Après la Foyal App – application se voulant la vitrine du centre-ville, lancée en mai dernier – l’association Fort-de-France Cœur de Martinique (FCM) a présenté aux médias sa ‘’petite sœur’’ : la Foyal App Shop, permettant aux client.e.s d’acheter en ligne des produits proposés par des commerçants de Fort-de-France, de se les faire expédier par les voies conventionnelles ou alors d’en prendre possession via une démarche de ‘click and collect’ (‘cliquer et récupérer’) où le client vient donc disposer de ses achats dans un espace dédié : une Conciergerie établie entre les murs du siège de la Chambre de Commerce et d’Industrie de la Martinique (CCIM), 53 rue Victor Hugo, à des jours et horaires établis*. Des « solutions » numériques rendues encore plus nécessaires, sinon urgentes, par les confinements successifs et l’approche des fêtes de fin d’année, période cruciale d’un point de vue économique pour nombre de commerçants. A l’issue de l’inauguration de cette conciergerie, nous avons échangé avec trois acteurs majeurs du commerce foyalais.
Thierry d’Abadie de Lurbe :
« Avec l’application c’est comme si les gens seront en ville en permanence »
Le dynamique président de la FCM, Thierry d’Abadie de Lurbe, ne fait pas mystère de son enthousiasme quant à ces innovations, actuelles et à venir.
Antilla : D’où est venue l’idée de ces applications numériques ?
Thierry d’Abadie de Lurbe : Les clients martiniquais ne connaissent pas l’offre de la ville ; ils ne savent pas ce qui se fait en ville. Donc l’idée était vraiment de permettre à tout un chacun de découvrir – à travers l’application qui est une vitrine des commerces, de toutes les offres de la ville, aussi bien de la mairie que des transports etc. – ce qui se fait sur la ville. A partir de ça, l’application a été créée. En cliquant sur le commerce, vous voyez ses offres ; ça vous permet également d’y accéder en géolocalisation, de l’appeler par téléphone, etc. A partir de l’application vous voyez donc tout ce qui se fait sur la ville ; c’est vraiment une vitrine exceptionnelle, et gratuite pour les commerçants. D’ailleurs, l’idée aujourd’hui est d’encourager les commerçants à participer à toute cette stratégie qui se met en place : conciergerie, click and collect, etc. On attend beaucoup d’eux parce que c’est gagnant-gagnant ; c’est permettre aux commerçants de vendre leurs produits en toute circonstance – même hors des horaires d’ouverture puisque nous prendrons le relais. Et dans la période ‘actuelle’ c’est un palliatif : ça leur permettra de vendre même en étant fermés.
Toutes ces innovations ont-elles vocation à être pérennes ?
Ah oui, clairement, à durer pleinement ; la volonté est de travailler dans la durée. Et vous savez, notre volonté était aussi de changer le fonctionnement qu’on avait.
C’est-à-dire ?
On fait des événements – grande braderie, etc. – c’est super, ça marche bien, il y a du monde en ville, mais les gens viennent sur le coup et ne reviennent plus parce qu’ils attendent le prochain événement. Alors que là, avec l’application etc. c’est comme si les gens seront en ville en permanence. Et puis la ville n’est plus la ville, c’est un village : Foyal Village (sourire). Enfin on ne l’a pas dit aujourd’hui mais on aura aussi un petit train électrique, qui permettra aux clients de faire le tour de la ville.
Philippe Jock, Président de la CCIM :
« Ajouter un deuxième confinement pour ces commerces dits ‘’non essentiels’’ a créé un sentiment d’injustice »
Dans cette interview, le président de la CCIM, Philippe Jock, évoque notamment les « solutions alternatives » mises en place suite à ce reconfinement.
Antilla : Quinze jours après le début de ce reconfinement*, quelles remontées avez-vous de ces commerçants dits « non essentiels » ?
Philippe Jock : Les commerçants se remettaient à peine du premier confinement ; le tissu économique était fragilisé, les chiffres d’affaires (CA) de juillet et août derniers n’avaient pas été exceptionnels puisque, à l’occasion du sondage que nous avons réalisé il nous a été remonté que seul un quart des chefs d’entreprise interrogés avait retrouvé leur chiffre d’affaire d’avant le premier confinement. Trois quart des chefs d’entreprise avaient donc des baisses de CA, dont certaines très significatives : 25 % de ces chefs d’entreprise avaient perdu plus de 50% de leur CA. Par conséquent, ajouter un deuxième confinement pour ces commerces dits ‘’non essentiels’’ a créé un sentiment d’injustice, d’inéquité, donc il nous est apparu nécessaire de faire remonter à l’Etat le désespoir et les difficultés des commerçants, en disant que peut-être une solution de couvre-feu aurait été plus efficace, dans la mesure où nous pensons, certes sans preuves scientifiques, que les contaminations se passent plus dans les sphères familiale et amicale que sur le lieu de travail et dans les petits commerces. D’ailleurs je rappelle que ces petits commerçants ont investi dans des dispositifs de sécurité sanitaire – gel, masques pour les clients qui n’en auraient pas, plexiglas pour certains commerçants – et que le coût moyen pour un petit commerce est à peu près de 1800 euros. Ils ont donc investi 1800 euros en sortie de confinement – qu’ils n’avaient pas encore rentabilisé et amorti – et on leur annonce quelques mois plus tard qu’il faut fermer à nouveau. Alors nous avons travaillé assez vite à des solutions alternatives, permettant de réaliser un peu de chiffre d’affaires.
Lesquelles par exemple ?
Cette conciergerie, en lien avec la FCM, est une réponse ; l’application Foyal App en est une deuxième. Mais nous aussi à la CCIM, avons une réponse adaptée pour les restaurateurs et petits commerçants, avec la possibilité pour ces deux activités d’être sur une marketplace locale. Des start-up locales ont travaillé, et à la suite d’une consultation nous avons sélectionné une plateforme qui va mettre en ligne les produits de ces commerçants – l’idée étant que tout soit prêt la semaine prochaine et que les premières ventes puissent se réaliser. Et pour les restaurateurs, nous avons sélectionné une application locale, Table, qui est également la réalisation d’une start-up locale, qui a fait ses preuves durant le premier confinement et qui est aujourd’hui en capacité, sous 5 jours, de mettre en ligne les menus, de permettre aux consommateurs de réserver, de se faire livrer ou de venir récupérer les produits. Donc ça permettra aux restaurateurs d’avoir une dynamique de vente à emporter structurée et organisée, plus conséquente que ce que certains ont déjà fait avec leurs ‘fichier clients’ et pages facebook. Et nous avons aussi à la CCIM une application qui s’appelle Geolocal 972, qui permet de localiser tous les commerces qui sont ouverts, qui font du ‘click and collect’ ou de la vente à distance.
Dans une récente communication, vous avez regretté que certains dispositifs étatiques n’aient pas été lancés de manière anticipée eu égard à ce reconfinement : de quoi s’agit-il ?
C’est vrai, je parlais du ‘fonds de solidarité’ qui a été sensiblement augmenté puisque son plafond est passé à 10.000 euros. Ce dispositif suppose que les personnes intéressées aillent sur le site internet de la ‘Direction régionale des finances publiques’ pour déclarer le chiffre d’affaires du mois de novembre, mais par définition on connaît déjà ce chiffre, il est de zéro… . Et ce d’autant que les activités de ‘vente à emporter’ ne sont pas prises en compte pour le calcul du chiffre d’affaires du mois de novembre. Si on sait qu’on est confiné.e.s pour 4 semaines, pourquoi ne pas ouvrir directement l’application pour que les sommes arrivent sur les comptes des commerçants dès le début de décembre ? Mais je pense que certaines remarques ont été quand même un peu prises en compte, parce que le site devrait être disponible à partir du 20 novembre prochain. Il y a eu une petite anticipation, suite aux remontées du ‘terrain’.
Warrens Wassouf :
« Quinze jours de plus en confinement et c’est la mort annoncée de pas mal de PME »
Figure des commerçants du centre-ville, Warrens Wassouf est le gérant des magasins Wall Street. Il partage ici son inquiétude quant à l’impact de ce reconfinement sur le tissu des PME martiniquaises.
Antilla : Que pense le commerçant depuis longtemps implanté à Foyal que vous êtes, de toutes ces récentes innovations ?
Warrens Wassouf : L’un des avantages de cet espace de conciergerie c’est, pour les clients, de pouvoir y laisser leurs achats ; ce qui leur permettra de déambuler dans le centre-ville afin de faire d’autres achats, de prendre un pot, d’aller au restaurant, etc. Donc ce concept est complémentaire de l’idée qu’on peut avoir du centre-ville, c’est-à-dire qu’on ne perd pas le relationnel avec le client, qui a la possibilité certes de récupérer ses achats, mais aussi de les laisser à cette conciergerie et de déambuler, donc de garder le contact et peut-être de découvrir autre chose. Pour moi cette conciergerie amène donc le chaland à récupérer et à découvrir.
Aussi intéressantes qu’elles soient, ces innovations auraient-elles dû être réalisées plus tôt selon vous ?
Je pense que oui. C’est vrai qu’on l’a fait dans une période où c’était l’urgence par rapport au confinement etc., mais il fallait mettre la ‘bécane’ en route. C’est chose faite, maintenant c’est la communication et l’accompagnement vers les commerçants afin qu’ils adhèrent de plus en plus – parce qu’il n’y en a que 270 alors qu’il y a 1000 et quelques commerçants. Il y a donc un travail de terrain à faire, de porte à porte, aller leur expliquer comment se développer, etc. Mais je n’ai pas trop peur à ce sujet puisque le commerçant est par nature un compétiteur : il suffit qu’une majorité décide de ‘jouer le jeu’ et l’ensemble des commerçants le fera en très peu de temps.
Comment vos entreprises et vous avez vécu le premier confinement et vivez le deuxième ?
Ce deuxième confinement est terrible pour nous, parce qu’il est aussi mortel économiquement. Je dis ça parce que lors du précédent confinement on a eu l’espoir du gouvernement nous accompagnant notamment avec les PGE (Prêt Garanti par l’Etat) qui ont permis de rétablir un semblant de trésorerie afin de redémarrer, mais on n’a même pas eu le temps de redémarrer qu’il y a eu ce deuxième confinement… . Il y a quelques jours, nous avons rencontré Mr le préfet et avons notamment parlé de l’Espagne, où il a été décidé de laisser vivre les PME (Petite et Moyenne Entreprise) au détriment des hypermarchés. Je dis ça parce que si on regarde le système économique français, il y a 80% de PME. Donc en fait ça coûte beaucoup plus cher à l’Etat de faire du chômage partiel sur ces 80%, que d’en faire sur les 20% restants des grosses structures. Déjà là il y a un problème. Et puis est-ce que nous, PME, sommes vecteurs du virus alors que nous recevons peut-être 10 clients par jour et que les mesures sanitaires sont bien établies chez nous ? Une grande enseigne a ouvert récemment, et ça a drainé beaucoup de monde… . Donc je pense qu’il y a une injustice et inégalité. En tout cas, 15 jours de plus en confinement et c’est la mort annoncée de pas mal de PME. Sachant que sur le centre-ville nous avons 3700 salarié.e.s ; ce qui est énorme.
Propos recueillis par Mike Irasque
*Pour le moment le mercredi, vendredi et samedi, de 13 à 18h. *Entretien réalisé le 13-11-20. *Un concept de Foyal Village (« un nouvel élan ») soulignant l’importance accordée par ses promoteurs aux « relations humaines et aux valeurs de partage, proximité et dynamisme ».