LA STATUE DE SCHOELCHER À SCHOELCHER ( PKLS)

Il y a le personnage de Schoelcher dont un autre article rappelle les écrits et son évolution.Il y a le personnage Schoelcher, celui qui, profitant de son statut de libérateur, sera élu député de la Guadeloupe et de la Martinique. Il optera pour le poste de chez nous. Puis l’an- née suivante, il subira une défaite cuisante face à l’alliance entre Bissette et le béké Pécoul. Il sera néanmoins élu de Guadeloupe et restera député jusqu’au coup d’état de 1851. Sous le Second Empire, il s’exilera en Angle- terre. A la chute de Napoléon III, il reviendra en France. Il sera à nouveau député de la Martinique de 1870 à 1875. Par la suite, il sera élu sénateur inamovible. Même sans être élu, il continuera à écrire dans différents journaux sur la politique coloniale française en générale et sur la Martinique en particulier. Ceci jus- qu’à sa mort en 1893.

Bourgeois français aux idées de « gauche » Schoelcher n’a jamais été un révolutionnaire ni un adepte des idées socialistes voire communistes. Ses positions contre la Commune de Paris et l’insurrection du Sud de 1870 montrent clairement son type de positionnement politique. Surtout, avant ou après 1848, Schoelcher a toujours été de cette gauche française du XIXème siècle, paternaliste, défenseur du colonialisme et du rôle civilisateur comme Jules Ferry.

Mais au-delà du personnage mythique (le libérateur des nègres) ou politique (le député

de gauche au plan français) à qui nos historiens locaux ne cessent de vouloir tresser des lauriers, Schoelcher est l’inspirateur d’un cou- rant politique qu’on appelle le « Schoelchérisme ».

Il n’y a pas de coupure entre les trois éléments. La force du Schoelchérisme tient en l’exploitation éhontée de l’image du libérateur et à sa présentation en personnage de la gauche française. Tout est dit dans ce triptyque.

Il faut bien voir qu’aux lendemains de 1848, suite à la lumineuse révolution anti- esclavagiste, on assistera à une lutte féroce entre d’un coté la caste béké qui veut conser- ver une position dominante y compris sur le plan de la représentation politique (ils déserteront ce domaine à compter de 1870 tant la répulsion à voter pour eux deviendra massive) et d’autre part les anciens « hommes de couleur » libres qui veulent profiter de l’ébranlement de l’aristocratie blanche. On comprend bien que les anciennes masses serviles deviennent l’objet d’une lutte d’influence car le suffrage universel a été décrété. Le rêve de ces anciens « hommes de couleur » est de partager le gâteau colonial avec les békés sinon de les évincer. Pour cela, ils considèrent que face au lobby béké, il leur faut un allié de poids et le choix se portera sur Schoelcher.

C’est ainsi pourquoi ce dernier est candidat en 1848 aux côtés du mulâtre Pierre-Marie Pory-Papy et ils seront élus tous les deux. Leur défaite un an plus tard s’explique par le fait que les békés, au travers de leur représentant Pécoul, vont arriver à décrocher à leurs côtés une personnalité, elle aussi ancien « homme de couleur » libre, Bissette. En 1871, après la parenthèse napoléonienne (régime absolument pro-béké), on retrouvera le duo Schoelcher et Pory-Papy comme élus de Martinique.

Il importe de voir que le rêve des anciens « hommes de couleur » de supplanter ou par- tager le gâteau économique avec les békés sera chimérique. Dopé par les indemnisations de l’abolition de l’esclavage et le régime d’exception de Napoléon III, les békés vont largement surmonter les difficultés conjoncturelles et structurelles que représentait la fin du travail servile. En plus, la production cannière étant sujet à de cycliques crises de surproduction, il était difficile à de nouveaux producteurs sans capitaux propres à pouvoir traverser lesdites crises.

En bref, les anciens « hommes de couleur » libres (à l’exception de quelques raretés comme Clément) ne vont jamais émerger sur le plan économique. Il leur restera les professions libérales la fonction publique et les postes électifs. Bien entendu, les masses populaires étaient toujours en bas de l’étage social.

Qu’est ce le schoelchérisme dans ce cadre ? C’est la « croyance » que pour s’en sortir en Martinique, il fallait espérer en une gauche française pour nous aider à damer le pion à la caste blanche. Certes, cela n’excluait pas de se battre ici aussi mais ce combat ne pouvait être victorieux qu’avec le soutien des « papas blancs » de la gauche française. Cette « croyance » a mis en branle pendant des décennies la démarche de la « gauche » martiniquaise. Cette gauche s’est appelée Républicaine, radicale, socialiste puis communiste etc….

Avec des personnalités différentes (Marius Hurard, Amédée Knight, Sévère, Lagrosillière, Monnerot, Bissol, Césaire) des tactiques différentes, c’est cette stratégie schoelchériste qui a présidé et orienté la politique en Martinique de 1870 jusqu’aux années 1950.

Si la mise en place de cette politique n’a pas éraflé la puissance béké, il convient de noter que sur le plan idéologique, le courant schoelchériste a permis d’imposer des réformes nouvelles. C’est ainsi que le conseil général menée par une majorité schoelchériste a imposé l’école publique et la laïcité.

Mais il est important de comprendre que cette stratégie s’inscrivait dans une démarche logiquement assimilationniste. Le schoelchérisme impliquait qu’il fallait attendre la « délivrance » de la France et surtout de sa gauche. Fondamentalement, cette stratégie, progressiste ou non, induisait la dépendance de notre combat à celui de la France.

Être français, être entièrement français, être complètement français, est la perspective du schoelchérisme. Ceci explique son engagement pour payer la « dette du sang » lors de la première guerre mondiale où seront envoyés des centaines de martiniquais dans la boucherie européenne. On retrouve cette démarche quand Lagrosillière crée en 1900 le parti socialiste, quand le personnel politique s’oppose, aux lendemains de la guerre, que la Martinique soit donnée aux USA en paiement des dettes de guerre, quand Monnerot fonde le groupe Jean Jaurès et écrit dans justice en 1920 qu’il ne veut pas être une « province russe » mais française, quand les fêtes du tri- centenaire en 1935 sont unanimes sur la fran- cité de la Martinique, quand Césaire et Bissol portent en 1946 la loi sur la départementalisa- tion devant les députés français, etc…

S’il est vrai que le schoelchérisme porte des idées progressistes et une promesse « d’égalité », il reste avant tout et quand même une idéologie coloniale au sens où il nie toute réalité martiniquaise, toute possibilité d’une stratégie martiniquaise et tout projet de libération collective.

Si bien que sa dynamique positive s’est estompée avec le temps pour devenir une idéologie réactionnaire portée par des secteurs les plus conservateurs de la société martiniquaise. Elle est devenue l’idéologie coloniale par excellence.

C’est suite à l’échec de la départementalisation (donc du projet schoelchériste) sur le plan social, économique (la départementalisation n’a pas réalisé le projet d’origine à savoir la mise à bas de la puissance économique) qu’a commencé à apparaitre une autre manière de poser la question de l’avenir et donc du pouvoir.

C’est logiquement dans le secteur le plus avancé politiquement que cette manière de voir est apparue, à savoir le mouvement communiste. Fort d’une majorité électorale im- portante, les communistes martiniquais ne pouvaient guère en faire usage puisque le contexte français (où les communistes étaient minoritaires) l’en empêchait. C’est ainsi que la question du pouvoir en Martinique a commencé à se poser et donc la question nationale comme partie prenante de la question sociale.

Néanmoins, l’enfantement a été fait dans la douleur. La remise en cause du schoelchérisme n’a été ni simple ni évidente chez ceux qui en firent profession de foi. A cette réponse assimilationniste et coloniale simple (attendre l’avenir de la France), la réponse nationale a été diverse et éclatée. La démission de Césaire en est une manifestation. Les réponses autonomistes puis indépendantistes l’illustrent aussi.

Le rapport à Schoelcher et surtout au schoelchérisme est devenu complexe puis nette- ment contradictoire. Le mouvement autonomiste (PCM et PPM) certains indépendantistes ont tenté de concilier la question nationale et le schoelchérisme en refusant d’y voir une contradiction majeure. Lors de sa création, le PKLS s’est inscrit contre l’idéologie schoelchériste.

Aujourd’hui, la question essentielle n’est pas de savoir si oui ou non Schoelcher a joué un rôle positif dans l’abolition de l’esclavage et s’il était un homme de gauche en France. Pour nous le débat est de dire que le schoelchérisme est une impasse politique et ne permet pas de résoudre les problèmes de la société martiniquaise au bénéfice des masses populaires, des ouvriers, des « petites gens », des jeunes etc…. Il ne s’agit plus de savoir si les anciens combattants schoelchéristes de la fin et du début du siècle dernier étaient sincères ou non mais de dire que les « schoelchéristes » d’aujourd’hui (comme le PPM et toux ceux qui lient notre sort à la situation française) doivent être combattus.

Sur la problématique des statues, on observera que celle de Fort de France, (qui était en fait une réplique de celle se trouvant à Saint Pierre avant l’éruption), était fondamentalement schoelchériste avec cet enfant regardant le grand homme avec reconnaissance (depuis longtemps on lui avait coupé un bras). Quant à celle de Case Navire, elle s’expliquait par le fait qu’on a donné en 1890 le nom « du grand homme » à cette commune (elle avait été défigurée en 2013).

Ainsi, ces statues symbolisaient le « caractère exceptionnel » de l’homme au contraire de sa vraie place dans l’histoire martiniquais. pays. Cela est faire preuve d’arrogance pour ne pas vraiment poser les problèmes.

Cette action militante du 22 mai 2020 est une étape forte de la lutte de libération nationale et sociale. Car, sans nul doute, elle s’inscrit dans le combat idéologique contre les « schoelchéristes » modernes qui n’ont même plus l’excuse de l’ignorance !

Note de la rédaction : L’analyse contenue dans cet article est l’opinion de ce mouvement d’extrême-gauche, le PKLS  dont l’encadrement est composé d’anciens membres du Parti Communiste Martiniquais. 

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