Pour atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050, l’Union européenne doit réduire drastiquement ses émissions de CO2. Les groupes pétroliers et gaziers mettent en avant le stockage du dioxyde de carbone sous terre. Une solution encore imparfaite qui leur permet pourtant de bénéficier de subsides. 

Par Annika Joeres et Suzanne Götze Publié dans Le Monde.

 

La plate-forme norvégienne Sleipner, pionnière du captage de CO2, en mer du Nord, en 2009.
La plate-forme norvégienne Sleipner, pionnière du captage de CO2, en mer du Nord, en 2009. BLOOMBERG / BLOOMBERG VIA GETTY IMAGES

L’usine sidérurgique ArcelorMittal de Dunkerque produit chaque jour assez d’acier pour construire trois tours Eiffel. Ses cathédrales d’acier s’alignent sur plusieurs kilomètres le long de la mer du Nord. Le haut-fourneau, noyau ardent de l’aciérie, brûle vingt-quatre heures sur vingt-quatre depuis près de soixante ans. Aujourd’hui comme hier, c’est avec du charbon que l’on nourrit cette gueule incandescente chauffée à 2 000 degrés. Des pelleteuses géantes entassent soigneusement des briquettes de charbon importées au pied du haut-fourneau. Une usine comme celle de Dunkerque utilise d’énormes quantités de combustible et émet chaque année autant de gaz à effet de serre qu’une grande métropole : quelque 12 millions de tonnes.

La neutralité carbone d’ici à 2050, que l’Union européenne appelle de ses vœux, suppose que les 26 Etats membres (la Pologne refuse pour le moment d’endosser cet objectif) ne rejettent plus de dioxyde de carbone dans l’atmosphère que les puits naturels – forêts, sols… – ou les technologies de stockage ne peuvent en absorber. Dans les trente prochaines années, ce gaz inodore sera catalogué comme déchet dangereux. On n’aura plus le droit d’en émettre, sauf à le mettre au rebut à ses frais. Un problème majeur pour les industries fortement émettrices comme ArcelorMittal.

Henri-Pierre Orsini est un géant d’un 1,90 mètre qui dépasse d’une tête la plupart des ouvriers de l’usine. La tâche qui l’attend n’est pas moins gigantesque : « décarboner » ArcelorMittal, le plus important producteur d’acier brut en Europe et en Amérique. Henri-Pierre Orsini, chargé de la feuille de route décarbonisation d’ArcelorMittal, ne laisse pas de s’étonner que l’on s’intéresse autant au dioxyde de carbone. C’est contre un autre gaz, le monoxyde de carbone, que lui et ses collègues se battent depuis des décennies. Libéré lors de la production d’acier si l’apport d’oxygène est insuffisant, inodore, il asphyxie imperceptiblement ceux qui le respirent. Tous les ouvriers métallurgistes de Dunkerque portent au revers de leur blouse un détecteur de monoxyde de carbone. « Les temps changent », ironise Henri-Pierre Orsini, qui doit aujourd’hui se soucier du dioxyde de carbone ignoré jadis puisque jugé sans danger.

« Hauts-fourneaux verts »

« Pour l’instant, notre industrie ne peut pas se passer de charbon », admet-il. Si l’on veut qu’un jour la production d’acier soit neutre en carbone, il faut capter le gaz à effet de serre à la source, dans le haut-fourneau où l’on fait fondre le minerai de fer. Cette technologie s’appelle le captage et stockage de CO2 (« CCS » en anglais). Au lieu de rejeter dans l’atmosphère d’énormes quantités de gaz néfastes pour l’environnement, on les capte à la source pour les stocker ensuite sous terre, et donc les extraire du cycle naturel. ArcelorMittal se doterait ainsi, selon l’expression de son directeur, de « hauts-fourneaux verts ».Article réservé à nos abonnés 

 

 

Ce processus, a priori crédible, s’avère techniquement complexe, risqué et très gourmand en énergie. Il faut tout d’abord séparer le CO2 à la source, lors de la combustion dans les hauts-fourneaux, raffineries et cimenteries. Le procédé le plus couramment employé consiste à séparer le gaz à effet de serre des autres gaz à l’aide d’un solvant. Il est ensuite comprimé jusqu’à devenir quasiment liquide, donc moins volumineux, puis transporté dans des canalisations jusqu’au lieu de stockage définitif. On peut le séquestrer dans des gisements sous-marins d’hydrocarbures épuisés ou encore sous terre, dans des veines de charbon. Mais l’opération est très énergivore. Une centrale électrique au charbon qui utiliserait la technique du CCS consommerait 40 % d’énergie en plus pour le seul captage de ses gaz à effet de serre.

Pour mettre en œuvre le CCS, ArcelorMittal Dunkerque va construire deux tours de 24 mètres de haut dans lesquelles le dioxyde de carbone sera séparé des autres gaz à l’aide d’un solvant, puis liquéfié. L’Union européenne (UE) prend en charge les trois quarts du coût de ce projet pilote, auquel Total participe aussi financièrement. Vers quelle destination le CO2 une fois isolé et comprimé sera-t-il transporté ? Henri-Pierre Orsini l’ignore encore. « Nous l’acheminerons peut-être par bateau ou nous construirons des gazoducs », avance-t-il d’un haussement d’épaules. Une chose est sûre : il faudra stocker quelque part ces millions de tonnes de dioxyde de carbone. Or, pour l’instant, il n’existe en Europe aucun site de stockage permanent.

L’échec du galop d’essai

Le stockage du CO2 affiche pour l’instant un bilan bien maigre. Certes, 18 projets de CCS ont vu le jour à travers le monde, élaborés principalement par des compagnies pétrolières américaines. Mais en Europe, toutes les tentatives pour séparer et séquestrer le gaz indésirable ont jusqu’ici échoué. Pourtant, depuis 2009, Bruxelles a investi près de 1 milliard d’euros dans des projets de CCS. Cet argent est allé à des entreprises du secteur énergétique telles qu’Alstom (France), ENEL (Italie) et Vattenfall (Suède), mais toutes ont jeté l’éponge, en raison du coût des projets ou d’oppositions locales.

 

« Nous ne soutiendrons plus financièrement le CCS pour les centrales à charbon »,nous assure Artur Runge-Metzger, de la direction générale de l’action pour le climat à la Commission de Bruxelles. Aujourd’hui, l’UE subventionne les technologies CCS principalement pour l’industrie du ciment ou de l’acier. « Pour ces industries, le captage et stockage du CO2 est l’ultime espoir d’atteindre la neutralité carbone en 2050, comme le préconise l’accord de Paris sur le climat »,précise Artur Runge-Metzger.

La Commission européenne préfère garder le silence sur l’échec de ce galop d’essai du CCS. Elle refuse de publier la candidature et le rapport final de chaque entreprise concernée – bien que le contribuable européen ait investi dans ces projets des centaines de millions d’euros. Officiellement, ces documents contenaient des stratégies entrepreneuriales et des détails techniques ne pouvant être divulgués. Les entreprises ne sont pas davantage disposées à s’exprimer sur ce gaspillage de l’argent public.

Le lobbying du captage de CO2

La Cour européenne de justice pointe elle aussi ce coût exorbitant et conclut : « L’objectif de tester de nouvelles technologies n’a pas été atteint. Aucun des programmes CCS n’a abouti. » Mais en dépit de l’argent déjà englouti dans ces programmes, la Commission prévoit de puiser de nouveau dans son fonds, riche de plusieurs milliards d’euros, pour attribuer des subventions pour le développement de la technologie CCS. ArcelorMittal fait partie des bénéficiaires.

 

 

Des documents internes de la Commission européenne que Le Monde a pu consulter révèlent que le lobby pétrolier et gazier est celui qui s’active le plus en faveur du CCS. Des représentants de sociétés pétrolières telles qu’Exxon et Shell, ainsi que leur groupe de pression, l’Association internationale des producteurs de pétrole et de gaz (IOGP), travaillent depuis des années à promouvoir cette technologie à travers l’Europe. Des hauts représentants de la Commission se sont réunis sept fois, durant les six premiers mois de 2020, pour préconiser des subventions. Et le CCS est mis en avant dans maintes conversations informelles – ce qui a porté ses fruits. Après une réunion en face à face avec des dirigeants d’Exxon, le 21 novembre 2019, Clara De La Torre, directrice générale adjointe de la direction générale de l’action pour le climat, exprime de « forts encouragements »à reconnaître l’importance du CCS, dans un compte rendu que Le Monde a pu consulter. Dans cette entrevue avec la multinationale, Mme De La Torre fait référence au « fonds d’innovation », un ambitieux programme de subventions de l’UE. « Vous [Exxon] connaissez très bien le fonds d’innovation », écrit-elle.

Le lobbying sur le CCS existe aussi en France. Tous les gros émetteurs de dioxyde de carbone sont représentés au sein de l’association Club CO2, d’ArcelorMittal à Engie en passant par Lafarge. Des instituts de recherche français y sont également impliqués. Fondée en 2002, à l’initiative de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), l’association est devenue de plus en plus active ces dernières années. Son objectif : « Contribuer au développement des technologies de captage, stockage et valorisation du CO2 et proposer des recommandations à destination des pouvoirs publics français. » 

Récolter des fonds publics

Depuis le Grenelle de l’environnement de 2007-2008 et une loi de 2011, le CCS est officiellement autorisé en France – ce qui n’est pas le cas en Allemagne, par exemple. Le Club CO2 s’emploie à promouvoir cette technologie comme solution à la crise climatique. Il organise des conférences, où les grands producteurs industriels font l’éloge de ces technologies.

Pour nombre d’acteurs luttant contre le lobbying, comme l’ONG Corporate Europe Observatory (CEO)le CCS figure désormais en première place dans les priorités des grands groupes industriels. C’est le domaine où il y a le plus de fonds publics à récolter. En outre, avec le CCS, l’exploitation du gaz et du pétrole a une chance de perdurer. Selon le CEO, l’un des plus gros lobbyistes est la compagnie pétrolière néerlandaise Shell. Une étude américaine publiée dans Climatic Changedémontre qu’elle figure historiquement parmi les 10 premiers émetteurs de CO2au monde. Dans sa stratégie climatique actuelle, la multinationale promet d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. Tout en prévoyant parallèlement un grand nombre de nouveaux forages pétroliers.

L’Etat norvégien a décidé, le 12 décembre, d’accorder un financement de plus de 2,5 milliards d’euros à un consortium regroupant les compagnies pétrolières Equinor, Shell et Total pour développer un vaste projet commercial de CCS, le premier en Europe. Les travaux de construction devraient démarrer au premier semestre 2021.

Les Norvégiens veulent stocker le CO2 européen dans des réservoirs sous-marins. Le site de stockage idéal serait celui d’Oygarden, un archipel de 450 îles sur la côte ouest du royaume. La Norvège y a découvert, il y a cinquante ans, d’énormes réserves de pétrole et de gaz qui ont assuré sa fortune du jour au lendemain. Elle compte encore parmi les pays les plus riches du monde.

« Comme une entreprise de collecte des ordures »

Depuis la côte, on entend dans le ciel le ballet des hélicoptères en provenance de l’aéroport de Bergen, la ville la plus proche, transportant les ouvriers sur les plates-formes pétrolières et gazières offshore. Sverre Overa désigne d’un geste des docks abandonnés. Quand il parle, ces austères quais de béton se transforment en un complexe industriel de pointe, puis les sapins qui se dressent sur le littoral font place à des réservoirs de stockage de CO2. Pour un peu, on entendrait au loin la sirène des navires acheminant jusqu’à la côte ouest de la Norvège le dioxyde de carbone en provenance de toute l’Europe.

L’idée de l’employeur de Sverre Overa, la compagnie pétrolière Equinor, est audacieuse : faire partir de ces docks un pipeline de 80 kilomètres de long vers le large – jusqu’à la formation rocheuse sous-marine dite de Johansen, d’un volume de 590 km3, plus de six fois le lac Léman. A 3 kilomètres de profondeur, Equinor espère stocker chaque année 100 mégatonnes de CO₂ d’ici à 2050, soit environ un quart des émissions de gaz à effet de serre de la France. « Nous travaillons comme une entreprise de collecte des ordures, explique Sverre Overa, qui dirige le projet de stockage de CO2 baptisé “Northern Lights” (“aurores boréales”). Nous proposons à l’Europe un service de collecte pour résoudre son problème de CO2. Après tout, les gens ne jettent pas non plus leurs ordures ménagères dans leur jardin. » 

Sverre Overa a les cheveux gris et la soixantaine sereine. Ce Norvégien se considère volontiers comme un visionnaire défendant des idées que d’autres jugent aberrantes. C’est ainsi que l’on qualifiait le stockage de carbone il y a encore quelques années. Entre-temps, ses idées novatrices ont progressé. Dans quatre ans, ces docks sans prétention pourraient devenir le plus grand centre de transbordement de CO₂ d’Europe. Afin de collecter les émissions des cimenteries, des usines d’incinération de déchets, des raffineries, des aciéries, Equinor construira deux navires pouvant transporter du gaz liquéfié. « Ils iront charger du CO₂ dans les ports d’Europe du Nord – Oslo, Helsinki, Hambourg, par exemple – exactement comme on fait avec les déchets industriels. Une fois pleins, les navires retourneront à Oygarden », explique le directeur de Northern Lights.

Retarder le démantèlement des plates-formes de forage

« Nous sommes constamment sollicités par des entreprises industrielles, assure Sverre Overa. Elles veulent savoir ce que coûtera ce “service de collecte” et quand il sera opérationnel. Une phase de test de plusieurs années démarra en 2024, après quoi nous pourrons séquestrer des quantités de plus en plus importantes de carbone. Oygarden deviendra la capitale européenne du CCS. » C’est du moins son espoir.

ArcelorMittal n’est pas encore sur la liste de ce projet norvégien. Y figurent en revanche HeidelbergCement, l’un des mastodontes allemands de la production de béton, et une société norvégienne d’incinération de déchets. Ils seront les premiers clients à tester le procédé. Outre la Norvège, les Pays-Bas font partie des pays d’Europe les plus intéressés par l’exploitation commerciale de cette technologie.

Shell est partie prenante de Northern Lights, mais aussi du projet CCS dit « Porthos »qui doit voir le jour dans le port de Rotterdam. Pour l’heure, c’est le seul projet européen de cette filière en dehors de celui de la Norvège : le CO₂ émanant des raffineries des géants pétroliers et gaziers ExxonMobil, Shell, Air liquide et Air Products doit être pompé vers la presqu’île située au bout du port, puis comprimé et injecté dans un gisement de gaz épuisé situé à 3 kilomètres de profondeur. Selon le think tank néerlandais CATO, le CCS a un double avantage pour les entreprises. Il leur permet non seulement de se débarrasser de leurs déchets carbone, mais aussi d’utiliser leurs plates-formes de forage et l’ensemble de leur infrastructure pendant quelques décennies encore, remettant ainsi à plus tard l’obligation de démantèlement et de restauration des sites.

Le pipeline et le compresseur destinés au projet Porthos devraient coûter 500 millions d’euros. Fin 2023, le CO₂ émis par les compagnies pétrolières et gazières est censé disparaître en un clin d’œil ! Le port de Rotterdam appartenant à l’Etat néerlandais, l’argent des contribuables financera partiellement ce test CCS.

Des quotas d’émissions inadaptés

« Nous sommes submergés par les demandes, claironne le directeur du port, Wim van Lieshout. Toutes les entreprises veulent stocker leur CO₂ chez nous. » Et d’ajouter en riant : « Nous n’avons jamais été aussi courtisés. » Une quinzaine de sociétés des quatre coins de l’Europe seraient sur les rangs. Mais pour l’instant, l’entreprise publique qu’est le port de Rotterdam – dans laquelle la ville et l’Etat néerlandais sont financièrement engagés – manque d’espace de stockage pour d’autres clients. Seul un dixième des quantités de CO2 émises par les sociétés installées dans le port peut être injecté dans le gisement de gaz, soit 2,5 mégatonnes par an. A ce rythme, le gisement sera plein en 2037.

Porthos est lui aussi en phase de test. Et jusqu’à présent, tous les projets de CCS en Europe ont échoué, essentiellement à cause de la méfiance des citoyens et de leur coût. Car si la construction des installations est onéreuse, leur fonctionnement ne l’est pas moins.

 

 

La rentabilité du stockage du CO2 dépend en partie du dispositif européen d’échange de quotas d’émissions. Depuis une quinzaine d’années, les raffineries de pétrole, les aciéries et les installations de production de fer, d’aluminium, de métaux et de ciment doivent acheter des quotas d’émissions de CO2. Lors de la mise en place du dispositif des quotas en 2005, la plupart des entreprises ont obtenu un trop grand nombre de quotas – qui plus est gratuitement. En conséquence de quoi, les échanges d’émissions coûtaient très peu cher. Depuis, le tarif est monté à 30 euros la tonne, mais demeure trop bas. Dans les projets comme ceux de Northern Lights en Norvège ou du port de Rotterdam, le coût du captage et stockage du CO₂ est estimé à 100 euros la tonne. Pour rentabiliser le recours à cette technologie, il faudrait que, dans l’échange de quotas d’émissions, la tonne de CO₂ n’affiche pas un tel différentiel de prix (70 euros aujourd’hui).

« Des milliers de kilomètres de gazoducs »

Ajoutons à cela le coût des aides aux entreprises souhaitant passer au CCS, et celui de la construction des infrastructures ad hoc, notamment des gazoducs courant dans toute l’Europe pour acheminer le CO2… Il faudrait en effet installer un réseau à travers l’UE, au cas où les Polonais et les Italiens, par exemple, décideraient d’envoyer leur CO2 en Norvège. Interrogée par Le Monde, la Cour des comptes européenne avoue craindre des difficultés quasi « insurmontables » : les canalisations de transport de CO₂ devraient notamment traverser des milliers de propriétés, avec le risque d’occasionner d’interminables litiges.

 

 

« Pour acheminer le dioxyde de carbone des usines vers les sites de stockage en mer du Nord, il faut installer des milliers de kilomètres de nouveaux gazoducs. C’est une folie », abonde Michael Bloss, eurodéputé Vert, à Bruxelles. Cet homme de 34 ans, élu en 2019, est entré en politique pour empêcher « l’effondrement climatique ». Selon lui, il est plus judicieux de réduire les émissions à la source et de développer des énergies renouvelables et des matériaux de construction alternatifs au ciment et à l’acier. « L’UE surestime toujours les besoins de CCS, de gaz et d’hydrogène. Si on émettait moins de gaz à effet de serre, on aurait moins de CO₂ à capter et à stocker. Nombre de députés utilisent l’alibi du CCS pour faire perdurer les activités liées aux combustibles fossiles de leur pays. »

Pour Michael Bloss, cette technologie a été imaginée par des acteurs industriels qui ont lutté pendant des années contre les mesures de protection du climat et qui y adhèrent aujourd’hui. « La Commission européenne se laisse dicter sa politique climatique par les entreprises », estime-t-il, ajoutant que les discussions visant à désigner les bénéficiaires des subventions reposent souvent sur des études menées par l’industrie.

Les risques du stockage

Dans certains pays comme l’Allemagne, la résistance des citoyens et de certaines ONG, qui mettent en avant les risques du CCS, fait obstacle à son essor. Si le CO2stocké en mer s’échappait à la suite d’un accident, cela risquerait d’engendrer des zones mortes et une forte acidification de l’eau. Dans le cas d’un stockage à terre, des fuites importantes pourraient, à cause d’un important manque d’oxygène, mettre en danger les animaux et les riverains qui inhaleraient du CO2 piégé et concentré.

Autre risque : la pollution des eaux souterraines. Si le CO2 se répand de manière incontrôlable dans le sous-sol, il peut faire migrer la saumure des aquifères salins, la pousser vers la surface et, dans le pire des cas, contaminer l’eau douce.

 

 

Christina Voigt, professeure de droit de l’université d’Oslo, confirme qu’en dépit des affirmations des géologues, le risque zéro n’existe pas : « On imagine aisément ce qui peut se passer si l’installation des gazoducs est bâclée, ou si les formations souterraines sont inadaptées ou en butte au risque sismique. » Dans son bureau, la juriste est assise devant une impressionnante bibliothèque remplie d’ouvrages juridiques et de ses propres publications sur les Cours de justice internationales et les questions environnementales. Elle s’intéresse aux poursuites engagées au niveau mondial contre les violations de la protection de l’environnement.

« Cacher la poussière sous le tapis »

« Quand du dioxyde de carbone est illicitement rejeté dans l’atmosphère, il faut bien que quelqu’un en assume la responsabilité », argumente la juriste. La problématique se posera de la même façon pour le captage et le stockage du CO2. Les négociations climatiques dans le cadre du suivi de l’accord de Paris sur le climat pourraient prochainement donner à la technologie CCS un élan décisif. « Il est possible que les droits d’émissions liés au CCS soient bientôt vendus et échangés, comme c’est le cas pour les quotas d’émissions de l’UE. » La Commission européenne travaille sur une réglementation des allocations de quotas pour le CCS, confirme une porte-parole.Lire aussi  Le Canada joue les pionniers dans la capture et le stockage du CO2

La perspective d’échanges de quotas de CCS à l’échelle planétaire inquiète Christina Voigt : « Un quota d’une tonne de CO₂ capturée se vendra facilement en Bourse, mais personne ne peut garantir que ce dioxyde de carbone restera vraiment dans le sol. » Des pays comme la Chine, le Brésil ou le Pakistan pourraient lancer des opérations de CCS sans se soucier de normes de sécurité internationales.

Avec le CCS, la responsabilité du contribuable est engagée du début à la fin du processus : « D’abord, il subventionne les entreprises qui mettent en œuvre cette technologie et en tirent profit et, in fine, c’est aussi l’Etat qui sera tenu pour responsable des accidents ou des fuites, jusqu’à la fin des temps », pointe Christina Voigt.

Mais en dépit de toutes ses réticences, Christina Voigt ne rejette pas complètement le stockage du CO2 et elle espère – même si elle le dit avec quelque hésitation – que le projet Northern Lights verra le jour. « Nous n’avons tout simplement plus de temps à perdre. Il faut tout essayer pour éviter que la teneur en CO2 dans l’atmosphère ne continue de grimper, confie-t-elle. Le CCS n’est sans doute qu’un alibi et une façon de cacher la poussière sous le tapis. Mais dans le contexte de la crise climatique, c’est un moindre mal. » – (Traduit de l’allemand par Dominique Kugler.)

Annika Joeres et  Suzanne Götze

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