Mis en suspens en raison de la crise sanitaire, les Ti Kozé du COBATY Martinique, ces rencontres thématiques organisées par ladite association, ont fait leur retour le 1er décembre dernier dans l’amphithéâtre de l’Institut Martiniquais du Sport (IMS). Une rencontre-débat(s) dont la thématique était cette fois « L’éco-construction en milieu tropical » et qui fut marquée par la remise du ‘’Trophée Cobaty’’, récompensant un.e jeune étudiant.e des filières scolaires du BTP sous nos cieux. Les précisions de Tony Boclé, le président de COBATY Martinique, puis celles de Nicolas Fulpin, enseignant au Lycée Frantz Fanon de Trinité et président de l’association KEBATY.

Les lauréats du Trophée Jeunes, Dylan Marie-Luce (à gche) et Evans Joachim

Tony Boclé :

« On a besoin qu’ils prennent conscience qu’en Martinique il y a un écosystème et qu’il faut le préserver »

Antilla : Pour rappel, qu’est ce que le COBATY ?

Tony Boclé : Le COBATY est une fédération d’associations, le COBATY national, et il y a des COBATY dans toutes les régions de France ainsi qu’en Italie, en Belgique etc. Le COBATY Martinique est une association qui a un peu plus de 25 ans ; on est une quarantaine de membres et on se réunit régulièrement autour de rencontres statutaires mensuelles. L’objectif de l’association COBATY c’est de porter des réflexions sur le milieu de la construction, le milieu de l’environnement, et l’une de nos actions fortes c’est de s’intéresser à la jeunesse. C’est pour ça qu’on est là aujourd’hui. La conférence de ce jour est là pour donner de l’écho à notre ‘’Trophée Jeune’’, décerné à un jeune qui est en formation dans les filières du BTP.

Peut-on en savoir davantage sur les membres de COBATY Martinique ?

Tout l’intérêt de COBATY c’est qu’il regroupe plusieurs métiers de la construction, donc il y a des entrepreneurs, des architectes, des ingénieurs, des avocats, des notaires, etc. Donc tous ceux qui interviennent dans l’acte de construire. En fait notre but c’est de porter la réflexion, de croiser les points de vue en fonction des métiers, et par delà en sortir les solutions.

Une partie des membres du COBATY

L’enjeu central du Ti Kozé de ce jour est donc la jeunesse ?

Oui, mettre en valeur la jeunesse. On parle beaucoup des difficultés de recrutement dans le BTP mais il ne suffit pas d’en parler, il faut trouver des solutions. Nous ce qu’on essaie faire c’est de mettre en valeur les jeunes qui sont dans ces filières et les récompenser pour ceux qui sont motivés à embrasser ses carrières. On a besoin d’eux, on a besoin des jeunes d’ici, parce que s’ils ne prennent pas le taureau par les cornes ce sont des gens venant de très loin qui viendront construire pour nous. On a besoin qu’ils prennent conscience qu’en Martinique il y a un écosystème et qu’il faut le préserver, le nourrir. Et que c’est eux qui vont le nourrir.

Outre cet enjeu, la thématique de ce Ti Kozé est l’éco-construction : pourquoi ce choix ?

On choisit toujours un thème qui essaie d’intéresser le plus grand nombre et on a choisi parler de l’éco-construction parce qu’on est tous sensibles à la question de l’environnement. D’ailleurs l’une des missions de COBATY est de porter des solutions aux questions d’environnement. Le bâtiment est une filière industrielle qui est très polluante, mais qui fait aussi beaucoup d’efforts pour améliorer ses processus, pour proposer des bâtiments éco-responsables et des solutions durables pour un mieux vivre.

Au-delà d’une possible méconnaissance sur les normes et autres critères de l’éco-construction, comment expliquez-vous les débuts plutôt lents de ce mode de construction en Martinique ? Est-ce lié aux coûts de construction ?

La question du coût est une question centrale ; on ne peut pas faire en mettant de côté les coûts. Quand quelqu’un s’engage dans un projet de construction c’est un projet de vie, et son principal souci c’est de maîtriser les coûts. Donc effectivement, le coût c’est déjà un premier frein.

Ces coûts sont donc plus chers que pour les constructions de type « classique » ?

Pas forcément, mais il faut mettre en branle toute la chaîne. C’est-à-dire qu’il faut qu’il y ait un concepteur, un architecte et un bureau d’études qui fasse les études, qui permettront de trouver les meilleures solutions, et qui validera les processus. Et une fois qu’on a fait tout ça, on met en oeuvre le projet. Le problème c’est qu’on vit dans un pays où on a tendance à faire fi de ces parties initiales qui sont la conception, les études, le contrôle et la mise en œuvre. Or si on s’embarque dans un tel projet il faut le faire complètement. Et il faut qu’il y ait du contrôle, pour que les choses soient bien faites et que le bâtiment soit justement durable.

En toute objectivité l’éco-construction est-elle un secteur et une filière d’avenir en Martinique ?

Oui et c’est une filière de développement, parce qu’en mettant en place cette éco-construction on va mettre en place des solutions locales, donc on va favoriser des filières industrielles. On vit sur un petit territoire, mais l’objectif sera quand même d’utiliser les ressources et les solutions locales. Donc forcément il y a à la clé des filières, par conséquent des métiers donc de l’activité.

Propos recueillis par Mike Irasque


Nicolas Fulpin :

« Pour moi les grosses tours de bureaux ne sont pas des bâtiments martiniquais… » 

Antilla : Qu’est-ce que le KEBATY ?

Nicolas Fulpin : C’est une association créée en 2018 par des gens qui cherchaient de la ressource sur le bâtiment durable mais qui n’en trouvaient pas. Et de fil en aiguille, on est devenus centre de ressources de bâtiment durable de Martinique. Aujourd’hui on a trois salariés qui travaillent sur cette thématique, et l’objectif de l’association c’est de promouvoir le bâtiment durable en Martinique sous toutes ses formes.

Depuis la création de l’association, quel bilan pouvez-vous faire de la construction durable sous nos cieux ?

En Martinique on est un petit peu au ralenti, malheureusement. Il y a peu de bâtiments exemplaires, et quand il y en a on n’arrive pas vraiment à les mettre en valeur parce qu’on n’a pas les autorisations ou parce que c’est compliqué d’avoir du droit à l’image. Donc on mériterait de mettre un petit coup d’accélérateur. Et vis-à-vis de l’association, on essaie de contribuer à mettre ce coup d’accélérateur.

Quels sont les critères et caractéristiques majeurs du bâtiment durable, du bâtiment « exemplaire » comme vous dites ?

C’est un bâtiment qui consommerait peu d’énergie, forcément avec de la ventilation naturelle, donc conçu pour ça. Le souci c’est qu’au niveau de l’usage, souvent les gens ne savent pas comment utiliser un bâtiment : par exemple, pour quelque chose qui était très bien conçu ‘’on’’ va mettre un petit carton dessus – j’exagère un petit peu – pour arrêter le courant d’air qui nous gênait au lieu de se déplacer. Donc il y a tout un aspect pédagogique sur lequel il faut urgemment travailler au niveau du territoire. Le second critère ça serait un bâtiment dont la fabrication est peu carbonée, donc avec des matériaux bio-sourcés. Aujourd’hui ils mettent du plâtre dans le béton, pour réduire l’impact carbone ; tout ça c’est des bonnes initiatives, qu’il faut encourager. Et la dernière chose, ça serait un bâtiment martiniquais. Je suis assez provocateur en disant ça, mais pour moi les grosses tours de bureaux ne sont pas des bâtiments martiniquais. J’aime bien voyager dans des endroits différents, donc savoir que je suis dans tel territoire quand j’arrive quelque part. Or on a une espèce d’uniformisation du bâti ; on le voit sur les maisons individuelles, où on construit comme dans le sud de la France, ou sur des grosses tours et des bâtiments tertiaires, où on va construire comme au Panama. Je pense qu’on peut chercher à avoir une identité vraiment martiniquaise, ou au moins antillaise et créole.

Vous êtes également professeur au Lycée Frantz Fanon de Trinité : qu’enseignez-vous à vos élèves ?

Je suis enseignant en ‘’étude des constructions’’ en BTS bâtiment. Je leur apprends à dimensionner des bâtiments, essentiellement en béton armé. Je leur apprends les prémices au niveau ‘’bac + 2’’, les normes, etc. On parle aussi de parasismique, de para-cyclonique et de réglementation thermique. D’ailleurs c’est en me questionnant sur cette réglementation que je suis arrivé au sein de KEBATY, que j’ai rencontré des gens et que, de fil en aiguille, je suis là aujourd’hui.

On dit souvent que la filière BTP n’attire pas suffisamment de jeunes en Martinique : comment ressentez-vous vos élèves sur ce point ? Y-a-t-il un dynamisme frémissant ?

Il y a un dynamisme. En première année on avait une classe de 28 élèves et ils ont envie. Le souci c’est qu’ils partent régulièrement pour faire leurs études là-bas (en France, ndr). Et quand on part à 20 ans et qu’on finit ses études à 25 ans, on a déjà fait un bout de notre vie là-bas, et c’est peut-être plus compliqué de revenir. C’est vraiment ça le principal frein. Mais c’est aussi dans la ‘’tête’’ de la société, comme si travailler sur les chantiers était une punition alors que ce sont des métiers qui sont valorisants ; des métiers où on voit ce qu’on fait, peut-être plus que sur des machines ou des ordinateurs.

Propos recueillis par Mike Irasque

Crédit photos : Stévy Desbonnes.

 

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