Par OLIVIER LAMM ( Libération  )

 Pas terrible, pour tout dire. D’après le tout dernier rapport du Syndicat national de l’édition phonographique (Snep) sur les performances nationales du marché au premier semestre, ce dernier a vu un «ralentissement brutal» de sa croissance, en augmentation constante depuis plusieurs années, pour un résultat très légèrement positif de +0,4%.


 En cause, la crise sanitaire bien sûr, qui a entraîné un très net recul (-36,8%) du marché physique (vinyles et CD). La baisse est tout juste compensée par le streaming, qui a enregistré une hausse de 17,7%, le marché des «ventes numériques» atteignant la proportion vertigineuse de 80% du chiffre d’affaires de la période (contre 68,3% au premier semestre 2019). Disons-le tout net: c’est une très mauvaise nouvelle pour la grande majorité des musiciens français. Car si la production nationale tire spectaculairement son épingle du jeu (144 productions françaises sur les 200 meilleures ventes d’albums au premier semestre, tous formats confondus), c’est une petite minorité d’élus qui pourra profiter de cette croissance, pour leur visibilité ou, plus pratiquement, leur rémunération. La faute, encore et toujours, à une répartition des recettes calculée selon un système de «pot commun», dont les artistes et ayants droit bénéficient à la mesure de leur part de marché sur les plateformes.

Mais le problème de la rémunération des artistes s’avère, au fur et à mesure que le streaming s’ancre dans les pratiques culturelles et numériques, de plus en plus complexe et profond – le marché des plateformes, intensément compétitif et dépendant d’échafaudages financiers de plus en plus compliqués et détachés des revenus générés par les écoutes et les abonnements, entraîne ses propres effets pervers qui vont à l’encontre des beaux discours sur le soutien à la création serinés par Spotify, Apple ou Deezer. Une autre étude, internationale celle-là, publiée début septembre à l’initiative d’Alpha Data Music, faisait état d’une concentration massive des écoutes: sur les 1,6 million d’artistes dont la musique a été mise à disposition sur les plateformes en 2019, 1% ont capté 90% des écoutes globales. Parmi ces 1%, 10% ont même concentré 99,4% des écoutes. Ce qui signifie que 1,44 million de musiciens dont la musique est disponible sur Spotify, Apple Music ou Deezer représentent ensemble 0,6% des écoutes globales.

Autant dire que le mythe de la corne d’abondance à portée de clics, qui était le principal argument commercial des plateformes aux premiers temps et qui a convaincu quelques mélomanes parmi les plus dévoués de se défaire de leur discothèque, a fait son temps. Car au-delà des beaux discours, rien ne dit que les plateformes, soumises à des pressions financières énormes et à une prise d’intérêts de plus en plus pugnace des majors, continuent à s’encombrer de yottaoctets d’œuvres musicales qui n’intéressent qu’une infime partie de leurs abonnés. Ainsi, la très improbable «correction» des taux de répartition des écoutes, appelée de leurs vœux par de plus en plus de créateurs, ne résoudrait en rien le problème de leur appauvrissement. Le streaming ne fait pas vivre ni survivre les musiciens. Il est temps que le grand public, toujours plus nombreux à embrasser le streaming dans ses usages culturels par commodité – mais aussi parce qu’on lui a présenté le streaming comme la seule alternative viable au téléchargement illégal – comme il l’a fait pour les services de VTC ou de livraisons de plats cuisinés à domicile, en soit informé. Le système n’est pas cassé, il n’a jamais fonctionné.

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