Ils ont pris leur destin en main. Pour ne pas disparaître de la carte, les 600 habitants de Miquelon, dans l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, se préparent à déménager 1,5 km plus loin, sur un site plus en hauteur, protégé des aléas climatiques. Une relocalisation unique en France à l’heure où le ministre Christophe Béchu appelle à faire de 2024 l’année de l’adaptation.

Une fin programmée. C’est entre les lignes l’avenir dessiné par l’ancien chef de l’Etat François Hollande aux Miquelonnais, lors d’une visite d’Etat en décembre 2014. Entourée de part et d’autre par l’eau, l’île de Miquelon, ce petit bout de terre français aux portes du Canada et à plus de 4 700 kilomètres de Paris, est depuis le début des années 2000 en première ligne face à la montée des eaux et à l’érosion côtière, induites par le changement climatique. Les 600 habitants du village en ont conscience.

Le président de la République de l’époque annonce alors la mise en place d’un plan de prévention des risques littoraux (PPRL) interdisant toutes nouvelles constructions dans le village de Miquelon. C’est un coup de massue, perçu par certains comme la mort de Miquelon. “Notre village, classé en zone inondable, est bloqué de partout, les maisons perdent de leur valeur, on ne va quand même pas les raser ou les déplacer”, s’insurge le maire fraîchement élu, Franck Detcheverry face à l’approbation du PPRL en 2018.

Les Miquelonnais, des déplacés climatiques à la manœuvre

Et si faire ses cartons était pourtant la solution ? En novembre 2018, le passage de deux tempêtes à 10 jours d’intervalle, entraînant d’importants dégâts dans le village et des inondations par remontée de la nappe phréatique, provoque “un retournement de l’opinion de la population”, constate auprès de Novethic la chercheuse Xenia Philippenko, qui a récemment reçu le prix 2023 BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières, ndlr) pour ses travaux sur l’adaptation de Saint-Pierre-et-Miquelon au changement climatique.

A l’été 2019, un questionnaire est mené auprès de 300 habitants de l’archipel pour cerner leur perception du changement climatique et leurs préférences quant aux solutions d’adaptation envisagées. Et les résultats sont sans équivoque : 89% des personnes consultées sont en faveur du déplacement du village. “Pour les Miquelonnais, la relocalisation a été perçue comme la solution la plus acceptable, car les habitants sont davantage attachés à leur territoire et à leur mode de vie qu’à leur village”, explique Xenia Philippenko. “Au lieu d’être un frein, leur attachement a été le moteur de la mobilisation”, note-t-elle.

Pour cette chercheuse, “si les Miquelonnais ont accepté d’être déplacés, c’est surtout qu’ils ne déménagent pas très loin”. Plus précisément à 1,5 kilomètre du village actuel, mais passant de 2 à 20 mètres au-dessus de la mer. Armés de pioches et de pelles, les habitants ont profité de la visite de l’ancienne ministre des Outre-mer Annick Girardin en janvier 2020 pour délimiter symboliquement les nouvelles parcelles et réclamer une meilleure gestion de la relocalisation du village par la France. De son côté, la ministre a assuré que “l’Etat se doit d’être et sera aux côtés de la collectivité, qui doit penser, faire, et mettre en place ce type de choix”.

Un laboratoire de l’adaptation à taille humaine

Le temps est compté, mais il était hors de question pour les élus locaux d’exclure du processus de décision les habitants. C’est pour cette raison que le maire Franck Detcheverry a demandé à bénéficier du système d’accompagnement “Atelier des Territoires”, initié par la Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature, afin d’aider les autorités mais surtout la population à imaginer et concevoir leur nouveau village. Un challenge mené avec l’agence d’urbanisme Métamorphoses urbaines.“Cela s’est passé très vite”, raconte auprès de Novethic Laurent Pinon, architecte-urbaniste et président-directeur de l’agence. “Lorsque nous avons commencé les ateliers en 2022, nous ne savions pas quelle serait la stratégie du village. Nous nous retrouvons deux ans plus tard, en mars 2024, à proposer aux Miquelonnais les 15 premières parcelles du nouveau village”, avec l’espoir d’une mise en chantier dès le mois de juin.

“Il s’agit d’un cheminement intellectuel qui est de l’ordre de la métamorphose plus que de la création, car avec les mêmes ingrédients qui composent aujourd’hui le village, nous allons lui donner une forme totalement différente”, explique Laurent Pinon. Pour cet architecte, il est hors de question de partir d’une page blanche. “A partir des maisons actuelles, nous cherchons comment nous pouvons les rendre plus écologiques, mieux adaptées, mieux insérées dans le paysage”. Et la mobilisation du “Fonds Barnier” dédié au financement des travaux réalisés par des particuliers pour réduire la vulnérabilité de leurs habitations, rend économiquement viable ce projet. “Ce fonds s’appliquera à tout le village avec une méthode d’évaluation des biens la plus juste possible pour aider les ménages à se déplacer d’un village à l’autre”, indique-t-il.

En attendant le transfert intégral du village qui ne se fera pas du jour au lendemain, et alors que le risque court toujours, les habitants ne sont pas restés les bras croisés et ont opté pour une adaptation progressive avec la réalisation de travaux d’enrochement pour limiter l’érosion ou encore la création d’équipements refuges afin de mettre la population en sécurité lors des aléas climatiques. “Il faut agir à court, moyen et long terme pour anticiper les risques et non plus les subir”, insiste Laurent Pinon. Ainsi, le village de Miquelon fait aujourd’hui figure d’exemple dans le domaine de l’adaptation alors que 864 communes en France ont été identifiées comme vulnérables aux submersions marines-

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