logique conjoncturelle, ce sont les salariés plus jeunes, moins qualifiés qui sont plus grandement exposés à ce risque social. Si le chômage se prolonge, il devient alors structurel, car la perte de compétences, les mois loin de l’emploi peuvent être fatals pour certains. Ce chômage structurel trouve donc son origine dans du conjoncturel qui va se sédimenter. La flexibilité ne changera rien à leur situation si ce n’est de conduire à des emplois dégradés, de courte durée.

Le SMIC comme facteur de chômage est une thèse très largement discutable et les exonérations sur les bas salaires depuis 1993 ont enrayé la destruction d’emplois peu qualifiés et ont au contraire provoqué des effets d’aubaine et des trappes à bas salaire.

Les lois El khomri ou Penicaud censées créer de l’emploi ou bien avant elle la suppression de l’autorisation administrative de licenciement en 1987 n’ont fait l’objet d’aucune évaluation sérieuse. Il est très difficile de dire combien d’emplois ont-elles préservés ou crée.

L’école est un champ essentiel de la bataille idéologique, elle reste le lieu de formation par excellence et c’est là qu’il convient de convaincre et persuader. L’orthodoxie économique l’a bien compris et le gouvernement aussi. La bataille la plus importante est celle des récits que l’on raconte. La construction européenne en est aussi un exemple flagrant de récit lénifiant et édulcoré servi aux élèves depuis tant de décennies.

Les sujets univoques dans un sens ou un autre, l’épuisement de la logique de débat argumenté et non invectivé, illustrent et aussi approfondissent la crise de la démocratie qui secoue nos nations à l’heure de la modernité tardive.

[1] Vie et mort des SES : Pour une lecture Polanyenne de la fin des SES — Nation et République sociale (nation-republique-sociale.fr) / Les sciences économiques et sociales : une discipline normale. Réponse à Frédéric Farah — Nation et République sociale (nation-republique-sociale.fr)

Source : Frédéric Farah – ELM

Partager.

Laissez votre commentaireAnnuler la réponse.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Exit mobile version