« Nous gardons le cap sur l’objectif d’autonomie en 2030, car les potentiels ENR physiques sont suffisants pour atteindre un mix électrique 100% ENR locales…C’est techniquement possible avec les technologies disponibles, MAIS cet objectif semble difficilement réalisable en 2030 au regard de la dynamique de déploiement nécessaire pour les filières ENR »

En guise de résumé, nous publions plus bas l’interview de Jean-François Mauro, directeur de l’Ademe Martinique. Sans oublier la remarque de Mme Anissa Zapata, représentante du programme Seize, de bien faire la différence entre consommation énergétique et consommation électrique. En touts cas une conférence suivie par 150 personnes enchantées.

1- Merci à nos sponsors et aux intervenants : ADEME, EDF, SMEM, SARA, AFD, SYSTEKO, Programe SEIZE… 

2- A notre Maître de conférence Pascal saffache :

3- Merci aux intervenants :

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3 – Au Public présent

4 – Aux intervenants dans le public


RENCONTRE AVEC JEAN-FRANCOIS MAURO DE L’ADEME


Généralement la transition énergétique n’est qu’une composante d’une transition plus globale qui doit s’amorcer à l’échelle du territoire. En termes de questions énergétiques, la « Loi de la transition énergétique pour la croissance verte » fixe pour les ZNI (zones non interconnectées), les îles comme les nôtres qui ne sont pas raccordées à un réseau électrique continental, une autonomie énergétique à l’horizon 2030. Pourquoi ? Comment est-ce réalisable ? Rencontre avec Jean-François Mauro, directeur de l’ADEME Martinique.

Que peut-on dire de la transition énergétique et la Martinique ?

La transition énergétique s’inscrit dans une démarche de fond qui vise à une transition plus écologique des territoires. Nous avons la chance et l’atout d’être sur une île, certes, mais cette situation insulaire nous fait aussi toucher du doigt nos « faiblesses ». Aujourd’hui, nous subissons plus fortement les effets du changement climatique qu’ailleurs, que ce soit l’érosion des littoraux, la hausse des niveaux de la mer, les événements météorologiques extrêmes et les problématiques de sécheresse année après année. Tous ces sujets reviennent (deviennent) régulièrement de plus en plus intenses. Au-delà du contexte actuel, économique et diplomatique international, il y a une vraie pression sur un certain nombre de ressources, une difficulté à s’approvisionner. Le fait d’être sur une île accroit cette dépendance. Nous devons nous interroger sur la résilience même la Martinique, bien entendu sur des questions strictement énergétiques mais on doit aller au-delà et se questionner sur nos approvisionnements, sur notre alimentation, sur un certain nombre de matériaux indispensables au bon fonctionnement du territoire.

Atteindrons-nous cet objectif d’autonomie énergétique en 2030 ?

Dans les textes, notre premier rendez-vous, notre première échéance est bien à cette date, et donc les acteurs du territoire se mobilisent depuis de nombreuses années pour être au rendez-vous. Ce qu’on peut dire aujourd’hui, c’est qu’il y a un certain nombre de travaux qui ont été réalisés, partagés par différents partenaires dont l’ADEME et qui montrent que techniquement et économiquement, cet objectif d’autonomie du territoire est possible à différentes conditions :

  • la première c’est de réduire nos consommations énergétiques en menant une politique volontaire d’’efficacité et de sobriété énergétiques, tous secteurs d’activités confondus, nous particuliers, nos logements, nos bâtiments, nos activités industrielles, nos activités agricoles, nos transports…

Nos transports et moyens déplacement représentent aujourd’hui plus des deux tiers de nos consommations énergétiques.

  • La seconde c’est d’exploiter tous les potentiels d’énergie renouvelable dont nous disposons sur le territoire. Le vent, le soleil, le sous-sol, les cours d’eau, la mer, nous offrent la possibilité de disposer d’éoliennes, d’énergie solaire, thermique ou photovoltaïque, d’exploiter la géothermie pour produire de l’électricité ; ces potentiels existent. Mais cela au prix d’un consensus technique, économique, règlementaire, social… .

Au vu de tout ce potentiel, serons-nous prêts pour cette échéance annoncée de 2030 ? Si, non, pourquoi ?

Clairement nous n’y serons pas. En effet, la pression qui s’exercerait, le rythme qui serait demandé aux opérateurs du territoire pour déployer cette production d’énergie renouvelable n’est aujourd’hui pas soutenable. Nous ne disposons pas de suffisamment d’entreprises et de main-d’œuvre pour cela !

Cette autonomie énergétique est cependant possible à plus long terme :

  • Sans négliger le transport et la mobilité, avec un recours significatif aux nouvelles motorisations, électrique et hydrogène; ce qu’il faut bien comprendre c’est que le véhicule du futur n’est pas un véhicule, mais bien un service de mobilité partagée : transports en commun routier et maritime, covoiturage et auto-stop organisé, autopartage, vélo notamment du vélo à assistance électrique, etc.
  • Avec un vrai engagement et prise de conscience de tous les acteurs du territoire, les acteurs institutionnels, les collectivités, l’Etat, les opérateurs, du citoyen au chef d’entreprise en passant par l’agriculteur. Il faut vraiment que toutes les composantes du territoire prennent conscience de la sensibilité de celui-ci au changement climatique, de sa fragilité au travers de cette dépendance à une énergie qui aujourd’hui est encore pour près de 90% importée.

Finalement beaucoup de voyants sont au vert ; reste que ce chemin n’est pas si simple que cela.

« Œuvrer ensemble en associant nos forces tout en gommant nos faiblesses respectives »

Quelles sont les principales actions menées par l’Ademe en ce sens de « prise de conscience » ?

L’ADEME est un acteur parmi d’autres et l’intelligence sur ce territoire a été, et est toujours, de  réunir les acteurs autour de la table, d’essayer d’œuvrer ensemble en associant nos forces et en gommant nos faiblesses respectives. Depuis 2016 il existe en Martinique un programme qui s’appelle PTME (Programme Territorial de Maîtrise de l’Énergie) – dont l’Ademe fait office de secrétariat – qui associe la Collectivité Territoriale, l’ADEME, l’Etat, le SMEM, EDF et dernièrement l’AFD (l’Agence Française de Développement).

Ces acteurs partagent tous ces objectifs de transition, et mettent leurs moyens financiers et leurs expertises au service de cette transition du territoire. Au sein du PTME nous accompagnons des projets de production d’énergie à partir d’énergie renouvelable, finançons ou cofinançons des projets de maîtrise de demande en énergie (MDE) à la fois dans le bâtiment, dans les activités industrielles, dans les transports. Chacun porte sa pierre à l’édifice.

Les actions les plus visibles vis-à-vis du grand public sont les campagnes portées par EDF pour le compte de l’Etat et du PTME, en faveur des ménages et des particuliers, dans le cadre du programme Agir Plus, où les particuliers ont la possibilité de bénéficier de conditions avantageuses pour l’achat d’équipements et d’électroménager performants, d’ampoules Led et bien entendu pour leurs travaux en termes d’isolation thermique de toitures ou de façades, ou de changement éventuellement des ouvrants, les recours aux brasseurs d’air, sur la production d’eau chaude solaire…

L’idée est bien là, d’un côté la maîtrise de la demande et de l’autre la production énergétique renouvelable.

Ces campagnes concernent aussi bien les particuliers que les entreprises qui peuvent, sur leurs besoins en chaud ou en froid sur leur process, sur l’efficacité énergétique de leurs bâtiments ou équipements, bénéficier d’aides.

Vous parlez d’aides Ademe ou d’Edf, mais en fait ce sont les aides du PTME ?

C’est écrit comme cela dans les textes ! Il faut savoir que le PTME est présidé par la Collectivité territoriale et son président M. Serge Letchimy. Son secrétariat, donc sa gestion du quotidien, la porte d’entrée au PTME, est confiée à l’ADEME, mais les aides du PTME sollicitent indifféremment des financements qui peuvent venir de la CTM, de l’ADEME, d’EDF, du SMEM, voire de l’Europe quelques fois. Ce qui est intéressant en termes d’aides, c’est qu’il y a d’un côté des acteurs institutionnels et la collectivité (CTM) qui interviennent en subvention, et un acteur privé, EDF qui, lui, apporte des aides qui ne sont pas comptabilisées dans le plafond des aides publiques. C’est-à-dire que ces aides EDF viennent se surajouter à toutes les aides publiques qui peuvent être apportées par les collectivités et par l’ADEME. C’est intéressant parce que cela permet quelquefois d’aller au-delà de ce que la force publique peut amener.

« Prendre la « température » du territoire, ce qui anime l’anime, le motive, quelles sont les attentes de chacun pour l’intégrer dans des réflexions plus globales. »

Qu’en est-il ressorti de la récente concertation PPE d’octobre dernier à la CTM ?

Le processus de révision de la PPE est lancé ! Il s’inscrit dans un cycle de douze mois qui va nous amener à fin 2023. Cette 1ère partie constitue une révision technique et économique. S’en suivra tout un processus de validation à la fois par les instances locales puis au sein des ministères et vis-à-vis de la CRE (Commission de Régulation de l’Énergie) à Paris, de juin à fin 2023. Ce qu’il faut garder à l’esprit c’est que, même si la PPE est en phase de révision périodique, elle continue à vivre. D’abord parce qu’elle est suivie et évaluée grâce à l’Observatoire Territorial de la Transition Énergétique et Écologique de Martinique*, et aussi grâce à notre comité d’audition des porteurs de projets. L’idée de ce comité est que les porteurs de projets « relativement matures » les présentent en un même lieu, en un même moment à tous les acteurs du territoire. Ce qui permet à chacun d’avoir un même niveau d’informations, que les discours des uns et des autres soit le même et qu’ensemble nous puissions questionner ces porteurs de projets.

* Cet observatoire, créé par la CTM et l’ADEME, produit un bilan territorial de l’énergie et des gaz à effet de serre chaque année, avec des indicateurs qui montrent quel est l’effet des politiques publiques sur ces sujets de transition.

Cette révision de la PPE en cours nous permettra d’envisager deux échéances, 2028 et 2033. Sur chacune d’elles, nous débattrons sur « Comment se positionner ? Comment le mix énergétique va devoir évoluer ? Comment faire des efforts sur nos consommations ? En un terme : EVALUER.

« …la seule solution ne viendra pas seulement de l’électro mobilité, de nos véhicules électriques. Il faut qu’il y ait un déploiement harmonieux de ces véhicules électriques, en phase avec le taux de pénétration des ENR dans le mix électrique »

Qu’en est-il alors ressorti de la première PPE ? Des solutions pour la suivante et pour la Martinique ?

Elle avait été élaborée dans un temps relativement contraint et nous avions le regret notamment sur les impacts économiques et sociaux comme sur le volet « Transports », qui est un volet extrêmement complexe, de n’être pas allés assez loin. A travers cette révision nous renforcerons nos réflexions à ce sujet et avec des objectifs plus précis sur ces questions car la seule solution ne viendra pas seulement de l’électro-mobilité, de nos véhicules électriques. Certes c’est un gros enjeu, mais aujourd’hui cela ne résoudra pas toutes les problématiques de transports, d’embouteillage et d’émissions polluantes. D’abord parce que pour alimenter ces véhicules électriques à l’heure où on se parle, l’électricité n’est produite que par 25% d’énergie renouvelable : sur les 75% restants ce sont les centrales d’EDF qui tournent au fuel qui produisent cette électricité. Finalement on ne ferait que déporter la consommation d’essence et la pollution de nos véhicules vers les centrales. Il faut qu’il y ait un déploiement harmonieux de ces véhicules électriques, en phase avec le taux de pénétration des ENR dans le mix électrique qui augmente d’autant. Il faut rappeler aussi que remplacer un véhicule thermique par un véhicule électrique ne résoudra pas nos problèmes d’embouteillages, de plus en plus difficiles à supporter tous les matins et soirs sur les routes de Martinique.

Le véhicule électrique c’est une solution technologique mais il y a d’autres filières qu’il ne faut pas négliger, l’hydrogène notamment. Il y a des initiatives locales, il faut les saluer, les regarder de près, les accompagner le cas échéant. L’hydrogène ça a sûrement du sens sur le territoire pour les moyens de transport lourds ; on peut penser au TCSP, au transport maritime, aux bennes à ordures ménagères. Cela mérite d’y être attentif, pour ne pas mettre « tous ses œufs dans un même panier ».

Au-delà de ces solutions techniques, il y a la question de l’offre, des services, de l’organisation du transport et de la mobilité, comment contribue-t-on à diversifier l’offre de transport en allant plus loin dans le transport collectif, le transport maritime, en faisant émerger peut-être de nouveaux services de co-voiturage, d’auto partage, il y a toute la question de déplacement en mode doux. Bien entendu le relief de l’île est plus escarpé qu’à Paris mais pour autant il y a quand même des endroits dans l’hyper-centre de Fort-de-France, au Lamentin à Sainte-Anne ou ailleurs, où on peut développer la pratique du vélo, du vélo à assistance électrique, de la trottinette.

7 communes de Martinique sont lauréates, d’un appel à projet national qui vise à mettre en place des infrastructures afin de faciliter l’accueil et la circulation des vélos (nous communiquerons le moment venu sur ces initiatives). Le territoire Martinique a donc des atouts mais aussi des contraintes, il faut les intégrer. Il est relativement petit, le relief est escarpé, il y a une vraie pression sur le foncier. Il faut pouvoir dans un même temps nourrir et loger la population, avoir une production agricole, avoir une production industrielle, faire des énergies quasiment aux mêmes endroits ; forcément ça exige des arbitrages mais nos travaux montrent que sous conditions on devrait être au rendez-vous. Nous gardons restons le cap sur l’objectif d’autonomie en 2030, c’est l’ambition, même si nous sommes aussi conscients de la difficulté de l’exercice.

« Pour moi, c’est le caractère d’urgence, c’est-à-dire qu’aujourd’hui on ne peut plus nier les faits, les impacts, on ne peut plus se dire que ça peut attendre, c’est maintenant qu’il faut agir dans une logique d’intérêt général en dépassant les clivages partisans. »

Que voudriez-vous rajouter sur l’énergie et sur la transition énergétique à la Martinique ?

Pour moi c’est le caractère d’urgence, c’est-à-dire qu’aujourd’hui on ne peut plus nier les faits, les impacts, on ne peut plus se dire que ça peut attendre. Il est enfin temps que tout le monde en prenne conscience et qu’on se mette collectivement en action. Aujourd’hui le contexte, qu’il soit climatique, économique, diplomatique, même s’il a des effets terribles (et on pense notamment aux territoires où c’est extrêmement douloureux) est révélateur d’un avenir qui peut nous attendre et donc l’action c’est maintenant qu’il faut l’entreprendre dans une logique d’intérêt général en dépassant les clivages partisans. L’Ademe est au service de la population de Martinique et c’est bien là l’essentiel, donc c’est essayer de dépasser ces clivages militants ou les idées préconçues et se dire « maintenant retroussons-nous les manches collectivement et engageons-nous ! ». J’aurais tendance à dire que certes il y a des nuances mais que la voie est tracée et que maintenant il est temps de l’emprunter et d’accélérer.

Propos recueillis par Philippe Pied

 

 

 

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