Les propos du président de la Conférence des évêques de France, Eric de Moulins-Beaufort, sur le secret confessionnel « plus fort que les lois de la République » ont suscité un tollé. Explications sur ce que dit la loi française. 

Par Gary Dagorn,  Romain Geoffroy et  Assma Maad

Le Monde

Pour Eric de Moulins-Beaufort, le secret confessionnel est « plus fort que les lois de la République ».
Pour Eric de Moulins-Beaufort, le secret confessionnel est « plus fort que les lois de la République ». DPA / PHOTONONSTOP

Interrogé sur Franceinfo, mercredi 6 octobre, au lendemain de la publication du rapport accablant de la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise catholique (Ciase), le président de la Conférence des évêques de France (CEF), Eric de Moulins-Beaufort, a déclaré que « le secret de la confession s’impose à nous et il est plus fort que les lois de la République ».

Face au tollé suscité par ses propos, Mgr de Moulins-Beaufort a précisé que « le secret de la confession a toujours été respecté par la République française » et que « le droit canonique qui impose aux prêtres le secret de la confession absolue et inviolable n’est pas contraire au droit pénal français ».

Selon le droit canonique, propre à l’Eglise catholique, le « secret sacramentel est inviolable ; c’est pourquoi il est absolument interdit au confesseur de trahir en quoi que ce soit un pénitent, par des paroles ou d’une autre manière, et pour quelque cause que ce soit ». L’Eglise considère en effet que le pénitent s’adresse directement à Dieu et non pas au prêtre. Ce droit canonique n’a, en revanche, pas valeur légale en France.

Les hommes d’Eglise sont-ils légalement tenus, tels des médecins ou avocats, au secret professionnel ? Si oui, sont-ils contraints de signaler à la justice des violences sexuelles ?

  • La loi sanctionne la non-dénonciation de certains crimes et délits

Tout d’abord, il est exact de dire que la loi française punit la non-dénonciation aux autorités judiciaires de certains crimes et délits.

Ainsi, l’article 434-3 du code pénal dispose que le fait, « pour quiconque ayant connaissance de privations, de mauvais traitements ou d’agressions ou atteintes sexuelles » envers des personnes vulnérables, de ne pas informer les autorités tant que les infractions n’ont pas cessé est puni de trois ans d’emprisonnement. Cela concerne les sévices infligés à deux catégories de personnes :

  • des mineurs (la peine est aggravée à cinq ans pour les moins de 15 ans) ;
  • des personnes incapables de se protéger en raison de leur âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique ou d’un état de grossesse.

Ce même article du code pénal précise néanmoins que des exceptions sont prévues, notamment pour les personnes… astreintes au secret.

  • Une exception pour les personnes astreintes au secret, dont les prêtres

En effet, l’article 226-13 du code pénal précise même que la révélation d’une « information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire », est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

Cela concerne donc les personnes astreintes au secret professionnel (comme les avocats ou les notaires, par exemple) ou au secret médical (médecins, infirmières). Il s’applique également aux ecclésiastiques, le secret de la confession étant assimilé à un secret professionnel.

« On considère qu’il y a trois secrets qui sont plus sacrés que les autres : médecin, avocat et prêtre, secret de la confession, secret médical, et secret professionnel de l’avocat », confirme au Monde Jean Boudot, avocat au barreau de Marseille et qui fut l’un des avocats des parties civiles lors du procès Barbarin« Ce secret a été reconnu par la Cour de cassation depuis 1891 » et a été confirmé en 1977.

  • La non-assistance à personne en danger s’applique-t-elle ?

Le sujet est d’autant plus complexe que la loi (article 223-6 du code pénal) punit également le fait de s’abstenir volontairement d’empêcher « par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l’intégrité corporelle de la personne ».

Un article qui peut être interprété comme faisant peser une obligation d’intervention sur des religieux prenant connaissance de violences sexuelles de la part de leurs collègues ou subordonnés. Mais plusieurs éléments doivent être précisés :

  • la personne ayant pris connaissance des faits passés doit avoir les éléments qui lui démontrent qu’il y a une forte probabilité de récidive ;
  • son intervention n’est pas nécessairement un signalement à la justice.

Sans jurisprudence claire de la part des juges, la contradiction entre cet article de loi et celui garantissant le secret professionnel ne permet pas de conclure lequel s’impose à l’autre, d’autant que les circonstances de chaque cas doivent être prises en compte. « La non-clarté [de ces articles] permet toutes les interprétations et tous les débats, explique Me Boudot, il peut y avoir très légitimement un débat sur la question. » Michelle Meunier, sénatrice de Loire-Atlantique (PS), et corapporteuse en 2020 d’un rapport d’information sur l’obligation de signalement par les professionnels astreints à un secret des violences commises sur les mineurs, abonde dans le même sens :

« La législation actuelle, qui articule l’exercice du secret de la confession et l’obligation de signalement des violences commises à l’égard des enfants qui doit s’imposer à tous les adultes, est floue ; son interprétation prête à débat. »

  • Mais la loi protège les prêtres qui souhaitent dénoncer des faits

Cependant, la loi prévoit (article 226-14 du code pénal) quelques exceptions à la violation du secret professionnel. Ainsi, la révélation d’une information soumise à un secret n’est pas punie si elle concerne des privations ou des sévices, y compris des atteintes ou mutilations sexuelles, infligées à un mineur ou à une personne vulnérable hors d’état de se protéger.

En résumé, un prêtre qui voudrait révéler des infractions d’atteintes sexuelles sur mineur entendues lors d’une confession a la possibilité de le faire et n’encourt alors aucune poursuite. Mais cette faculté n’est pas une obligation, car l’article qui punit la non-dénonciation de crimes et délits exclut très clairement les personnes astreintes au secret.

Ce texte laisse aux ecclésiastiques la possibilité de lever le secret confessionnel tout en précisant qu’il ne s’agit aucunement d’une obligation. Une circulaire du ministère de la justice de 2004 explique en ce sens que l’absence de dénonciation de cas d’agressions sexuelles envers un mineur de moins de 15 ans ou une personne vulnérable ne « saurait être sanctionnée pénalement », et qu’elle « ne peut être analysée que comme une simple faculté, laissée à la discrétion du débiteur du secret, et non comme une obligation ».

En revanche, si un homme d’Eglise prend connaissance de tels faits dans des circonstances autres qu’une confession ou qu’une confidence, le secret professionnel ne s’applique pas, et la loi le contraint alors à les signaler. Confession et confidence étant définies ici comme des informations volontairement partagées au prêtre dans le but d’être couvert par le secret.

C’est pour cette raison que l’évêque de Bayeux a été condamné par le tribunal correctionnel de Caen en 2001 pour non-dénonciation des actes pédophiles d’un prêtre de son diocèse : l’évêque avait pris connaissance des faits non pas dans le cadre d’une confession ou d’une confidence, mais à la suite de l’enquête qu’il avait diligentée, ce qui devait donc le contraindre à signaler les faits.

Il existe néanmoins peu d’autres exemples de condamnations ou de relaxe concernant ces sujets. « On a très peu de jurisprudence ou de doctrine sur la question », confirme Jean Boudot.

L’affaire Barbarin, du nom du cardinal lyonnais poursuivi pour n’avoir pas dénoncé les agissements du père Preynat à la justice alors qu’il en avait pris connaissance, est parfois citée en exemple de jurisprudence sur cette question. Il n’en est pourtant rien : M. Barbarin n’ayant pas eu connaissance des faits lors d’une confession ou d’une confidence, le secret professionnel ne s’est ici jamais appliqué.Publication du rapport de la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise catholique : ce qu’il faut savoir

Mardi 5 octobre, la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise a rendu public son rapport. Elle estime le nombre de victimes, durant leur minorité, de violences sexuelles de la part d’un prêtre, d’un diacre ou d’un religieux, dans la population actuelle âgée de 18 ans et plus, à 216 000 personnes. Pour tout comprendre, les articles du Monde sur le sujet :

Gary Dagorn,  Romain Geoffroy et  Assma Maad

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